Rebecca Horn +
Disparition de Rebecca Horn : ses mues d’amour (Libération)
L’emblématique artiste et performeuse allemande est décédée vendredi 6 septembre à l’âge de 80 ans. Elle laisse une oeuvre intense où corps et machines se métamorphosent dans des créations cruelles et humoristiques.
Si une image forte reste, c’est la licorne de Rebecca Horn, une œuvre montrée à la cinquième Documenta de Cassel. Cette performance d’une femme nue coiffée d’une longue et fine corne blanche, sanglée grâce à un corset – corset qui rappelait celui de la Colonne Brisée de Frida Kahlo – fit connaître l’artiste allemande, morte vendredi 6 septembre. Rebecca Horn est décédée à l’âge de 80 ans dans sa résidence de Bad König, en Allemagne, là où elle est née, là où son grand-père a fondé une laiterie, là où son père a construit une usine textile et là où, sur le tard, elle a installé son atelier après avoir beaucoup voyagé.
Rebecca Horn la licorne – Einhorn (1970) – performait cette créature légendaire ou la faisait jouer à d’autres. Mais son œuvre, centrée autour du corps, ne se réduit pas à cette action, aussi filmée, qui avait initialement perturbé les chasseurs, «tombés de leur bicyclette» face à la créature, comme elle aimait le raconter. Dans son art, volontairement déstabilisateur, personnes et objets se transforment grâce à des prothèses ou à des mariages d’objets inattendus dans des performances, films, sculptures et installations. Héritière du surréalisme, Rebecca Horn fut surtout une chorégraphe de la transformation, une artiste de la métamorphose. Issue du body art, elle utilisait aussi des cornes de rhinocéros, des plumes de corbeau ou de flamant rose, des ailes de papillons pour des sculptures avec son propre corps ou pour la réalisation d’objets mécaniques.
Alitée près d’un an
Alimentées par des moteurs, ses célèbres petites machines miment encore des battements d’ailes, des articulations, des mouvements poétiques, mais aussi des gestes agressifs et tranchants. On trouve aussi des pinceaux, des petites cuillères, des louches, des machines à écrire, des violons, des couteaux aiguisés ou des fusils dans ses installations. Inquiétant, espiègle, l’art de l’Allemande flirte avec le comique de Buster Keaton (qu’elle adorait) et la poésie de Man Ray et de Meret Oppenheim, son amie. Avec humour, elle pointait l’inutilité de ses œuvres animées : «Ce sont pas des machines à laver ni des voitures !» Dans son installation «Couper dans le passé» (1992), des portes attaquées par une lame qui tourne sur elle-même, on pouvait lire une référence à l’Allemagne et à sa propre histoire.
Rebecca Horn naît en 1944, à Michelstadt, sous le IIIe Reich. Alors qu’elle est enfant, ses parents, juifs, survivent en se cachant dans la Forêt-Noire. Grandir dans l’Allemagne d’après-guerre marque la future artiste, destinée à reprendre l’entreprise familiale. «On ne pouvait pas parler allemand, raconte-t-elle au Guardian en 2005. Les Allemands étaient détestés. Nous avons dû apprendre le français et l’anglais. Nous voyagions toujours ailleurs, parlant une autre langue.» C’est grâce à une gouvernante roumaine que la petite fille apprend à dessiner. Non suspect, le dessin alors est un langage universel qui lui permet d’exister.
Dans sa jeunesse, une autre expérience traumatique la marque et façonne son art. Etudiante aux Beaux-arts à Hambourg, Rebecca Horn est gravement empoisonnée. «J’ai été atteinte en 1967 d’une grave intoxication pulmonaire en réalisant mes premières sculptures en polyuréthane et fibre de verre. En 1964, j’avais 20 ans et je vivais à Barcelone, dans un de ces hôtels où l’on loue des chambres à l’heure. Je travaillais avec de la fibre de verre, sans masque, parce que personne ne disait que c’était dangereux, et je suis tombé très malade.» L’étudiante passe alors un an en sanatorium. Ses parents meurent et la jeune femme se retrouve toute seule, isolée. C’est alors qu’elle commence à réaliser ses premières sculptures corporelles pour dialoguer avec le monde extérieur. Alitée près d’un an, elle coud dans son lit.
Passion pour les automates
Cet accident grave éclaire sans doute ses premières formes artistiques, comme le cocon, qui lui permet de se protéger dans un éventail de plumes (La douce prisonnière, 1978). Elle explique aussi le film Finger Gloves (1972) et ses longues extensions de doigts noirs – bien avant les Griffes de la nuit ou Edward aux mains d’argent –, à Libération en 1995 : «Je m’étais, par exemple, confectionné une sorte de paire de gants dont la longueur était précisément calculée pour que, dans une pièce donnée, je puisse toucher les murs en étendant les bras. Cette pièce devenait ainsi mon propre domaine corporel. Tous mes travaux de jeunesse tournaient autour de la relation entre l’espace et le corps. J’avais aussi développé une sorte d’état de veille, une capacité à sentir le point de départ spatial d’une action déterminée. De ces réflexions est né un nouveau dialogue entre l’espace et la sculpture».
Si Rebecca Horn se met à utiliser pour la première fois un moteur, au début des années 80, et passe de la performance aux machines, c’est pour mieux simuler la parade du paon. Afin de remplacer la queue de l’oiseau lors d’un tournage, elle construit une ingénieuse machine pour le faire à sa place. C’est le début de sa passion pour les automates qui remplacent alors ses extensions corporelles. Commentaires poétiques et cruels d’un monde mécanisé, reflets de la condition humaine, ses petits objets se transforment alors en formes de vie intelligentes et autonomes, en âmes robotiques fragiles, vulnérables et sensibles.
Nomade, déracinée, exilée volontaire
Mais Rebecca Horn voit aussi les choses en grand. Plus tard, elle crée de spectaculaires installations dans des lieux chargés d’histoire, à Vienne en 1994, avec la Tour des sans-nom où des violons mécaniques jouent seuls en hommage aux réfugiés des Balkans ; dans le cadre de «Weimar, capitale européenne de la culture», en 1999, elle propose le Konzert für Buchenwald (Concert pour Buchenwald) où, dans un ancien dépôt de tramways, au milieu de cendres, un wagon circule avec fracas à côté d’instruments de musique inerte et empilés ; à Naples en 2002 où, sur la place du Plébiscite, elle installe 333 crânes en bronze surmontés de 70 auréoles de néon, non, sans déclencher des polémiques…
Nomade, déracinée, exilée volontaire, Rebecca Horn a vécu à Paris, Berlin, Majorque, New York et Barcelone, allant là ou l’art l’appelait et puisant son énergie dans son son expérience intime. En 2007, elle a finalement installé son studio dans l’usine familiale où la Fondation Moontower préserve désormais son œuvre. Après un accident cérébral en 2015, elle s’est éclipsée. C’était une des artistes allemandes les plus influentes.
Commentaires
Enregistrer un commentaire