McAvoy et Brouckère
Libération spoile (on peut passer)
Speak No Evil avec James McAvoy, c’est un grand oui clos
Dans un excellent long métrage d’épouvante, James Watkins installe une mécanique infernale entre deux familles que tout oppose, et dont le week-end vire au cauchemar.
par Olivier Lamm, publié le 18 septembre 2024 à 7h15
Il n’y a pas de croque-mitaine dans Speak No Evil de James Watkins. C’est pourtant, et tel que le laisse présager le logo de l’usine Blumhouse qui introduit son générique, un film d’épouvante, une accrétion phénoménale de tension, un ride résolument éprouvant. Mais si la menace existentielle finit par s’incarner, le ressort de la terreur est sans visage à proprement parler : elle est l’Autre, qui vit tout près et si loin, avec lequel on sait qu’on ne fraiera jamais. L’Autre qu’on souhaite secrètement devenir en même temps qu’on se félicite d’être devenu son opposé. Celui qu’on envie pour sa liberté tout en s’horrifiant du chaos qu’il cause en l’exerçant. Le scélérat qui s’autorise à embrasser ses pires instincts et les pires idéologies, celles du côté de l’égoïsme, de la mort et de la cupidité. Un démon si l’on tient à ce champ sémantique, mais pas de ceux surnaturels qui s’échappent des entrailles de la terre pour venir nous corrompre, plutôt de ceux qui habitent nos sociétés et s’activent à nous dominer, nous bouffer, nous écrabouiller.
Infernale machine
Remake d’un film danois très remarqué qui poussait jusqu’à son extrémité horrifique la logique misanthrope de la satire sociale horrifiante à la Ruben Östlund, Speak No Evil oppose pour le plaisir de l’anomalie deux familles : l’une argentée et américaine, expatriée à Londres, gorgée de privilèges, de précautions sociales et de névroses propres à la bourgeoise riche d’un capital culturel confortable ; l’autre emblématique des nouveaux riches, arrogante, hâbleuse, tapageuse, ne doutant de rien, surtout pas de son bon droit à arracher ce qui était interdit à ses ancêtres de condition plus humble – le monde entier. Les premiers, Louise et Ben Dalton et leur fille Agnes, rencontrent les deuxièmes, Paddy, Ciara et leur fils Ant, au bord d’une piscine en Italie.
D’abord atterrés par tout ce que Paddy incarne, débite et représente, les trois finissent de se laisser charmer – surtout Ben, homme plein de doute, les yeux tremblants d’effroi, in fine pas indifférent à l’exubérance toxique du mascu anglais, sacré bonhomme (tout pourrait se résumer à la mise en regard de ceux qui les incarnent, le délicat Scoot McNairy face à James McAvoy, plus massif et bouffeur d’écran que jamais). Aussi quand Paddy et Ciara proposent à la famille de prolonger l’idylle des vacances le temps d’un week-end dans leur maison du Devon, les Dalton se laissent convaincre. Speak No Evil peut dès lors lancer son infernale machine dans un huis clos champêtre. Un piège a été tendu, dont Paddy est le prédateur et Ben, Louise et Agnes les victimes, mais tout le sel de Speak No Evil tient aux prodiges de perversion du tortionnaire pour prolonger le calvaire de ses prisonniers. Calvaire social et psychologique pendant la grande majorité du métrage, longtemps indissociable de la comédie cruelle, le fatidique moment de la bascule est interminablement repoussé. La manœuvre est un peu grossière par moments mais McAvoy est prodigieux de malice et d’animalité, tout comme Mackenzie Davis face à lui, mère courage d’un genre qu’on n’avait jamais vu aussi finement dessiné dans un film de genre. Vraiment excellent.
Speak No Evil de James Watkins, avec James McAvoy, Mackenzie Davis… 1h50.
On dirait que tous ces rushes de la place de Brouckère sont aux couleurs de l’Ukraine
L’hôtel Métropole est toujours fermé
Avec Speak No Evil, le réalisateur James Watkins fait souffler un vent d’effroi dans la campagne anglaise
Le nouveau thriller du cinéaste confronte deux familles, une britannique et une américaine, l’une tout en retenue et l’autre désinhibée.
Par Jean-François Rauger, publié le 18 septembre 2024 à 12h00 dans Le Monde
L’avis du Monde : À voir
On avait découvert le réalisateur britannique James Watkins, en 2008, avec un thriller particulièrement perturbant, Eden Lake. Pour qui a encore en tête ce premier long-métrage, le choix de réaliser un remake, produit par la compagnie américaine Blumhouse, du film danois Ne dis rien, sorti en 2022, ne paraîtra pas étonnant. La situation sur laquelle est bâti le film d’origine, signé Christian Tafdrup, ne pouvait qu’inspirer un cinéaste qui avait déjà réussi à construire un récit se nourrissant d’une forme de description sociologique et anthropologique de ses protagonistes.
(…)
Détails triviaux
L’intérêt réel du film de James Watkins réside dans la manière dont les personnages sont adroitement esquissés, dont leur psychologie est discrètement reliée à des habitudes de classe, dont leur identité sociale détermine une série de comportements. Les Dalton sont des bourgeois moyens déclassés, les Field semblent être des transfuges de classe, plus libres de mœurs, moins coincés, moins bridés par les conventions de la société. La retenue hypocrite des uns formant un contraste avec la désinhibition des autres, et tout particulièrement du chef de famille, incarné, avec une certaine exubérance menaçante, par James McAvoy.
C’est avec la succession d’une série de détails insignifiants et triviaux que s’installe progressivement une sorte de malaise, jusqu’à la révélation finale. La dernière partie du film sacrifie certes aux conventions un peu rebattues du film de terreur. Mais, durant une heure cinquante, on aura eu le loisir de constater que l’inquiétude ressentie par le spectateur était essentiellement provoquée par le caractère familier et banal d’êtres plutôt antipathiques, parce que trop ordinaires, et d’événements plutôt anodins. La peur se niche ici dans la reconnaissance d’une vie sans relief et sans qualité, et l’observation d’une réalité désarmante de médiocrité.
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Avec bande annonce, sur IMDb, ici
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