Wesselmann, stuffable numbers, taupes et termites

Dropped Bra, Tom Wesselmann, 1988
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24 novembre 2018, 14:00


Tombé sur cette formidable sculpture de Tom Wesselmann grâce à un article d'Erik Verhagen dans l'indispensable artpress de décembre (2018) :

J'ai googlé « Dropped Bra» et trouvé des dizaines d'images différentes de cette Bra – dont la série des « Tiny » :


Celle qui se trouve dans les jardins du Contemporary Museum d'Honolulu (ci-dessous), date de  1980  :


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24 novembre 2018, 14:15

Sinon j'ai eu l'idée des stuffable numbers il y a quelques semaines ; prenons 2018 par exemple et décidons de l'ouvrir :

2018 devient 2..01.8 (deux espaces après le 2, aucun espace après le 0, un espace après le 1, rien après le 8 — et, en général, k espaces après chaque chiffre k, sauf le dernier) .

On place ensuite un nombre dans les espaces libre, par exemple 136 :
2..01.8 devient 2130168 

On appellera 136 la farce, et 2130168 le farci. Si la farce divise le farci, l'entier de départ est un stuffable number (c'est le cas ici car 2130168 divisé par 136 donne 15663).

Remarques : aucune farce ne peut commencer par zéro. 
Et certains stuffables admettent plusieurs farces – par exemple 20 :

20 devient 2..0 et les farces suivantes divisent bien leurs farcis respectifs :
2100 divisé par 10 donne 210
2160 divisé par 16 donne 135
2200 divisé par 20 donne 110
2250 divisé par 25 donne 90
2400 divisé par 40 donne 60
2500 divisé par 50 donne 50

Question : quelle serait la suite des stuffables ? Elle commencera par 10, puis 11, puis 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19 (tous pouvant être farcis par 1 au moins), puis 20, 21 (farce 23), 22 (farce 11), mais pas 23 (impossible à farcir, semble-t-il.
D'autres suites sont possibles sur ce principe – et nous invitons nos lecteurs à les imaginer et les soumettre à l'OEIS.

[Sur ces entrefaites, Jean-Marc F. a produit le tableau suivant, avec N représentant les entiers de 10 à 90 qui sont stuffables (s'ils sont en jaune) et non stuffables (s'ils sont incolores, comme 23) ; avec les plus petites farces (colonne Sf) pour chaque nombre N ; avec les farcis (colonne Sd) ; et tout à droite le quotient Sd/Sf qui est un nombre entier (par définition) ; la colonne tout à gauche indique le numéro de chaque ligne du tableau] :



 Sf  Sd
n N Stuff Stuffed Sd/Sf
1 10 1 110  110
2 11 1 111  111
3 12 1 112  112
4 13 1 113  113
5 14 1 114  114
6 15 1 115  115
7 16 1 116  116
8 17 1 117  117
9 18 1 118  118
10 19 1 119  119
11 20 10 2100  210
12 21 23 2231  97
13 22 11 2112  192
14 23 0 0
15 24 12 2124  177
16 25 0 0
17 26 17 2176  128
18 27 0 0
19 28 0 0
20 29 41 2419  59
21 30 100 31000  310
22 31 0 0
23 32 0 0
24 33 137 31373  229
25 34 577 35774  62
26 35 353 33535  95
27 36 0 0
28 37 811 38117  47
29 38 121 31218  258
30 39 0 0
31 40 1000 410000  410
32 41 0 0
33 42 1227 412272  336
34 43 1487 414873  279
35 44 9091 490914  54
36 45 2963 429635  145
37 46 0 0
38 47 0 0
39 48 2381 423818  178
40 49 0 0
41 50 10000 5100000  510
42 51 35461 5354611  151
43 52 18797 5187972  276
44 53 46729 5467293  117
45 54 0 0
46 55 49505 5495055  111
47 56 10142 5101426  503
48 57 27933 5279337  189
49 58 13624 5136248  377
50 59 10661 5106619  479
51 60 100000 61000000  610
52 61 397351 63973511  161
53 62 0 0
54 63 952381 69523813  73
55 64 113852 61138524  537
56 65 166205 61662055  371
57 66 909091 69090916  76
58 67 472441 64724417  137
59 68 326087 63260878  194
60 69 0 0
61 70 1000000 710000000  710
62 71 0 0
63 72 1994302 719943022  361
64 73 0 0
65 74 1446281 714462814  494
66 75 1686747 716867475  425
67 76 0 0
68 77 5882353 758823537  129
69 78 0 0
70 79 0 0
71 80 10000000 8100000000  810
72 81 11994003 8119940031  677
73 82 31496063 8314960632  264
74 83 11816839 8118168393  687
75 84 0 0
76 85 0 0
77 86 0 0
78 87 17130621 8171306217  477
79 88 10989011 8109890118  738
80 89 77669903 8776699039  113
81 90 1000000000 91000000000 910

