Jeux gratuits (Tangente)

 
Les jeux gratuits

 En ces temps où se célèbre la frugalité, donnons quelques pistes pour jouer « gratuitement ». L’urbex, justement (ou exploration urbaine) consiste « à visiter des lieux construits et abandonnés par l’homme » (Wikipédia). Cette exploration peut se faire en solitaire ou en groupe et ne nécessite pratiquement aucun investissement – chaussures et vêtements mis à part. Le parkour, lui, est plus athlétique, c’est un « art du déplacement » (courses, sauts, escalades, équilibres…), lequel ne demande pas de matériel non plus mais une bonne condition physique. Le jeu de cache-cache (ou cligne-musette) est un classique qui peut se jouer en pleine nature comme dans une maison – nous vous laissons chercher en quoi consiste la variante « sardine ». Les animaux sont présents dans le jeu du Chat (ou touche-touche) comme dans Poules/Renards/Vipères et ne coûtent rien (ni nourriture, ni vétérinaire – on distingue cependant ces tribus par des écharpes ou des maquillages de même couleur). Il y a Pierre, Papier, Ciseaux (avec ou sans Puits) qui ne mobilise que la main (et le cerveau), comme le jeu de la Mourre (compter jusqu’à 3, montrer de 0 à 5 doigts d’une main, deviner la somme des doigts présentés), un passe-temps qui fut célébré par Cicéron lui-même. Ce dernier n’est pourtant pas évoqué dans le Memory Game auquel s’adonnent les petits génies du film Asteroid City : y sont cités Cléopâtre, Jagadish Chandra Bose, Antoni van Leeuwenhoek, Paracelse, Kurt Gödel, William Bragg (père), Lord Kelvin, Midge Campbell, Konstantin Tsiolkovski… et Darwin, Galilée, Karl Marx. Ce jeu linguistique (l’équivalent de notre Je pars au marché et mets dans mon panier…) est de la famille des Jacques a dit, des Charades, du Ni oui ni non, toujours efficaces… et gratuits. Mentionnons le Jeu de l’alphabet, qui peut se jouer en voiture (on choisit un thème puis chacun propose à tour de rôle un mot commençant par A, puis par B, puis par C, etc.)

Ces dernières activités semblent réservées aux enfants, mais ados et adultes ne sont-ils pas de grands enfants ? À eux de créer des variantes plus difficiles ou plus subtiles – comme l’illustre bien le  passionnant jeu de Moulin qui n’est, finalement, qu’une variante du Morpion – les deux pouvant d’ailleurs se jouer avec cailloux et coquillages sur une figure tracée dans la poussière. Les mêmes ingrédients (noix, graines, trous dans le sable ou dans une planche de bois) permettent des parties très raffinées au Mancala (il s’agit d’une famille de jeux à semis dont l’Awalé est le plus connu). Ambassadeurs demande à deux ou trois équipes distinctes de mimer un à un les items d’une liste de romans connus, de films, de musiques, de personnages réels ou fictifs : le thème et le niveau de la liste se modulent selon les participants. Plusieurs jeux se pratiquent uniquement avec des crayons et du papier, facilement disponibles : le Mastermind (prévoir une gomme), Points et carrés (à chaque tour le joueur marque de sa couleur le côté d’un ou plusieurs carrés du papier quadrillé), la Bataille navale (dans certaines variantes, les bateaux peuvent bouger), les Ponts (on relie par un arc de cercle deux régions du plan encore vierges), la Course sur papier (un circuit est dessiné sur du papier quadrillé, lequel il faut boucler en accélérant et ralentissant sa « voiture »).

Les meilleures économies se font certes quand on ne dépense rien – sauf du temps de réflexion. Pourtant la dématérialisation des jeux peut poser des problèmes. Dans le célèbre Joueur d’échecs de Stefan Zweig, les pièces se font remplacer d’abord par de la mie de pain, puis par… rien : Monsieur B. se met à jouer à l’aveugle… et finit schizophrène. Évoquons encore les labyrinthes invisibles de l’artiste Jeppe Hein : un mince casque sur les oreilles vous envoie un signal quand vous percutez une paroi immatérielle, dans un espace par ailleurs totalement vide (exposition au Centre Pompidou de septembre 2005). Il n’y a plus que du son, oui, mais tout un dispositif technique vous entoure, lequel doit être maintenu et surveillé. La virtualisation des univers ludiques semble pourtant inéluctable aujourd’hui (40% des humains s’y adonnent, plusieurs heures par jour, à égalité homme/femme) et la récente pandémie n’a rien arrangé. Le marché était de 330 milliards de dollars l’année dernière (surtout des jeux de tir) – dont 6 milliards d’euros rien que pour la France. Le virtuel coûte pourtant cher, comme nous l’avons vu, en infrastructures, en matériel, en électricité. Est-ce soutenable à long terme ? Soyons plus frugaux ! Trouverez-vous le jeu mentionné ci-dessus qui s’anagramme en Prairie, préaux, épices ? Et ce qui réunit ces dix jeux : blackjack, Nim, dominos, mah-jong, whist, tarot, canasta, rami, Uno, Dragon Ball Z ?

© Éric Angelini pour Tangente – août 2023

(4842 caractères, espaces compris)  



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