Nadal en Australie (et Alizé Cornet)
Grégory Schneider a toujours bien écrit – la preuve encore ci-dessous.
Rafael Nadal est un saumon. Plus le courant contraire est puissant, plus il se renforce et plus la destination semble sûre. Dimanche, à Melbourne, le Majorquin de 34 ans a dévoré son 21e titre du Grand Chelem (un de plus que Novak Djokovic et Roger Federer, donc) malgré deux sets de débours au bout de la nuit et aux portes du super tie-break (2-6, 6-7 [5], 6-4, 6-4, 7-5) face au Russe Daniil Medvedev. Qui est ensuite venu expliquer que lui, Medvedev, avait joué le match parfait.
Nadal l’écoutait alors au milieu du court assis sur une chaise, parce que ses jambes ne le portaient plus. On aurait tort d’ironiser et d’y voir une théâtralisation fomentée par un joueur qui, après tout, avait tenu le choc pendant près de cinq heures et demi contre le joueur le plus rapide, le plus fiable, le plus endurant et le plus malin du circuit. Avant d’atterrir en Australie début janvier, Nadal n’avait plus été vu sur un court de tennis depuis cinq mois par la faute d’une grave blessure au pied, la maladie dégénérative de Muller-Weiss, une nécrose de l’os naviculaire incurable dont il souffre depuis ses débuts et dont il essaie de tenir les effets (la douleur) dans des limites qu’il peut contrôler. Ne jamais oublier le mantra de l’Espagnol : ce n’est pas la douleur qui compte, mais ce que la tête – l’esprit, le mental – fait de cette douleur.
« Il y a un mois et demi, je n’étais pas sûr de pouvoir rejouer un jour, a expliqué Nadal. Nous n’avions résolu aucun problème. En octobre, je n’étais pas capable de m’entraîner. Parfois, j’allais sur le court pour vingt minutes, parfois plus, parfois zéro... [Être compétitif], c’est quelque chose d’inattendu pour moi. C’est un cadeau d’être ici et de jouer au tennis. A la fin de la journée, sincèrement, c’est bien plus important d’avoir la chance de jouer au tennis que de gagner un 21e titre du Grand Chelem.»
Le plaisir originel de taper dans la balle pour relayer la douleur et le fait de prendre sur soi : une autre planète, ou comprenne qui pourra. L’attitude de Nadal après la balle de match a interrogé : il s’est agenouillé sans effusion, dans le calme. Peut-être sidéré d’avoir survécu une fois de plus (son discours après sa 12e victoire à Roland-Garros en 2019, qui avait aussi succédé à une longue période de blessure et de doute, était très proche), à moins qu’il n’ait goûté cette proximité entre immenses champions – aucun joueur n’a le moindre doute sur la grande carrière à venir de Medvedev – tout en en pressentant la fin.
Dimanche, Nadal a expliqué avoir disputé «un des plus durs matchs de [sa] carrière» et il n’est pas interdit de penser qu’il tient peut-être là son chef d’œuvre, ou quelque chose de proche. Pendant les deux sets initiaux, l’Espagnol a été complètement lâché par sa première balle de service, étant entendu que celle-ci est depuis des mois la première pierre sur laquelle reposent les super-pouvoirs de Medvedev. Il faudra attendre que le Majorquin soit à deux points du match dans la dernière manche pour le voir passer son troisième ace de la partie - il en avait alors pris vingt-trois dans le cornet. Jusqu’au bout, Medvedev aura été dur, infranchissable dans les échanges de fond de court, un peu mariole aussi dans sa façon de sortir du match et de ressurgir comme neuf, d’un point sur l’autre, avec des options différentes.
Mais l’Espagnol a un secret qu’il ne partage avec personne: celui d’imposer sa propre temporalité. Une fois qu’il parvient à y emmener son adversaire, après deux ou trois heures d’un préambule très particulier où l’intensité des échanges le dispute à la prescience qu’on est encore à la porte de quelque chose, celui-ci regarde dans toutes les directions et il comprend qu’il est dans la jungle. Chaque mètre est pénible. A chaque fois que l’on gagne deux points de suite, Nadal rebat les cartes et il faut recommencer. L’Espagnol est au contact : à force de frotter, il devine les quelques limites techniques qui subsistent encore chez les grands de ce monde et il se glisse dans ces infimes interstices pour faire avancer la cause.