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24 novembre 2018, 14:30

Double de la finale de la Coupe Davis en cours, Nicolas Mahut + Pierre-Hugues Herbert contre Mate Pavic + Ivan Dodig – j'y vais.


Victoire française, ok – mais demain la Croatie gagnera probablement la (dernière) Coupe Davis.
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24 novembre 2018, 20:45

Vu que la 11e partie du Championnat du monde d'échecs s'est encore terminée par une nulle. La dernière des 12 (avant les rapides, puis les blitz éventuelles) sera pour lundi.


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24 novembre 2018, 20:50


Ces taupes, signalées par Marco L., m'ont fait mourir de rire :




L'histoire est racontée aussi par ce site-ci, avec explication de la Maulwurf allemande du tableau ci-dessous, consacré aux « Unités de base » ; on peut le retrouver là :


Merci Marco, tu as fait ma journée !

[Mise à jour avec ces captures d'écran du site de Vers l'Avenir, avant et après correction !] : 

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24 novembre 2018, 21:15


Après les taupes, les termites du Monde :

Des termites ont construit une « structure » aussi vaste que la Grande-Bretagne

L’œuvre, qui a commencé il y a près de quatre mille ans, a été découverte dans le nord-est du Brésil. Le bâtisseur est un termite dont la taille ne dépasse pas 1,3 cm

Ils se dressent, mystérieux, sur une étendue de 230 000 km2 dans le nord-est du Brésil, dans une région encore épargnée par l’agriculture intensive. Deux cents millions de monticules de terre d’environ 2,5 m de haut, fruit du travail patient d’une colonie de termites depuis près de quatre mille ans, ont été découverts par une équipe de biologistes britanniques et brésiliens.

Il s’agit de « la plus grande structure construite par une seule espèce d’insecte jamais découverte à ce jour », selon les chercheurs, qui ont publié lundi 19 novembre les résultats de leur étude dans la revue scientifique Current Biology.

4 000 pyramides de GizehAu total, précise l’article, les termites ont déplacé 10 kilomètres cubes de terre – l’équivalent de 4 000 pyramides de Gizeh –, répartis sur la superficie de la Grande-Bretagne… ou la moitié de celle de la France métropolitaine.

Le tout a été accompli depuis l’époque de l’Egypte ancienne par une espèce de termites appelée Syntermes dirus, dont la taille ne dépasse pas 1,3 cm. Pour obtenir cette datation, les chercheurs ont prélevé de la terre sur 11 murundus – le nom que les habitants donnent à ces monticules –, et recouru à une technique permettant de déterminer la dernière exposition au soleil des échantillons. Résultat : le plus jeune avait 690 ans et le plus vieux… 3 820 ans. Une ancienneté cependant comparable à des termitières étudiées en 2015 par un autre groupe de chercheurs.

