Venise, autour de la Biennale (partie 5)


Avons vu à la Ca' d'Oro (nous y retournons plus bas) cette « Complainte sur le Christ mort » (attribuée à Hans Baldung – laquelle Complainte nous permet d'insister sur l'idée que le sang du Christ, pour certains artistes, est une métaphore de la (matière) peinture. On notera sous le périzonium du Christ (le linge blanc/pagne), et sous son pied gauche, des gouttes de sang qui brillent comme du verre (détails ci-dessous) :




Biennale de Venise : Irak et Iran, des pavillons sous le signe du tragique

> Les œuvres de Serwan Baran et de Reza Lavassani comptent parmi les plus intéressantes de la manifestation.

> Par Philippe Dagen, publié le 03 juin 2019 dans le Monde

> C’est désormais presque une tradition : à chaque Biennale de Venise depuis 2011, le pavillon de l’Irak, qui change chaque fois d’adresse, est l’un des plus intéressants parmi ceux qui se tiennent en dehors des lieux officiels. C’est encore le cas cette année, quoique le principe retenu ait changé. Jusqu’ici, l’exposition réunissait plusieurs artistes de générations et de modes d’expression différents. Cette fois, un seul occupe l’espace et ne présente que deux œuvres, une peinture et une sculpture. On découvre d’abord celle-ci, après un couloir étroit dont les murs sont tapissés de tissu vert militaire : une barque posée sur le pavement dans laquelle gît le cadavre à demi décomposé d’un soldat, grandeur nature, modelé brutalement dans une terre grise. L’œuvre se nomme The Last General


> Le mur du fond de la seconde salle est entièrement couvert par une peinture du sol au plafond : un amas de corps en uniforme, entassés les uns contre les autres, vus en plongée. Des assiettes en plastique et des morceaux d’uniformes sont collés sur la toile, intitulée The Last Meal. Ces soldats sont morts alors qu’ils mangeaient. Quelques-uns ont la bouche ouverte sur leur dernier cri.


> Pour cette toile, son auteur, Serwan Baran, a puisé sans doute autant, sinon plus, dans ses souvenirs personnels que dans les images d’actualité. Né en 1968 à Bagdad dans une famille kurde, il n’a pu éviter d’être enrôlé dans l’armée qui était alors celle de Saddam Hussein et faisait la guerre à l’Iran, avant d’affronter la coalition occidentale après l’invasion du Koweit et de se défaire dans les guerres civiles et religieuses qui ont suivi. Il n’a connu que les premières années de ces carnages, ayant quitté l’Irak pour Beyrouth, où il vit et travaille aujourd’hui. Quand il était soldat, Baran a aussi subi les discours de la propagande officielle, et l’exposition se nomme donc par dérision Fatherland, la patrie. A titre d’exemples de cette rhétorique, le catalogue comprend des diplômes de décorations décernées à titre posthume et des lettres de soldats, non moins ivres de patriotisme et prêts au « martyre ».
Thème du dernier repas
> Les deux œuvres n’en tendent pas moins vers l’universel. Le général mort pourrait être celui d’une armée au temps des dynasties pharaoniques, placé sur une barque funèbre selon un rite antique. Les cadavres pourraient être morts dans n’importe quelle tranchée du XXe siècle. Dans la chronique de la peinture d’histoire, qu’il connaît évidemment parfaitement, Baran vient après Goya, Géricault, Dix ou Morley. Ses œuvres commencent par des dessins au fusain et à la tache de café sur papier, abréviations d’une remarquable efficacité. Cette même qualité est à l’œuvre quand il peint ou modèle, de sorte que le pavillon irakien est, une fois de plus, l’un des plus intéressants de la Biennale.

> Quand elle permet de découvrir des artistes inconnus jusqu’alors, la Biennale de Venise est véritablement utile, non quand elle orchestre les célébrités du marché occidental.


> Par une singulière coïncidence, le thème du dernier repas est aussi celui de Reza Lavassani dans le pavillon iranien, dont il occupe l’essentiel de l’espace. L’œuvre, qui s’appelle Life, est une table en arc de cercle d’une dizaine de mètres de long, avec des fauteuils, un lustre, des bouquets, des assiettes, des fruits, des couverts – mais aucun convive. Ce serait déjà en soi un signe inquiétant mais l’installation est d’autant plus funèbre que Lavassani, qui a commencé à y travailler en 2012, l’a réalisée tout entière en papier mâché gris cendre, ce qui suggère des idées de pétrification et d’ensevelissement, Pompéi ou quelque autre désastre. Cette nature morte est une vanité à échelle réelle, qui exige le silence.

