Venise, autour de la Biennale (partie 4)

Recension des manifestations artistiques autour de la Biennale, suite et fin – on se rend à l'Accademia pour Baselitz
Cette magnifique toile appartient à l'une des nombreuses séries « Peinture avec les doigts ». Il s'agit d'un autoportrait où l’œil du regardeur, évidemment, s'attarde sur les doigts peints. Détails (qui me font mourir) ci-dessous.


Le Elke seduta su una poltroncina (ci-dessous) est formidable aussi – et j'ai cru discerner une tête (à l'endroit) prise dans un bras, à gauche, sous la « diagonale » qui tombe du ciel, un probable effet Rorschach :


La Kopf sculptée, avec laquelle vous prenez congé de l'expo, est impressionnante :


Le commentaire de Philippe Dagen dans le Monde du 31 mai 2019 :

> Une soixantaine d’œuvres, de petites études à l’aquarelle d’après des maîtres italiens de la Renaissance à de très grandes toiles, est-ce suffisant pour donner la mesure de l’Allemand Georg Baselitz ?

> Oui, pour deux raisons. L’une est d’ordre historique : la sélection a été faite de manière à indiquer les principaux épisodes, de l’expressionnisme satirique du début des années 1960 au moment du renversement, 1969, quand l’artiste décide de peindre les figures inversées, tête en bas, pour s’interdire de tomber dans la virtuosité. Il conserve aujourd’hui encore ce principe, mais la peinture est devenue de plus en plus fluide ou vaporeuse, de sorte que les visages et les corps se diluent ou s’effacent dans des brumes de couleur.

> L’autre raison tient à ce fait : toute œuvre de Baselitz, dessin, gravure, peinture ou sculpture, contient une charge psychique de forte intensité. On dirait que l’énergie mentale de l’artiste se concentre en une masse très dense pour mieux exploser ensuite au visage du spectateur. Si familier soit-on de son travail, l’exposition vénitienne contient des toiles très récentes qui frappent par surprise, et violemment. [Ph. D.]

... Cap sur le palais Querini Stampalia, campo Santa Maria Formosa, l'un des endroits les plus « authentiquement vénitiens » de Venise. Outre la collection permanente se tenaient des expositions d'artistes tous intéressants, à leur manière : Jörg Immendorff, Roman Opalka, Mariateresa Sartori, Luigi Pericle Benedetti – auquel je prends cette charmante petite autoréférence avant d'attaquer l'un de nos Allemands préférés du séjour.

Luigi PericleGiovanetti da vita alla marmotta Max

Jörg Immendorff, donc. Je cite Wikipédia :

> D'abord instituteur, Jörg Immendorff s'initie à l'art du paysage dans les années 1960 avec Teo Otto. Il étudie ensuite à l'académie des beaux-arts de Düsseldorf de 1963 à 1964 et devient l'élève de Joseph Beuys.

> Il rêve de devenir célèbre et de « faire quelque chose de nouveau ». En 1968, il crée le mouvement « Lidl » (mot allemand qui décrit le son d’un hochet de bébé, moyen de communication avant la maîtrise du langage). Ce concept englobe toutes sortes d’activités de groupe : « Lidl académie », « Lidl espace », « Lidl sport », « Lidl théâtre ». Par son art engagé, Immendoff vise à une transformation sociale.

> Au début des années 1970, engagé dans un mouvement maoïste, il se tourne vers la peinture militante et s'engage contre la guerre du Viêt Nam. Il fait partie des premiers groupes écologistes.

> À partir de 1976, il recentre son œuvre sur l'histoire de l'Allemagne, notamment la question de la division des deux Allemagnes, à travers le thème sans cesse présent de la Naht, mot allemand signifiant couture ou soudure. Il crée avec le peintre est-allemand A. R. Penck l'Alliance d'action RFA-RDA. Entre 1977 et 1983, il peint une série de tableaux intitulée « Café Deutschland », inspiré d'un tableau de Renato Guttuso Antico Caffè Greco que le musée Ludwig de Cologne avait acquis en 1977 quelques mois après sa réalisation. Il est à ce moment-là une sorte de visionnaire de l'unité allemande. Son travail reflète également sa réflexion sur le rôle de plus en plus réduit de l'art dans la transformation sociale.


Sans titre, 2007

Voici la nécro rédigée par l'Obs le 28 mai 2007 :

  Jörg Immendorff est mort

> Le peintre allemand, très réputé sur la scène internationale, est décédé chez lui à l'âge de 61 ans.