Mais à la différence de ces dernières, ces structures brésiliennes ne sont pas des nids (à la forme caractéristique de cheminée, utilisée pour aérer les espaces de vie sous terre) : elles sont formées par les éjections des tunnels creusés par les insectes pour relier leurs nids aux zones de nourriture. « Ce sont juste des tas de gravats », explique Roy Fanch, l’un des chercheurs, au magazine américain The Atlantic.

Google Earth et déforestation
Cet impressionnant chantier était longtemps resté dissimulé par la végétation de cette région semi-aride. Mais les récents effets de la déforestation en ont mis au jour les contours. Au point que Roy Fanch est parvenu à estimer l’étendue de ces monticules – d’un diamètre de 9 m environ – en utilisant des images satellites. « Avant, on voyait juste du vert et du marron. Mais depuis environ huit ans, Google Earth a amélioré la qualité de ses images et j’ai pu reconnaître sur les photos satellites les monticules que j’avais vus depuis la terre ferme », explique-t-il à The Atlantic.



Les monticules sont visibles sur Google Earth.Jusqu’à il y a quelques années, cet espace avait été peu façonné par l’homme. Il y a bien quelques villes et villages ici et là, sur les 230 000 km2 que recouvrent les murundus. Mais la terre du nord-est du Brésil, semi-aride, est peu propice à l’agriculture, laissant de vastes étendues inhabitées autour des constructions des termites.



Cette cohabitation pacifique arrive peut-être à son terme. La déforestation de ces terres, pourtant peu arables, lentement amorcée il y a quelques années, risque de s’accélérer sous le mandat de Jair Bolsonaro, élu à la tête du Brésil le 28 octobre. Pendant la campagne électorale, il avait promis d’en finir avec l’« activisme écologiste chiite » (dans son vocabulaire, « chiite », vidé de son sens religieux, est synonyme de radicalisme), en allégeant notamment les procédures pour délivrer des permis miniers et forestiers.

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24 novembre 2018, 21:30

Retour sur l'IA-qui-peint (affaire évoquée par nous ici, le 26 octobre dernier, à 15:45), avec un article du Monde qui part dans tous les sens .

Demain, l’art sans artiste ?

La première œuvre produite par une intelligence artificielle a été adjugée à plus de 430 000 dollars à New York, fin octobre. Depuis, le trio de copains à l’origine du projet est sous le feu des critiques.
Par Laurent Carpentier, publié le 23/11/2018


« Portrait d’Edmond de Belamy », 
« première œuvre ­produite par une intelligence artificielle » 
adjugée pour 380 500 €, à New York, le 25 octobre. 

Ils ont coupé leur téléphone, ignorent les demandes d’interview. Hugo ­Caselles-Dupré, Gauthier Vernier et Pierre Fautrel, 25 ans, n’avaient pas vraiment anticipé la tempête qu’ils ont soulevée. Depuis la vente de leur Portrait d’Edmond de Belamy, le 25 octobre, chez Christie’s, à New York, pour 432 500 dollars (380 500 euros) – « première œuvre ­produite par une intelligence artificielle », comme l’a écrit la salle de vente –, ces trois copains d’enfance, qui ont créé sur leur canapé Obvious, la petite structure auteure du tableau, ont découvert la rançon du succès. « On nous a accusés de plagiat, d’imposture, on a dit qu’on ne s’intéressait qu’à l’argent, on en a pris plein la figure », raconte Pierre Fautrel, alors qu’après moult hésitations, il accepte enfin de nous rencontrer.