Lavassani, qui est né à Téhéran en 1962, y a fait des études d’art, mais aussi de philosophie et d’histoire. Il a peu exposé en dehors d’Iran. Quand il dessine, c’est en perçant de trous d’aiguille une surface blanche ou grise pour faire apparaître des animaux symboliques. Quand il sculpte, c’est donc en papier mâché, avec la même extrême sobriété. C’est quand elle permet ainsi de découvrir des artistes inconnus jusqu’alors que la Biennale de Venise est véritablement utile, et non quand elle orchestre les célébrités du marché occidental.

> Exposition « Fatherland » de Serwan Baran. Pavilion of Iraq, Ca’ De Luca, Corte del Duca Sforza, San Marco 3052 ; « Of Being and Singing », de Reza Lavassani. Pavilion of Islamic Republic of Iran, Fondaco Marcello, San Marco 3415. Du mardi au dimanche de 10 heures à 18 heures. Entrée libre. Jusqu’au 24 novembre. [Philippe Dagen]


(Presque) tout est dit ici sur l'expo à la Ca' d'Oro (sauf le Saint Sébastien de Mantegna, le Baldung qui ouvre cette page et des tas d'autres œuvres – temporaires ou pas). Quelques images encore – de l'Atelier van Lieshout, notamment, et du Mantegna –  trouvées :

(Le taulier apprécie particulièrement les plaques de marbre coupées en deux dans leur épaisseur et rabattues – pour constituer des paysages symétriques, à la Rorschach toujours)

(selfie aux « Moments of Happiness » des jumeaux Verhoeven)

(Quand lionceau fâché, lui toujours faire ainsi)
Gros succès comme toujours pour les pendules habitées de Marteen Baas, à échelle 1/1 (je  cite un site : « Maarten Baas’ self-portrait real time (2019) shows the artist in his atelier indicating the time. created specifically for this exhibition in leonardo da vinci’s homeland, exactly 500 years after he passed away, this work references the vitruvian man, while addressing the different aspects of passing time: getting older, moving forward and looking back. recalling venice as the epicentre of looking-glass manufacture once upon a time. »

Marteen Baas himself – présent et absent à la Ca' d'Oro


Du côté de la Ca' Rezzonico (invraisemblablement belle, comme toujours, ci-dessus) nous nous sommes attardés sur ce tableau de Francesco Guardi – qui nous permet de placer ici une petite analyse de derrières les fagots les quadrillages :


Il s'agit du Parloir des religieuses de San Zaccaria. On notera que ces dernières sont séparées des visiteurs par une étrange grille/quadrillage (détails ci-dessous) :


Comment ne pas penser aux exercices de perspectives d'Albrecht Dürer, réalisés vers 1530 – soit 2,3 siècles plus tôt ? Guardi ferait-il un éloge discret de son savoir-faire à travers cette sorte de (re)mise au carreau ?



La suite après Donnie Darko, ce soir au Kinograph (lieu à nous inconnu à Bruxelles ; il s'agit d'un pop-up cinéma qui vivra deux ans, à l'intérieur d'une friche immense – celle où se trouvaient la police et la gendarmerie de Bruxelles ; le nouveau propriétaire rasera tout pour y construire des logements – d'étudiants, entre autres, car nous sommes tout près de l'université).


Voilà, excellent film vu hier soir vendredi, dans une très bonne salle avec une projection somptueuse et un Gyllenhaal impeccable.


On continue en ce samedi midi 28 septembre 2019 la recension des dernières expos à Venise... Et d'abord celle du UNHCR – lequel a aussi son pavillon pendant cette Biennale (Haut comité aux réfugiés des Nations unies).


La maison a retenu le travail de Aï Weiwei (propice aux selfies, évidemment), celui de Boltanski (in situ, inquiétant et profond), celui de Abu Bakarr Mansaray sur le virus ebola et la performance de Bianca Balti, défilant partout, habillée seulement d'une tente de réfugiés :

Aï Weiwei, One millimeter taller than the original Rothko "black, black on wine, 1968", Lego panel, Courtesy of the artist

Mark Rothko (American, 1903–1970)
Title: Black, black on wine, 1968
Medium: acrylic on paper laid on panel
Size: 84.4 x 65.4 cm.

Rappelons que le nom donné à cette expo est : « Rothko à Lampedusa » – voici pourquoi (en italien) :

> “Rothko in Lampedusa” espone opere di artisti affermati come Ai Weiwei e di cinque artisti emergenti e rifugiati provenienti dalla Siria, Iran, Iraq, Costa d’Avorio e Somalia.

