Venezia I (arrivée, Prada, Mocenigo, Dumas)
Une semaine dans la Sérénissime, bien préparée en amont grâce à moult revues et articles de presse sur l’art contemporain en général, la Biennale, la Mostra, etc. On y arrive de nuit.
Ex-Molino Stucky flou devenu Hilton (piscine sur rooftop à tomber) – mais trop à l’écart sur la Giudecca (et bien trop cher)
Nous avons demandé à qui appartenait ce yacht, décoré comme trois sapins de Noël à maxi empreinte carbone – sans réponse claire de l’équipe de nuit du vaporetto (qui nous emmenait du piazzale Roma aux Zattere)
On passe vers 23:00 devant cette nouvelle vitrine (louée par l’infâme Orlinski – lire le portrait de l’escroc ici, par Libé, tout en bas – on le retrouvera ailleurs dans Venise, squattant d’autres lieux).
Le lendemain matin voit s’accumuler dès 9 heures les visiteurs de la fondation Peggy Guggenheim.
Selfie involontaire du cartographe de Google devant l’entrée.
Je me suis levé tôt pour acheter des billets pour la Mostra du cinéma à la calle Giustinian, en face de la Douane de Mer de Pinault. C’est raté, il n’y a plus un ticket « papier » à Venise, tout est online (avec bugs de la mort, le Covid a bon dos).
Plan B avec P. et petit déj’ da Gino (son célèbre « macchiatone », ses biscotti, ses tortellini à 9 euros).
Nous y avions dîné à 22:00 la veille en arrivant à Venise (table sur la gauche avec chaise roulante) et retrouvons le serveur (qui semble toujours revenu de tout), avec son œil de biche et son fin sourire (table à droite).
Gino est une adresse incontournable à Dorsoduro – il est l’un des derniers à fermer sa cuisine (la Calcina ferme sa terrasse flottante à... 21 heures ! cf. flèche ci-dessous)
Nous décidons de commencer par la fondation Prada et ses Human Brains (cerveaux humains). Le line up des artistes constitue un name dropping séduisant– nous en sortirons mitigés (pour ne pas dire déçus), car plus mental, froid et sérieux il n’y a pas (de magnifiques livres, gravures et objets quand même). Avant de prendre le vaporetto pour Prada (abonnement online d’une semaine = 60 euros p/p) nous allons saluer notre kiosquiste et joueur d’échecs préféré (je pense chaque fois à Jean Rouaud et ses Champs d’honneur quand je le vois). Il nous apprend que Libération n’est plus distribué à Venise mais que le Monde oui. Il a arrêté les échecs (mi fanno impazzire! – ça me rend fou), dommage !

L’expo est plus un cours de dissection du cerveau qu’autre chose. Elle s’intéresse à l’aspect scientifique et neurologique de la création intellectuelle. Ma foi, pourquoi pas. Beaucoup de documents intéressants – mais zéro créations artistiques contemporaines.
Ci-dessus, la fausse bonne idée de Taryn Simon (artiste que nous avons longtemps chérie) : faire « dialoguer » par écrans interposés des savants et des intellectuels du monde entier. C’est en anglais (déjà) et on ne suit rien (le montage des séquences n’aide pas, la monotonie des interventions non plus). Il n’y a que deux clampins qui consultent leur page Facebook dans un semblant de climatisation.
Un beau quipu (pour compter avec des nœuds)
Je ne sais pas qui pérore en globish à chaque étage dans de petits écrans disséminés partout – mais ça use
Une dissection de cerveau répugnante commentée live par une sadique
Bref, on sort – et comme il n’y a pas de cafeteria chez Prada, on va déjeuner juste à côté, à la Ca’Pesaro, où les six tables en alu design (chaises magnifiques, amples et confortables) donnent sur le clapotis du Grand Canal. C’est toujours une tuerie, cette halte.
Tiens, Hervé Le Tellier (et sa bonne bouille avec épis)
P. à l’arrière d’un écranTiens, Salman Rushdie (qui vient d’être poignardé par un jeune crétin – manifestement sans cerveau, le jeune crétin/assassin sectaire)
Des textes incroyables et de jolies amulettesUn beau quipu (pour compter avec des nœuds)
Je ne sais pas qui pérore en globish à chaque étage dans de petits écrans disséminés partout – mais ça use
Une dissection de cerveau répugnante commentée live par une sadique
Bref, on sort – et comme il n’y a pas de cafeteria chez Prada, on va déjeuner juste à côté, à la Ca’Pesaro, où les six tables en alu design (chaises magnifiques, amples et confortables) donnent sur le clapotis du Grand Canal. C’est toujours une tuerie, cette halte.
(On n’y fait malheureusement plus le Cremino – pour « ventes insuffisantes » –, lequel je guignais secrètement depuis le matin).