Le principe est simple. On nourrit une intelligence artificielle à partir d’une banque d’images. En l’occurrence, 15 000 portraits classiques allant du XVe au XXe siècle. On imprime sur toile, on met un cadre doré. Le logarithme [sic !] s’appelle GAN, pour Generative Adversarial Networks. Son principe a été mis au point il y a quelques années par Ian Goodfellow, un étudiant de Montréal aujourd’hui chez Google. Soit deux réseaux de neurones artificiels qu’on oppose. D’un côté, le faussaire. De l’autre, l’expert. A chaque fois que l’expert met le faussaire en défaut, ce dernier s’améliore, s’éloigne de ce qui existe pour créer une œuvre plus originale. C’est ainsi que naît la première « collection » ­d’Obvious : onze portraits d’une famille imaginaire, les Belamy, produit par un cerveau sur circuits imprimés. Réaction du milieu de l’art, volontiers assassin : « C’est d’un laid ! »

« Regardez : figure paternelle, académisme… c’est l’art bourgeois par excellence », s’amuse la philosophe Manuela de Barros, spécialiste des relations entre arts, sciences et techniques à Paris-VIII. Un académisme revendiqué : « On voulait un truc simple, qui parle à tout le monde, précisent les impétrants. Un portrait classique. Parce que tout le monde en a vu un dans un livre d’histoire ou un musée. »

« C’est compliqué pour eux », s’inquiète ­Nicolas Laugero, directeur de l’Icart, école de médiation culturelle et du marché de l’art. Il y a un an, ce collectionneur, qui a ouvert (à l’Ecole 42, à Paris) un musée de street art, voit débarquer le trio, qui lui raconte le projet. Ils ont 25 ans, ont grandi ensemble à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine), une banlieue doucement bourgeoise. Deux étudiants en école de commerce et un thésard scientifique, qui croient dur comme fer à leur idée : utiliser une intelligence artificielle pour produire une œuvre classique qu’ils ont pour l’instant mise en vente sur eBay – « On se pensait géniaux », rigolent-ils – sans éveiller aucun intérêt.

Des « pirates en mode start-up »
Le collectionneur tombe sous le charme, achète la toute première œuvre de leur série, Le Comte de Belamy (« Le grand-père ­d’Edmond », sourit-il), pour 10 000 euros, et les prend sous son aile. « Comme avant eux, les tenants de l’art urbain, à peine sortis des écoles, ces jeunes brûlent les étapes, explique-t-il. Il y a chez eux la même envie un peu pirate d’en découdre, de bousculer les codes… Et ils opèrent en mode start-up ; ça, c’est nouveau, c’est pour ça que ça va vite, cela crée une sorte de hold-up mais en même temps, ils ouvrent des portes. Cette énergie, cela fait du bien. »

Qu’est-ce que l’intelligence ? Qu’est-ce qui est à l’œuvre dans le processus de création ? Les machines nous renvoient à nous-mêmes. « Elles nous posent de bonnes questions. Et on a intérêt à se les poser vite », constate Laurence Bertrand Dorléac, historienne de l’art à Sciences Po. Elle qui fut co-commissaire de l’exposition « Artistes & Robots », ce printemps au Grand Palais, à Paris, raconte comment un jour, alors qu’y était organisé un petit déjeuner pour le New York Times, l’énorme grappin de pelleteuse, mis en mouvement par l’artiste Arcangelo Sassolino, s’est déréglé. « Cette espèce de crabe géant et métallique s’est mis à défoncer le ­muret. 

J’avais peur que l’exposition soit tech­nophile, confie l’historienne. De manière contre-intuitive, je me suis aperçue que les ­robots étaient fragiles. Je suis sortie de cette aventure en regardant ce qu’il y avait de robot chez moi, et non le contraire. Deleuze disait : “Ce qu’on aime chez nos amis, c’est leur part de folie” ; moi, ce que j’aime chez les robots, ce sont leurs dysfonctionnements. »

Peut-on imaginer l’art sans l’artiste ? C’est le premier crime d’Edmond de Belamy que de le laisser entendre. « Produire des stimuli imprévisibles, c’était ça le rôle de l’artiste, non ? », interroge Jean-François Bonnefon, chercheur en psychologie à l’école d’économie de Toulouse, invité pour un an au Massachusetts Institute of Technology (MIT), où ses travaux sur les choix moraux opérés par les voitures autonomes ont été remarqués : « Un “bot” – un programme ou un robot – ne fait que répondre à des consignes qu’on lui a données. Mais c’est une boîte noire. En art, ce qui est marrant, c’est quand, dans la poursuite du but qu’on lui a donné, il crée quelque chose qui nous échappe. »