Ainsi, Medvedev a laissé quelques miettes par-ci (la défense sur les amorties), quelques autres par-là (la patience) : une petite dizaine de points, que le Russe n’égarera plus dans quelques mois mais le match s’est envolé là-dessus. «Je suis sidéré [amazed, en anglais] du match que tu as joué, lui a lâché Medvedev après la partie. C’était dingue. Je pensais qu’après les deux premiers sets, tu étais fatigué, mais revenir comme tu l’as fait..» L’avenir est à lui. Les bras croisés, Nadal lui en a d’ailleurs donné quitus : «Je n’ai aucun doute sur le fait que tu gagneras ce tournoi à l’avenir.» Depuis la victoire de Medvedev à l’US Open devant un Djokovic en larmes, l’heure était à la passation. Lors de cet Open d’Australie, c’est toute la génération suivante, du Grec Stéfanos Tsitsipás au Canadien Denis Shapovalov en passant par les Italiens Matteo Berrettini et Jannik Sinner, qui ont ravagé le paysage. Nadal a tout simplement réinstallé un parfum d’éternité.
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La semaine précédente, Libération consacrait un papier à Alizé Cornet, juste avant que celle-ci affronte Danielle Collins (match perdu par Alizé). Je le reproduis surtout pour la photo sublimissime qui termine cette page.
Après la défaite de Gaël Monfils en quart de finale contre l’Italien Berrettini ce jeudi, l’honneur français repose sur les seules épaules d’Alizé Cornet à l’Open d’Australie de tennis. A 32 ans, elle dispute dans la nuit de mardi à mercredi (minuit en France) et pour la première fois un quart de finale d’un tournoi du Grand Chelem. Retour en cinq chiffres sur la carrière d’une joueuse partie sur les chapeaux de roues mais qui a souvent terminé dans le fossé.
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c’est le premier quart de finale de Grand Chelem d’Alizé Cornet
À 32 ans, elle dispute son 63e tournoi majeur. Le soixantième d’affilée. Le premier, c’était en 2005 à Roland-Garros. Elle avait alors 15 ans, plus jeune joueuse du tournoi. Elle avait été sortie au deuxième tour par son idole, Amélie Mauresmo. On n’a pas souvent vu Alizé Cornet pointer le bout de sa raquette en deuxième semaine en Grand Chelem, plus souvent abonnée aux éliminations aux premier ou deuxième tours. En 2009, elle n’avait pas été loin de l’exploit, déjà à Melbourne ; face à la Russe Dinara Safina, alors 3e mondiale, elle avait vendangé deux balles de match en 8e de finale.
160 600
son nombre d’abonnées sur Twitter
Très active sur les réseaux sociaux, Cornet n’y a pas des torrents d’eau tiède. Ainsi a-t-elle été très critiquée pour un tweet de soutien à Novak Djokovic au début du tournoi, soulignant que le Serbe «est le premier à défendre les joueurs et que personne ne l’a défendu». Cornet fut également l’une des premières à manifester son inquiétude pour la joueuse de Chinoise Peng Shuai, disparue un temps des radars après avoir accusé de viol un dirigeant du PC chinois. «J’ai l’habitude de l’ouvrir quand quelque chose me dérange, et je crois que le monde avait besoin qu’une joueuse prenne position sur ce sujet grave», a-t-elle expliqué à Melbourne. Avant de préciser à propos : «Je sais de source sûre qu’elle n’est pas en danger physiquement. Je suis inquiète pour ce qu’elle va devenir, comment elle va évoluer après ça ? Quand est-ce qu’elle va être vraiment libre ? Donc on va dire qu’elle n’est pas en danger pour sa vie. Et j’ai envie de dire vu les circonstances, c’est presque déjà rassurant. Il ne faut pas lâcher l’affaire non plus et rester solidaire d’une manière ou d’une autre.»
Elle a également marqué sa singularité en profitant de sa mise à l’arrêt forcé en 2020, en raison du confinement, pour écrire un livre, Sans compromis. Un retour sur son enfance, sa carrière, sa ville, sans jouer à cache-cache avec ses défauts. L’occasion aussi de dénoncer le machisme du monde du tennis dont elle fut la victime à l’US Open, sanctionnée pour avoir enlevé son t-shirt pour le remettre à l’endroit entre deux jeux. Epinglée pour comportement antisportif, elle n’avait pas manqué de faire remarquer que les hommes pouvaient se déshabiller (du haut) à l’envi sur un court.