> Le peintre Jörg Immendorff, l'un des artistes allemands les plus réputés sur la scène internationale, est mort lundi 28 mai à l'âge de 61 ans, a annoncé sa femme Oda Jaune-ImmendorffLe peintre, qui souffrait d'une maladie nerveuse depuis de longues années, est mort dans sa maison de Düsseldorf (ouest), a précisé sa veuve. 

> Autodidacte et iconoclaste
Né en 1945 en Basse-Saxe, ce peintre autodidacte, qui a été notamment formé à l'école de Joseph Beuys, s'est distingué depuis 1968 par des positions politiques souvent iconoclastes, dénonçant entre autres le passé allemand, les guerres et la pollution.
Ancien étudiant à l'académie des Beaux-Arts de Düsseldorf de 1963 à 1964, il faisait partie des artistes néo-expressionnistes allemands, appelés aussi les "nouveaux fauves", issus de l'académie des Beaux-Arts de Düsseldorf.

> La partition de l'Allemagne
Maoïste convaincu, Jörg Immendorff est resté célèbre pour sa série "Café Deutschland", une série de toiles commencée en 1978 et qui avait pour thème central la partition de l'Allemagne et ses conséquences. Dans les années 1980, sa peinture devient plus symbolique et allégorique, et il peint une nouvelle série autour du "Café de Flore". Ces dernières années, son œuvre s'était de plus en plus orientée vers le surréalisme.
L'artiste était atteint de la maladie de Charcot, une maladie neurologique encore appelée sclérose latérale amyotrophique (SLA) et qui l'avait contraint ces derniers temps à se déplacer en chaise roulante. 

> Plusieurs arrestations
En août 2004, il avait été condamné par la justice allemande à onze mois de prison avec sursis et 150.000 euros d'amende pour avoir été trouvé en possession de cocaïne. Un an plus tôt il avait été arrêté dans une chambre d'un palace de Düsseldorf en compagnie de neuf prostituées, en train de consommer de la cocaïne.
La presse populaire et mondaine se délectait des frasques d'un homme qui, avant d'être cloué dans une chaise roulante, aimait poser pour les photographes avec son épouse d'origine bulgare et de 30 ans sa cadette.
Pendant l'hiver 2005, la "Neue Nationalgalerie" de Berlin, l'un des grands musées de la capitale allemande, avait accueilli une rétrospective de l'oeuvre du peintre.  [Obs]

... Et une dernière citation, tirée de la présentation qu'a rédigée le curateur Francesco Bonami pour l'expo du Querini Stampalia :

> While this exhibition is not a retrospective, it will be the first to uniquely address Immendorff’s inquiry into the artist’s identity and his participation within his own paintings.

> The artist’s presence inside his own work should not be seen as a classical self-portrait, but more as a participation in the collective atmosphere built within the canvas. Immendorff’s art is a deep reflection on the role of the artist in an age of collective and political commitment, during a time when the artist as an individual was seen as a symbol of bourgeois conservative attitude.

> During his studies at the Kunstakademie Düsseldorf, Immendorff was the model student of Joseph Beuys; Immendorff is represented here as the rebellious child who, with painting, challenged the ideology of his own teacher.

> This exhibition will also be the first to focus on Immendorff’s struggle to elaborate on and overcome his Oedipus Complex through painting, and his use of art as a tool for self-analysis and emancipation.


Frontis-Piss I, 1994 
Chile, 1975

Chile, 1975 (détail)

Mao, 1975
Mao, 1975 (détail)


Aucune des toiles qui suivent (au look Polke indéniable) n'a été peinte par Immendorff en personne – quand il apprit en 1998 qu'il était atteint de SLA, il fit exécuter ses œuvres par ses assistants. Elles sont formidables, bravo les gars !




 
(détails ci-dessous)


L'Immendorff le plus connu (néo-expressionniste) est celui des Cafe Deutschland (I à IV ici, je ne vous apprends rien) – non exposés chez Querini Stampalia. Dans le premier, Immendorff lui-même tend la main aux Allemands de l'Est à travers le mur. Derrière lui travaille l'ex-chancelier Helmut Schmidt à une table portant les couleurs allemandes :

Cette petite vidéo d'Arte est instructive.