On n’est pas très loin des cadavres exquis des surréalistes, du dripping de Jackson Pollock ou des dessins tracés par Henri Michaux sous mescaline. Sérendipité. La surprise de l’accident. Grégory Chatonsky est artiste-chercheur à l’Ecole normale supérieure : « La paréidolie, explique-t-il, cette capacité à transformer les bruits visuels en une représentation bien organisée, c’est ce que notre cerveau, comme la machine, fait tout le temps. »

On opposera que l’art, c’est la culture, et la culture, c’est ce qui s’hérite, se transmet, se cumule… Or, la machine n’est pas cumulative, on la nourrit. « Il n’y a rien de plus simple pour une machine que d’apprendre d’une autre, contredit le chercheur. Et si on définit l’artiste comme quelqu’un qui reprend en charge l’ensemble de tout ce qui s’est passé et le reproblématise, c’est exactement ce que font les intelligences artificielles. » L’homme a étudié la philosophie avec Lyotard, avant de diverger vers les Beaux-Arts, d’enseigner dix ans à Montréal, pour revenir en France sur un programme de recherche sur l’imagination artificielle à l’Ecole normale. « On ne conçoit celles-ci que de manière anthropocentrique, en les comparant à nous. Ne pourrait-on pas imaginer une intelligence qui soit différente ? »

Big data
Pour créer, l’intelligence artificielle a besoin de big data, une somme suffisamment importante de données – de culture – pour l’imiter, l’apprendre, selon un fonctionnement statistique. C’est ce qu’on appelle le machine learning ou le deep learning. Or, notre civilisation hypermnésique a créé collectivement, sur Internet, une bibliothèque comme jamais encore l’humanité n’en a connu.

Le 17 juin 2015, Google met à disposition de la communauté de chercheurs DeepDream un programme de transformation de l’image par des neurones artificiels : « Ce jour-là, on découvre des images dignes d’une hallucination psychédélique : des pizzas avec des chiens et des mollusques… », raconte Grégory Chatonsky. Dans la foulée, Facebook et IBM sortent le code source d’algorithmes de réseaux de neurones. La communauté scientifique se lance massivement dans l’art plastique.

Quid de l’émotion ? N’est-ce pas ce qui nous différencie de ces aliens mathématiques ? « On observe surtout, pour l’instant, beaucoup de spéculation, intellectuelle ou financière, remarque Manuela de Barros. On a affaire à des gens hyperintelligents, qui ont un cadre positiviste, transhumaniste. Penser, comme ils semblent le dire, que tout se passe dans le cerveau, c’est oublier notre peau, notre mémoire… Ce sont des postures idéologiques. Si tout est calculable, alors cela fausse tout. »

Sciences humaines contre neurosciences. 
« Les émotions sont des impulsions électriques codées dans notre cerveau. Que celles-ci soient dans de la silicone plutôt que dans des protéines, je ne suis pas sûr que cela change quoi que ce soit, lance Jean-François Bonnefon. On peut d’ailleurs entraîner une machine à provoquer des émotions chez un humain : c’est ce qui a été fait avec les émoticones dans DeepMoji. Non, la vraie différence, c’est que nous sommes récursifs. Nous ressentons les choses et nous pouvons les décrire. A l’infini. Cela semble d’ailleurs inépuisable, ce goût que nous avons pour la description des émotions. L’amour, la peur… Un “bot”, lui, peut y être entraîné, mais cela ne l’intéresse pas plus que ça. Rien ne le pousse à faire de l’art : il n’a pas besoin de se divertir de l’idée de la mort, il n’a pas la nécessité de devenir célèbre, de séduire ou de créer quelque chose qui va lui survivre. »

