70 à Paris (jour #2)

(le Jour #1 est ici)

Les cloches du minaret voisin nous tirent du lit à 8 heures pile, dimanche. Plusieurs salves comminatoires en latin et en cascade, c’est de la folie.

Au programme, heureusement, un petit-déjeuner (une tuerie), servi par une personne charmante, métissée, bouclée – puis direction la Bourse de Commerce de Pinault et son premier accrochage. Le taxi passe devant la Samaritaine, côté Rivoli, et nous le prions d’interrompre la course car nous sommes en avance sur l’horaire.

Il est tôt, les portes du palace d’Arnault viennent d’ouvrir et le choc visuel de la rénovation, terminée après des années de travaux infernaux, est violent.

Souvenirs qui remontent tout de suite à la vue verticale de la verrière : le beau film de Leos Carax, Holy Motors, tourné en partie là, avec ses scènes inoubliables, sa procession de musiciens, l’esthétique de ses ruines, ses flaques de lumières, sa bande-son crépusculaire – Eva Mendes et Denis Lavant. 

Xavier Veilhan, artiste à facettes de lécurie Perrotin

Aujourd’hui, ce « temple du luxe et de la vanité » (pour ne pas rénover le vocabulaire) donne le vertige : sa verrière, ses circulations, les logos à l’or fin des marques, la « noblesse » des matériaux, toute la marchandise qui hurle « achète-moi, achète-moi vite, tu as vu quel cocon t’accueille, misérable larve, tu t’es essuyé les pieds, lavé les mains ? » – sans qu’on puisse s’empêcher de voir le knout à l’œuvre en coulisse :  séances interminables de « formation à la vente », lavage de cerveaux, obéissance, respect de la hiérarchie et des procédures, « culture du résultat ». Le personnel humain est tiré à quatre épingle, vigiles, caissiers, réassortisseurs, vendeuses multilingues fraîches et souriantes, tout une mécanique jeune, propre sur elle jusqu’au dernier boulon, le corps pris dans des engrenages façon Temps modernes de Chaplin. On arpente donc le vaisseau amiral du profit universel, escalators et plateaux, les regards qu’on lance ont été anticipés, les perspectives construites, les surfaces polies à linstar des caniches de Jeff Koons. Comme dans les casinos de Las Vegas, on ne serait pas étonné d’apprendre que de l’oxygène pur est pulsé dans les rayons, afin de saouler le consommateur, le perdre, l’assommer de miroirs, de présentoirs design, d’objets, de reflets d’objets, d’étals de nourriture alignés au cordeau. Tout capte l’attention, tout est graphique – grafuck

La Bourse de Commerce de Pinault est un autre tour de force (et de fric). Arnault, Pinault, nos Harpies, nos pillards !

Reste que le lieu est splendide, le Giambologna soclé de Fischer une merveille, les vitrines de Lavier un régal (sa montgolfière ratatinée – à la fois rideau de scène évoquant tous les rideaux de la peinture et bloc de matière façon coulis textile – elle pèse, tire vers le bas, ne s’envole pas du tout, sauf – une fois de plus – dans les souvenirs : la Cappadoce au petit matin, les rayons de soleil horizontaux qui tranchent comme autant de sabres, ma mère à la fois impavide et excitée qui enjambe la nacelle en tirant sur les haubans, le rugissement des brûleurs, le départ doux façon travelling vertical d’avant l’invention des drones), les Allemands à mourir (Thomas Schütte, Martin Kippenberger – son  Paris Bar, 1993, automural !), Hammons et ses panneaux de basket, la pièce aux trois Rudolf Stingel – elle vous laisse sonné, compté 10, comateux puis vous expulse avec des stocks de mélancolie pour un siècle (Franz West, Paula Cooper, Kirchner), Kerry James Marshall (dont les machines lavent plus blanc que blanc), etc. 

La montgolfière évoquée plus haut
(ci-dessus, huit des 14 ou 15 vitrines de Lavier)

Beaubourg vu de la Bourse à travers les Halles

(six Thomas Schütte ci-dessus)
Le drapeau « métallique » devant la Bourse

(Ne pas renvoyer à la maison, sil vous plaît)
Paris Bar (et détails ci-dessous)
(Les bateaux vont, les filles restent)
(quatre Martin Kippenberger+ ci-dessus)
(trois Hammons ci-dessus)
(un faune de Kerry James Marshall ?)
(deux photos du travail de Rudolf Stingel qui viennent dici, cest la plus belle pièce du bâtiment, selon moi – pièce au sens room)
Le taulier apprécie les marques des toiles de Ser Serpas, façon « déclouage »
– et le souvenir de lalarme quil déclencha en rasant les murs pour la photo

Nous déjeunerons en terrasse à 50 mètres de la Bourse, devant la vitrine d’agnès b., avec une pensée pour Thierry v.E. qui nous hébergea naguère rue Tiquetonne – il sillonnait la ville en trottinette, droit et chic, son humour, sa gentillesse et son érudition filant comme lui en souplesse, bien avant l’électricité.

C’est à pied, sous les arcades de la rue de Rivoli, protégés des trombes d’eau qui s’invitèrent soudain, que nous rejoindrons le Jeu de paume pour une expo comme seul le MoMA sait les produire, celle de Thomas Walther.

Un saut en parachute de et par Willi Ruge
Un collage de Roh
Une solarisation de Roh
Erich Salomon se prend en photo
Un selfie dEl Lissitzky
Autoportrait d’un appareil sur pied
George Grosz, notre « Maréchal Propagandada » préféré
James Joyce par Abbott
Paul Dermée, Enrico Prampolini, Michel Seuphor (tout à droite), par André Kertész en 1927
– on dirait trois professeurs Tournesol bien allumés
Encore un selfie dans une ampoule
Bayer fait l’affiche de l’expo avec un autoportrait célèbre
Tabard cadre, décadre et encadre de travers – mais c’est le petit cercle qui me fascine
Paul Citroen et sa Metropolis de 1923
Typo un jour, Jenny Holzer toujours (photographie par Umbo, 1929-1931)
Tina Modotti par Edward Weston

On sortira épuisés des deux étages de cette formidable expo, P. fera quelques courses pour les kids restés à Bruxelles et j’écumerai à Saint-Germain des Prés les rayons de lÉcume des pages.
Retour à l’hôtel, petite pause et 15 minutes à pied jusqu’à l’Oenosteria – mais pour y dîner cette fois. On avait réservé la table 60 pour deux, ce fut un plaisir immense (c’est celle à droite, dans la fenêtre de droite). À la sortie nous retrouvâmes les musiciens de la veille, ils jouaient cette fois pour la Casa Bini, juste à côté. On préfère nettement le dixie et les claquettes aux cloches démentes des intégristes cathos.

Le jour #3 est .


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