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comme le nombre de face-à-face entre Cornet et son adversaire en quart de finale
Ce jeudi, Alizé Cornet a rendez-vous avec l’Américaine Danielle Collins, tête de série numéro 27. «Ce match aura tout d’une tragédie, c’est certain», a prévenu la tenniswoman française en décrivant l’Américaine «comme une lionne». «Elle met tellement d’intensité qu’elle m’impressionne un peu. Moi aussi, je joue avec intensité, mais elle, elle est d’une intensité encore supérieure.»
Aujourd’hui âgée de 28 ans, Collins a privilégié ses études jusqu’en 2016 avant de devenir professionnelle. Elle a gagné ses premiers matches sur le circuit WTA en 2018 et n’avait pas remporté la moindre rencontre en Grand Chelem en cinq tentatives, avant d’atteindre les demi-finales à Melbourne en 2019. Cette demie reste son meilleur résultat en Grand Chelem. Si Cornet est réputée pour son franc-parler, Collins n’a pas de tabou, comme elle l’a montré en conférence de presse en répondant tranquillement pendant plusieurs minutes à des questions liées à l’endométriose dont elle a souffert.
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comme le nombre de points encaissés d’affilée en 8e de finale contre Simona Halep
Après l’Espagnole Muguruza au 3e tour (victoire 6-3, 6-3), Cornet se retrouvait pour la deuxième fois face à une ex-numéro 1 mondiale en 8e de finale. La Française réalise un début de match de rêve. Dominatrice, plus agressive, plus lucide, plus constante à l’échange, la 61e mondiale met la double vainqueur en Grand Chelem au supplice. Après 1 h 15, elle mène 6-4 et s’offre une balle de 4-1. Et puis le trou noir. 19 points encaissés sans en marquer un seul, 6 jeux à 0 pour la Roumaine. En face, ce n’est plus Halep mais le fantôme de Dinara Safina.
Mais Cornet repart au combat. S’offre deux balles de match au troisième set. Les perd. L’histoire fait marche arrière, Cornet se retrouve à Melbourne en 2009… Sous un cagnard infernal, elle s’impose finalement 6-4, 3-6, 6-4 et doit se plier à la rituelle interview sur le court. A l’autre bout du micro, l’ex-joueuse Jelena Dokic. Celle-là même qu’elle aurait dû rencontrer en quart de finale à Melbourne en 2009 si elle avait converti une de ses deux balles de match. «Je voulais tellement jouer contre toi il y a treize ans», dit Cornet la larme à l’œil.
11e
son meilleur classement, en 2009
Alizé Cornet, née en janvier 1990 à Nice, est alors une jeune joueuse pleine de promesses. L’année précédente, elle a remporté son premier tournoi, à Budapest, et atteint la finale à Rome (un tournoi de la catégorie juste en dessous des Grands Chelems). Elle toque à la porte du Top 10. Qu’elle n’intégrera jamais.
Depuis, la carrière d’Alizé Cornet suit des montagnes russes avec plus de descentes que de montées. Sur son CV, elle peut épingler 6 tournois (le dernier en 2018) et quelques coups d’éclat sans lendemain. Des victoires de prestige et des défaites illogiques. Plus d’années sombres que de saisons fastes. Sa dernière incursion dans le Top 20 remonte à janvier 2015.
Cette année, elle a attaqué l’Open d’Australie en tant que 61e mondiale. Personne ne l’attendait en quart de finale. Personne sauf elle et son ancien coach, Georges Goven, interviewé par l’Equipe : «Derrière ce côté un peu dingo sur le terrain, c’est une fille qui a des qualités mentales exceptionnelles. Cette folie, ça fait partie du personnage mais ça n’engendre pas trop de dégâts chez elle. […] Mais il y a deux éléments essentiels à la performance : qu’elle soit bien physiquement et que son service soit bien calé. Quand elle se tend, ce coup peut devenir problématique. […] Elle sait faire plein de choses. Elle peut accélérer son revers, long de ligne ou croisé. Elle a son coup droit bombé. Elle peut faire un peu de chop, elle sait jouer de l’amortie, notamment en coup droit… Elle a quand même une variété de jeu qui perturbe les autres joueuses. Ce n’est pas une fille qui joue tout le temps au même rythme et qui te donne tout le temps le même type de balle. Tactiquement, elle ne passe que très rarement à travers.»
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Alizé perdra 7 5 et 6 1 contre Collins. Laquelle gagnera en demie contre Swiatek 6 4 et 6 1. Mais Collins sera battue en finale par Ashley Barty 6 3 et 7 6.
Quelle photo !
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