« Créer notre résurrection future »
Grégory Chatonsky, l’artiste chercheur en intelligence artificielle à l’ENS, présentera, au printemps 2019, au Palais de Tokyo, Terre seconde à partir d’images satellites : « Un monument à la Terre disparue. Tout ce qui resterait serait une machine qui, avec toutes nos données Internet, essaye de se souvenir de tout ce que nous avons été. Hantés par notre propre fin, nous sommes peut-être en train de créer notre résurrection future. La question centrale du deep learning, c’est la résurrection. » Ainsi, lorsque le jeune Roman Mazurenko meurt, renversé par une voiture à Moscou, en 2013, sa meilleure amie, ­Eugenia Kuyda, installée en Californie avec sa start-up, Luka, décide d’utiliser les milliers de messages que le jeune homme a envoyés à ses parents et amis pour créer une intelligence artificielle avec laquelle il est possible aujourd’hui de dialoguer. Bienvenue dans l’au-delà.

Qu’il s’agisse de peinture, de musique ou de littérature, les « bots » pratiquent un art conceptuel. Pour The Road (Jean Boîte ­Editions) – « premier livre écrit par une intelligence artificielle » (la « première fois » étant le b.a.-ba de tout marketing du genre), Ross Goodwin a équipé une voiture de différents capteurs (logiciel de géolocalisation, horloge, caméras sur le capot, microphone dans l’habitacle…) à partir desquels la machine a écrit un long poème proprement illisible et répétitif, comme un trip sous LSD.

« Après, comment on crédite ? s’interroge Jean-François Bonnefon. La notion d’auteur est compliquée quand tu as pris un bout de code ici, une base de données là… » Ces réseaux de neurones sont rarement – comme dans The Road – seuls à bord. Ils servent le plus souvent d’aiguillons ou d’outils (une suite de Harry Potter soi-disant écrite par une intelligence artificielle a en réalité été retravaillée par des cerveaux humains). Pour autant, la question risque de devenir centrale. Que se passe-t-il quand deux machines obtiennent des résultats approchants ?

« Bel-Ami » ? Inconnu au bataillon
Sur Twitter, le jeune Robbie Barrat, alias Dr Beef, tout juste sorti du lycée mais déjà pionnier de ce genre artistique, s’est mis à crier au plagiat sitôt qu’il a compris ce qui se passait chez Christie’s, montrant sur le réseau social certaines de ses œuvres antérieures. Pourtant, les auteurs du Portrait d’Edmond de Belamy ne se sont jamais cachés de leurs emprunts. N’ont-ils pas baptisé leur œuvre en hommage à l’auteur du GAN, Ian Goodfellow (« bel ami ») ? En avril, Robbie Barrat aurait répondu positivement, disent-ils, à leur demande (« que nous avons faite pour la forme ») d’utiliser à des fins artistico-commerciales son code mis en open source.

Au fond, ce que le milieu leur reproche, c’est d’avoir privatisé une expérience collective en rompant une éthique non dite : celle de mettre leur code en libre accès. « Personne ne part d’une page blanche dans le monde du machine learning. L’open source fait avancer la recherche, c’est génialissime, s’étonne Pierre Fautrel. Mais nous, on ne fait pas de la recherche, on commercialise. » C’est le deuxième crime d’Edmond de Belamy : que se passe-t-il si, à « l’époque de la reproductibilité technique », pour reprendre les termes célèbres de Walter Benjamin, on se met à breveter les arts plastiques ?