> “La domanda alla base della mostra è che forse perderemo il Rothko del 21° secolo se non diamo (un’opportunità) a queste persone, rifugiati e migranti, che arrivano in Europa”, ha detto la curatrice della mostra Francesca Giubilei.

> Mark Rothko è fuggito negli Stati Uniti nel 1913, a causa delle persecuzioni nel suo paese, l’attuale Lettonia. E’ poi diventato uno degli artisti più famosi del 20° secolo. La piccola isola di Lampedusa, tra la Sicilia e la Tunisia, è stata un luogo di accoglienza chiave per i rifugiati ed è vista come un simbolo della crisi dei rifugiati.


Christian BoltanskiMer dorée, 2017

Dans une petite pièce sombre comme une nuit sans lune (ci-dessus) sont figurées les vagues de la Méditerranée sous forme de couvertures de survie. Cette photo ne restitue pas vraiment la puissance du travail de l'artiste.

Abu Bakarr Mansaray, Ebola Virus Missile Industry, 2017

(photos tirées du dossier de presse)

(photos de la vidéo de Bianca Balti, Dress for our Times, 2019)

Arrivée à Venise de la barque de réfugiés exposée par Christoph Büchel à l'Arsenal

Nous avons aimé par ailleurs l'expo Arshile Gorky – encore un migrant, lequel échappa au génocide arménien de 1915 – à la Ca' Pesaro. Elle s'est achevée le 22 septembre 2019.

Quelques tableaux en vrac – et le texte d'Harry Bellet, dans le Monde du 31 mai 2019 :


Arshile Gorky à la Galerie internationale d’art moderne

Portrait de moi-même et de ma femme imaginaire, Arshile Gorky, huile sur carton. 
Musée Hirshhorn, Smithonian, Washington DC.

> Aussi curieux que cela puisse paraître, Arshile Gorky (1904-1948) n’avait jamais eu de rétrospective en Italie. À Venise, c’est près de 80 œuvres qu’ont sélectionnées l’historienne d’art Gabriella Belli et Edith Devaney, conservatrice à la Royal Academy de Londres.
> Tout en présentant un caractère rétrospectif, l’exposition pointe une tendance qui est généralement comprise comme un défaut dans son œuvre, au point qu’on a pu la qualifier de pastiche : à ses débuts, Gorky, dessinateur surdoué, a tenté de percer les secrets de ses devanciers. Il regarde successivement, et avec attention, Cézanne, puis Picasso, Braque, Léger, et enfin Miro. Au point que, en 1932, le galeriste Julien Levy, auquel il montrait son travail, lui aurait déclaré qu’il l’exposerait peut-être, mais quand il ferait du Gorky



> Mais même dans ses œuvres les plus proches de ses sources d’inspiration, résonne une petite musique bien à lui. En retour, son propre travail fut attentivement scruté par d’autres, plus jeunes, comme De Kooning. André Breton, qui l’avait qualifié « d’hybride », avait eu une bonne intuition. Rares sont ceux qui, comme lui, font aussi clairement le pont entre le surréalisme et l’expressionnisme abstrait américain. [Ha. B.]



Au palazzo Giustinian Lolin (où nous avons logés pendant des années avec les enfants – car pas cher et à 30 secondes du pont de l'Accademia) nous avons vu les pavillons bulgares et portugais.

RAS, les images et le dossier de presse bulgares sont là.
Leonor Antunes (ci-dessous pour le Portugal) était un chouïa plus intéressante, son dossier est ici.



... Voilà, c'est tout pour la Biennale 2019– ajoutons un dernier fichier pour saluer la ville avec quelques souvenirs perso, et lui dire à la prochaine, en 2021, si tout va bien.

Et si le point de vue d'Élisabeth Lebovici sur cette manifestation vous intéresse (moi oui, toujours !-), voici deux liens menant vers son blog Le Beau Vice :
lien 1
lien 2



Autel privilégié, g. n. m.
(termes latins : altare animarum, altare privilegiatum)

Autel auquel sont attachées par une autorité religieuse, généralement le Saint-Siège, des indulgences particulières en faveur des âmes des défunts pour lesquels on dit la messe. Le privilège est perpétuel ou temporaire, quotidien ou non. L’autel porte généralement une inscription du type "Autel privilégié" ou "Altare privilegiatum quotidianum perpetuum" ou encore "Altare privilegiatum pro defunctis", etc.














































































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