Les œuvres de l'expo Roman Opalka sont disséminées dans les collections permanentes du même palazzo – rien de spécial à dire, elles sont connues – et propices parfois aux selfies des abrutis qui passent :


J'ai déjà évoqué la vidéo impeccable et minimaliste de Mariateresa Sartori. Ses autres travaux sont sympathiques, sans plus. Les photos montrent l'environnement qui les accueille – waouh !

Quant à Luigi Pericle Giovanetti, c'est un peintre, illustrateur et cartooniste un peu oublié – que la Fondation souhaite remettre en selle. Why not ? Je cite un site tessinois :

En acquérant l’ancienne maison de Luigi Pericle Giovannetti (1916-2001), Andrea et Greta Biasca-Caroni, directeurs de l’hôtel Ascona, ont révélé au grand jour un véritable trésor réunissant des œuvres inconnues du peintre.

> L’artiste polyvalent atteignit l’apogée de sa carrière à la fin des années 1950, lorsque les Stachelin, une famille influente de Bâle célèbre pour sa collection de toiles prestigieuses de Van Gogh, Picasso et Gauguin, commença à s’intéresser à son travail et lui acheta une centaine de tableaux. Pour le laisser travailler dans le calme, la famille bâloise lui offrit une maison sur les hauteurs du Monte Verità, à Ascona, où Luigi Pericle passa une grande partie de sa vie, isolé jusqu’à sa mort en 2001.

> La collection retrouvée se compose de nombreuses peintures et d’une centaine de dessins à l’encre de Chine en excellent état, dont certaines peuvent être admirées entre autres à l’hôtel Ascona.

... Les images qui suivent viennent du Press kit fourni par la Fondation Querini Stampalia :


Le vernissage est là – avc Orlan, si je ne m'abuse. 
Moi j'aime le petit Max (et le petit Bidè aussi, de Sergio et C.) 


On quitte le palais Querini Stampalia avec trois images à tomber : celles du Jacopo Robusti (le Tintoret) et celle du Bellini (Présentation du Christ au temple– deux œuvres qui éblouissent et qui justifient, à elles seules, que l'on s'y rende. Le Paradiso du Tintoret est là depuis moins d'un an. Il s'agit d'un modèle pour le Paradis-Ciel définitif (du Palais des Doges) et il a été installé au 3e étage du palais QS – vidé des bureaux et de l'administration de la Fondation.


En sortant de la Fondation QS il faut prendre le premier pont à droite, puis tourner dans la toute petite saignée à gauche, au fond, pour l'expo Helen Frankenthaler qu'organise Gagosian


C'est du bon pour plusieurs raisons : d'abord la qualité de la micro-exposition (14 tableaux), ensuite le lieu (le palais Grimani, dévasté ?) qu'on peut explorer (presque) à sa guise. En voici l'entrée :


... et la sortie (par le haut) :


On sera passé par la salle de Psyché :

Avec ce détail qui me touche : certaines figures deviennent transparentes avec le temps – des fantômes de peinture.

Place à Frankenthaler :


Voici ce que disait Harry Bellet de cette expo dans le Monde du 31 mai 2019 :

> Une quinzaine de tableaux, cela semble peu, mais Helen Frankenthaler (1928-2011) ne peignait pas petit : inspirées par Jackson Pollock, ses toiles étaient posées au sol, et elle dansait autour avant de peindre dessus.

> Mais là où Pollock « drippait », versait sa peinture en filets denses et émaillés, qui venaient se poser à la surface, Frankenthaler usait de toile brute, non apprêtée ni enduite, et de couleurs très diluées. L’une absorbait les autres. Cela répondait à la question que se posaient alors de nombreux peintres américains, qui tournait autour de l’aboutissement auquel était parvenu Pollock : une impasse, semblait-il, après laquelle la peinture semblait impossible. Pollock lui-même devait revenir à une certaine forme de figuration.


> Le procédé imaginé par Frankenthaler ouvrait une voie nouvelle, vers une planéité absolue du tableau, qui permettait néanmoins les transparences et les superpositions. Cette technique fut reprise par Morris Louis, qui reconnut sa dette. Elle-même devait beaucoup, pense-t-on, aux Nymphéas, de Claude Monet, comme d’ailleurs la presque totalité des artistes de ce qu’on a parfois nommé le paysagisme abstrait. Mais les tableaux montrés à Venise font plutôt référence à des maîtres plus anciens, comme Titien et Bassano. [Ha. B.]

...