Le trio d’Obvious maîtrise mieux les éléments de langage marketing que ceux de l’esthétique. Quand on rappelle à Pierre Fautrel que Bel-Ami, c’est aussi ce héros de Maupassant, figure de l’arriviste, qui se laisse porter jusqu’au faîte de l’échelle sociale en jouant de ses maîtresses, de ses réseaux, des jeux de pouvoir et d’argent, le jeune homme sourit derrière sa barbe : « Oui, on a vu ça après. On n’est pas des littéraires. »

Coup de pub ou coup de génie ?, s’interroge un historien du Louvre, qui, pour des raisons de devoir de réserve, préfère rester anonyme : « Ils ne sont pas dans l’imposture mais dans le disruptif. Moi, c’est le concept qui m’amuse. Une œuvre d’art n’est ni le ­reflet ni le témoin d’une société, mais son produit. En cela, celle-ci est intéressante. Et son académisme est aussi ce qui la légitimise. » En attendant, la petite start-up est invitée partout, à Miami, à Londres, à Helsinki, et se cherche une galerie pour la représenter. Pierre Fautrel rajuste sa casquette de base-ball : « Bon, déjà on va se payer un nouveau canapé. »
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24 novembre 2018, 21:50

J'aime beaucoup les odes à l'IA où l'auteur confond « logarithme » et« algorithme », comme dans l'article ci-dessus (remonter à sic !) J'ai fait une capture d'écran du site du Monde ce matin pour qu'on ne me suspecte pas d'voir « arrangé » cette histoire :




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24 novembre 2018, 21:55

Sinon cette brève qui ne m'étonne qu'à moitié :
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24 novembre 2018, 22:00

Willem, Dumézil (grossier) et Lévy-Strauss (rétrograde) :


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24 novembre 2018, 22:10

Et une dernière louche d'IA avec ces « Robots tueurs » vus dans le Monde aussi – lesquels m'impressionnent beaucoup moins que l'incroyable nom de l'auteur recensé par Catherine Vincent !

Les robots et l’art de la guerre

Faut-il craindre le remplacement des soldats par des machines ? Quelles conséquences aurait cette rupture ? La jeune philosophe Marie-des-Neiges Ruffo de Calabre tente de répondre à ces questions, et son essai nous entraîne loin dans la réflexion.
Par Catherine Vincent 

Parmi toutes les utilisations possibles de l’intelligence artificielle, celle qui pose les problèmes éthiques les plus graves concerne les « systèmes d’armes létaux autonomes » (SALA), plus connus sous le nom de « robots tueurs ». Il ne s’agit pas de science-fiction : ils existent déjà dans nombre de laboratoires militaires. En 2017, une centaine d’entrepreneurs et de chercheurs de renom s’en sont inquiétés dans une lettre ouverte à l’ONU, laquelle a réuni ses experts en avril pour discuter de l’encadrement, voire l’interdiction de ces armes létales. Depuis, la recherche continue. Notamment en Chine, en Russie et aux Etats-Unis, lancés dans une compétition intense sur le champ de la robotique militaire.

Faut-il craindre le remplacement des soldats par des machines ? Quelles conséquences aurait cette rupture majeure dans l’art de la guerre ? Constituerait-elle, comme l’espèrent ses défenseurs, une nouvelle arme de dissuasion à même de garantir la paix ? Entraînerait-elle au contraire des frappes à l’aveugle et des risques accrus d’infraction au droit international humanitaire ? Plus globalement, peut-on laisser un programme informatique décider d’enjeux de vie et de mort ? C’est à ces questions que tente de répondre la jeune philosophe Marie-des-Neiges Ruffo de Calabre dans Itinéraire d’un robot tueur. En bonne dialecticienne – sa thèse portait sur les problèmes éthiques posés par les SALA –, l’auteure se garde de répondre de manière tranchée. Mais son essai nous entraîne loin dans la réflexion, et de façon d’autant plus plaisante qu’elle propose un très astucieux mode de voyage.