Ci-dessus, un manchot qui songe dans la cour – il prenait bien le soleil, j’ai essayé de faire une photo arty, elle est banale ! Tant qu’à être à proximité, nous décidons de jeter un œil au palazzo Mocenigo (l’un des sept portant ce nom à Venise – nous avons déjà logé avec les enfants – petits – dans le plus célèbre, celui au balcon qui donne pile sur le Grand Canal – et admiré (avec mon père, de passage cette année-là), la Regata Storica.
On ne touche pas le verre
On ne touche pas la trompetteOn ne touche pas les armoiries de la famille
On ne touche pas le Penone (évidé selon la technique chère à l’artiste)
Le divan à l’avant-plan est une maquette – la photo ne rend pas justice à ses trente centimètres de large
Ce palazzo est en fait un musée du textile, du parfum et du costume ; il dispose/cache/insère/dissémine (comme c’est la mode depuis des années) des pièces d'art contemporain dans ses collections (lesquelles il contamine/met en résonance/questionne). Le procédé est usé jusqu'à la corde (et guère porteur de sens), vivement que ça s’arrête.
Le plaisir du chaland tient à des choses comme cette photo (intime, doigt sur les lèvres – À ma chère Constance Mocenigo...) – ou à la tomaison des livres de la bibliothèque
D’étranges empilements de verre, kitchissimes et multiinstagrammés (joli ce double i, non ?-) Où est Charlie ?
Là aussi : abyme d’abiméEncore une photo prise sur Internet – juste pour rappeler que l’un des Mocenigo (Giovanni) fut une belle ordure – je cite Wikipédia (passionnante notice, ici) :
« À l’issue d'une dernière expulsion à Francfort, un séjour à Zurich, puis un retour à Francfort, Giordano Bruno accepte en août 1591 l’invitation à Venise d’un jeune patricien, Giovanni Mocenigo. Les deux hommes ne s’entendent pas : Bruno revient probablement motivé par l’envie d’être nommé à la chaire de mathématiques de l’université de Padoue, mais Mocenigo attend de Bruno qu’il lui enseigne la mnémotechnique et l’art d’inventer. Le patricien considère vite qu’il n'en a pas pour son argent, alors que Bruno considère que sa présence est déjà un honneur pour son hôte. Déçu, Bruno veut repartir et froisse Mocenigo, qui commence par le retenir prisonnier puis, ne parvenant pas à le soumettre, finit par le dénoncer à l’inquisition vénitienne, le . Giordano Bruno est arrêté, jeté à la prison de San Domenico di Castello. »
Il sera brûlé vif à Rome en 1600.
Mocenigo salaud, le peuple aura ta peau (costumée ou parfumée) !
On grimpe tout de suite au sommet du palazzo en ascenseur – et on s’assied devant la fille endormie de l’artiste, une vidéo touchante, bien retravaillée et marquée du sceau de la vanité
La maison recommande de télécharger le mini-guide en pdf français de l’expo. L’ensemble des peintures y est expliqué. Et un malaise (léger) finit par vous prendre : tout ne serait-il ici que storytelling ? Un même doute nous avait effleuré il y a trois ans lors de l’expo Tuymans. On se dit aussi que rien n’existe per se, sans contexte. Tout est construit, oui... Or les textes de la brochures ne s’intéressent que peu au sens profond de ce travail : est-ce un bien ? Y en a-t-il un d’ailleurs ? Il y a sûrement des maçons, ciment et truelle à la main, qui construisent sans plan, au gré du geste et de l’inspiration. Leur tête est farcie d’histoires et de passé – mais ils ne convoquent pas ces éléments à chaque brique. Des constantes apparaissent chez Marlene Dumas : le corps, le sexe, la famille, le deuil, la politique, l’actualié, l’histoire en général – et l’histoire de la peinture en particulier. Il semble que ces éléments finissent toujours par s’imposer (dans les œuvres importantes) – encore faut-il les articuler de façon nouvelle, je crois. C’est le cas ici et chez Tuymans.
J’ai envoyé cette Monica à Monica


Mort d’un migrant aux îles Canaries
Cette peinture m’émeut – ce geste (cadré du point de vue d’un drone, semble-t-il, ou d’un avion de combat) est à la fois un salut et le sujet d’une peur – le visage est flouté en raison de la distance, ou volontairement sur la photo d’origine, comme le fait Google Street View.
Au travers de cette huile sur toile, Marlene Dumas exprime vraisemblablement ses propres peurs de mère. L’artiste elle-même rapproche ses représentations d’enfants tués et son sentiment d’être devenue une « mère à l’enfant » qui sait, au moment de donner la vie, qu’elle entre dans une ère de deuil. Ses œuvres funèbres se basent essentiellement sur des photographies : l’artiste s’inspire ici d’une photo parue dans les journaux, représentant un jeune garçon palestinien tué par l’armée israélienne dans la bande de Gaza.

Petite peinture d’un iPhone (photographiée avec ledit) – on la retrouve tout à gauche ci-dessous
Quelle belle expression butée !
Quatre projecteurs – avec reflets
Tatouages
Le taulier recommande la cafèt’ : ouverte jusqu’à 18:00 ici, au Palazzo Grassi, mais fermée à 17:00 à la Dogana.Une respiration métallique ?
Merci pour tout Marlene Dumas – ces œuvres humanistes restent dans la mémoire.
Nous sommes sonnés mais heureux – et prendrons l’apéritif chez Paolin, à quelques mètres du palazzo. Nous avons fini par y dîner. Au moment de payer, je constate que cela ne se fait plus au comptoir – mais à table avec un sabot connecté. Je le signale au serveur qui nous dit que Paolin a de nouveaux propriétaires – avec une nouvelle politique. Dont celle de fermer l’établissement à partir du 15 novembre, cette année, et jusque fin avril !
Tout fout le camp ! (Santo Stefano)
La suite bientôt ici.
Commentaires
Enregistrer un commentaire