L'expo Time / Forward (près des Zattere, après Pino Pascali et James Lee Byars quand on vient de la Calcina, notre restaurant préféré à Dorsoduro – on y reviendra) est impeccable aussi. Nous avons tout apprécié – mais surtout la vidéo de Christopher Kulendran Thomas, Being Human, projetée sur un genre de rideau-tulle.

 
(au fond, les Mulini Stucky, désormais Hilton)
Ci-dessous des images de la vidéo mentionnée, avec son dispositif spectaculaire :


Voici ce que disait Catherine Francblin dans artpress, cet été :

> [...] Les artistes vivants, toutefois, ne sont pas absents du off. Une quinzaine d’entre eux participe à l’exposition Time, Forward! proposée par la V-A-C Foundation (jusqu’au 20 octobre). Comme l’indique son titre (emprunté à un roman soviétique des années 1930), Time, Forward! entend interroger la notion du temps au 21e siècle, rejoignant en cela certaines questions rencontrées dans les allées de l’Arsenal ou des Giardini. Le projet rassemble des propositions très variées, dont certaines sont impressionnantes, à l’instar de l’installation, mariant photographies, sculpture et vidéo, de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, lauréats du prix Marcel Duchamp 2017, qui, dans le prolongement de leurs travaux antérieurs, enquêtent sur les traces laissées par l’histoire dans le paysage. 

Joana Hadjithomas et Khalil Joreige

> Très impressionnante, aussi, est l’installation de Trevor Paglen qui traite de la vision du monde fabriquée à notre insu par l’intelligence artificielle. De son côté, la vidéaste Rosa Barba se distingue avec un nouveau film bouleversant où se mêlent des images tournées en Amérique du sud, des images d’archives, des textes, des formes abstraites. On citera encore deux tout jeunes artistes, Kirill Savchenkov (né à Moscou en 1987) et Adam Linder (né à Sydney en 1983, basé à Berlin), le premier pour ses étonnantes sculptures, le second pour sa performance dans un décor original de papier peint.

Adam Linder

Rosa Barba

Walid Raad (demander une explication –très claire !– à la jeune fille de l'entrée)

Trevor Paglen


... Une vidéo étrange, froide, géométrique, à la fois 2D et 3D de Mark Blower et James Richards (30 secondes visibles là, filmées avec le pied gauche de RPT).

On sort de Time / Forward et on remonte vers les Zattere pour voir la mort de James Lee Byars...
... laquelle nous avons multi-vue car elle vient de la collection Vanhaerents :


Départ pour Heartbreak à la Ca' del Duca


... suite à ce papier de Philippe Dagen (décidément !-) dans le Monde :


> Exposition réduite : neuf artistes, dont aucun de ces noms supposés magnétiser le marché de l’art. Exposition cohérente par la géographie : de la Tunisie à l’ouest à l’Iran à l’est, de la Bosnie au nord à l’Egypte au sud avec, au centre, Syrie et Liban. Et plus encore cohérente par ses sujets : déchirures, blessures, guerres, mort.


> La ­Syrienne Randa Maddah suspend à des fils des fragments de miroirs où se reflète un bunker en haut d’une pente rocailleuse : frontière infranchissable. Lana Cmajcanin, née à Sarajevo, trace des lignes sur des feuilles de plastique transparent qu’elle invite les visiteurs à faire glisser à leur guise sur une grande carte où l’on reconnaît les Balkans : frontières absurdes. Le Beyrouthin Imad Issa présente ensemble des vidéos et des têtes en terre cuite. La guerre est dans la façon brutale dont il signifie que les conditions pour faire de l’art comme si tout allait bien ne sont plus d’actualité, ce qui donne No Performance, refus de tout spectacle. Elle est, jusqu’au difficilement supportable, dans Penetrated, autre vidéo. En la voyant, on comprend pourquoi les têtes de terre cuite sont percées de petits trous ronds ou fracturées à hauteur des tempes. [Ph. D.]

Imad Issa


... Les photos que le taulier a prises des travaux de Majd Abdel Hamid  (Tadmur Prison) fendent le cœur (et le titre de l'expo, du coup, paraît bien choisi – HEARTBREAK)  : ce sont des plans de prisons...


Bon, il y aura un 5e fichier, celui-ci est déjà trop lourd, ce sera pour demain. Le temps que les têtes fracturées d'Imad Issa nous hantent moins, et les prisons brodées de Majd Abdel Hamid.











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