Des joutes verbales étayées et souvent savoureuses
Le robot et l’humain se lancent un défi : le meilleur combattant remplacera l’autre à la guerre. Pour savoir qui sera le vainqueur, tous deux devront parcourir un itinéraire en trois étapes : l’agora des philosophes (le robot peut-il être un agent moral ?), le tribunal des avocats (quel statut juridique, quelle responsabilité pour une machine intelligente ?), le champ de bataille des militaires (tuer sans risque, est-ce encore une « guerre juste » ?) Sur chacun de ces lieux, une foule de penseurs, de scientifiques et de généraux, morts depuis longtemps ou on ne peut plus vivants, vont être conviés à défendre la cause de l’un ou de l’autre… et c’est fou ce qu’ils ont à dire !

Durant ces joutes verbales étayées et souvent savoureuses, tous les jeux sont possibles : Hannah Arendt répondra à Albert Einstein, Aristote à Alan Turing, Elon Musk à Clausewitz. Progressant pas à pas dans ce foisonnement intellectuel, le lecteur n’en ressort pas forcément avec les idées claires, mais à tout le moins convaincu de la complexité et de la gravité du sujet. Et tout prêt à épouser le point de vue du cybernéticien Heinz von Foerster (1911-2002), dont l’impératif éthique pourrait se résumer ainsi : « Agis toujours de manière à augmenter le nombre de choix. » On ne vous en dira pas plus.

Itinéraire d’un robot tueur, de m.d.n. Ruffo 
Le Pommier, 200 pages, 17 euros.
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24 novembre 2018, 22:15

On termine avec ceci (on vous en parlait en fin de ce fichier-ci), qui montre que les humains en tiennent une solide couche aussi :




Le feuilleton Fañch rebondit.

Le parquet général de Rennes a formé, jeudi 22 novembre, un pourvoi en cassation après la décision de la cour d’appel d’autoriser le petit Fañch, 19 mois, à garder son tilde, un signe utilisé dans les prénoms bretons. « En l’état des textes, le tilde n’est pas reconnu comme un signe diacritique [qui, ajouté à une lettre de l’alphabet, en modifie la prononciation] de la langue française », estime le procureur général près la cour d’appel de Rennes dans un communiqué.

À la naissance de Fañch le 11 mai 2017, l’officier d’état civil de Quimper (Finistère) avait refusé de retenir l’orthographe bretonne, avant d’être désavoué par l’adjointe au maire, Isabelle Le Bal (MoDem). Le procureur était alors intervenu en saisissant le tribunal de Quimper au nom du respect de la langue française.

Seize signes utilisables dans l’état civil
Dans son jugement du 13 septembre 2017, le tribunal avait estimé qu’autoriser le tilde reviendrait « à rompre la volonté de notre Etat de droit de maintenir l’unité du pays et l’égalité sans distinction d’origine ». Le tribunal avait notamment appuyé sa décision sur la circulaire du ministère de la justice du 23 juillet 2014, qui établit une liste limitative de seize signes (accent, tréma, cédille, etc.) pouvant être utilisés dans l’état civil.

Mais pour la cour d’appel de Rennes, l’usage du tilde « n’est pas inconnu de la langue française ». Il figure dans plusieurs dictionnaires (Académie française, le Petit Robert ou encore le Larousse de la langue française) et est aussi utilisé par l’Etat dans des décrets de nomination dans les patronymes de personnes nommées par le président de la République.

« Il s’agit, certes, pour ces dernières décisions de l’emploi du tilde sur le n du patronyme de la personne nommée, toutefois l’emploi du tilde sur un prénom, qui désigne le nom particulier donné à la naissance, qui s’associe au patronyme pour distinguer chaque individu, ne peut être traité différemment sous peine de générer une situation discriminatoire », a conclu la cour d’appel.

La cour d’appel avait, par ailleurs, rappelé que le prénom Fañch avec son tilde a déjà été accepté auparavant par le procureur de la République de Rennes en 2002 mais aussi par l’officier d’état civil de la Ville de Paris en 2009.
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24 ñovembre 2018, 22:22

Lectures sur papiers, ouf !













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