Chez Frédéric de Goldschmidt
C’était le dernier week-end pour visiter « Inaspettatamente »,
l’expo passionnante mi-Arte Povera mi-conceptuelle du collectionneur Frédéric
de Goldschmidt, au 7 quai du Commerce. Photos nôtres annotées ci-dessous, après le papier de l’Écho, prises
le samedi 29 janvier dernier (hier) – mais Dieu que cette phrase est ampoulée !
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« Bienvenue chez le
collectionneur d’art Frédéric de Goldschmidt »
THIJS DEMEULEMEESTER, le 11 novembre 2021
Avec le produit de la vente d’un Manet de sa
grand-mère, Frédéric de Goldschmidt a commencé en 2008 une collection d’art
contemporain. Dès ce week-end, 315 œuvres seront exposées dans son coworking
bruxellois.
« Ce n’est pas un musée privé. »
Qu’avez-vous hérité de votre grand-mère? Une table à
manger? Un long nez? Une bague en diamant? Une maison de campagne? Frédéric de
Goldschmidt a, lui, hérité d’une collection d’art. Et d'une passion qui l’a
aussi contaminé. « En 2008, le produit de la vente d’un portrait d’Édouard
Manet provenant de la collection de ma grand-mère m’a permis de démarrer ma
collection d’art contemporain. Et c’est ici que cela m’a mené. »
Il nous montre la façade de son nouveau bâtiment, le Cloud Seven, situé quai du Commerce 7 à Bruxelles. « In Love With the World
/ But I Will be Home Soon », peut-on lire sur une œuvre en acier. Frédéric
de Goldschmidt viendra effectivement y vivre, mais il compte également y
installer un espace de coworking et d’art. Et comme les cinq étages ne
sont pas encore aménagés, il y organise une présentation de sa collection en
attendant l’inauguration, en février.
« Il y a cinq ans, j’ai vu une affiche signalant
la vente publique de ce bâtiment. Comme c’était justement le jour des visites,
je suis entré », se souvient-il. « Ce bâtiment des années 1820 était
un centre de consultation psychiatrique. En bas, il y avait une petite salle de
projection utilisée par le service de l’audiovisuel du ministère de
l’Enseignement. La société cinématographique allemande UFA y a également eu son
siège en Belgique et, comme j’ai travaillé un temps comme producteur de cinéma,
cette salle de projection m’a plu tout de suite. Avec des vieux 78 tours que
nous avons trouvés dans le grenier, j’ai demandé à l’artiste Gregor
Hildebrandt de réaliser une œuvre in situ dans cette petite salle. »
Lorsque Frédéric de Goldschmidt achète le bâtiment, en
2016, il est en piteux état, bien qu’immense : il y a au moins 1.500
mètres carrés. « Mon appartement à Bruxelles était beaucoup trop exigu
pour ma collection d’art. Par manque de place, il y avait beaucoup d’œuvres que
je n’avais plus vues depuis leur achat. Je voulais y remédier. »
La première chose qu’il organise est l’exposition
d’une partie de sa collection : « Not really really » réunissait
85 œuvres contemporaines axées sur la destruction et le quotidien. Le bac à
chat, dont Darren Bader avait exigé que la litière soit immergée en
permanence dans de l’huile d’olive, était poilant. L’installation « Everything
must go » de Jean-François Boclé, une salle remplie de sacs
poubelles bleus, était tout à fait appropriée.
Cinq ans plus tard, les ordures ont disparu, le bac à
chat a été rafraîchi et le bâtiment rénové. Dès ce weekend, le collectionneur y
présentera à nouveau sa collection, mais de manière totalement différente :
315 œuvres ont été sélectionnées, « mais il ne s’agit absolument pas d’un greatest
hits », explique-t-il. « Nous n’avons pas fait ce choix sur base
du nom, mais du contenu. Pendant l’accrochage, nous avons réalisé qu’il n’y
avait pas de place pour le Warhol. » Pourtant, Andy Warhol avait
photographié la mère de Frédéric et celui-ci a rencontré l’artiste à plusieurs
reprises.
Comme les pièces d’un puzzle
Le Bruxellois est connu pour soutenir et acheter
principalement des jeunes artistes en début de carrière, mais il a également
fait l’acquisition d’œuvres historiques issues du minimalisme, du mouvement
Zero ou de l’Arte Povera. Fontana, Schoonhoven, Uecker et Manzoni
ont trouvé leur place au Cloud Seven, tout comme Louise Bourgeois
et Anselm Kiefer. Repéré également, un Imi Knoebel à une place
d’honneur, dans l’espace arrière. « Je n’ai plus revu cette œuvre depuis
que je l’ai achetée, lors d’une vente aux enchères il y a quatre ans, comme
beaucoup d’œuvres exposées ici. Je l’ai sortie pour la première fois de sa
boîte spécialement pour l’exposition. »
Ceux qui viendront admirer la collection de Frédéric
de Goldschmidt ne manqueront pas de remarquer « Taken Apart & Put Back
Together Again ». La déclaration de Lawrence Weiner,
particulièrement appropriée à la présentation de la collection dans le
bâtiment, figure en grandes lettres sur le mur de l’entrée. Toujours dans le
hall d’entrée, nous lisons « I propose that we should walk together »
sur une affiche de l’artiste Peter Liversidge. En compagnie du
collectionneur, nous montons les escaliers à gauche, dans l’espace le plus personnel
de l’exposition. Les œuvres qu’il a réunies avec le curateur Gregory Lang
sont comme les pièces d’un puzzle. Assemblées, elles illustrent la période
d’incubation de la joie de collectionner de Frédéric de Goldschmidt.
En bas, à droite, se trouve un portrait de sa
grand-mère, Marianne de Goldschmidt - Rothschild (1892-1973). Établie en
France, elle correspondait avec le poète Reiner Maria Rilke, d’où la
prédilection de son petit-fils pour les œuvres d’art « linguistiques ».
Tout au long de sa vie, elle a surtout collectionné des œuvres du courant
impressionniste. « À 22 ans, elle a acheté ‘L’Arlésienne’ (1888) de Vincent
Van Gogh. Par reconnaissance pour avoir survécu à la Seconde Guerre
mondiale, elle a fait don du tableau à l’État français le jour même de la
Libération. Quand j’avais une douzaine d’années, elle m’a emmené au
Rijksmuseum, à Amsterdam pour me montrer la ‘Ronde de nuit’ le chef-d’œuvre de Rembrandt,
mais c’était un prétexte : en fait, elle voulait partager sa passion pour
l’art avec son petit-fils. » Mission accomplie.
La présence d’un tableau du XVIIe siècle
représentant l’intérieur d’une église protestante parmi les œuvres
contemporaines n’est pas une erreur : il s’agit du tableau d’un maître
ancien qu’il a offert à son père, Gilbert de Goldschmidt, quand il a
vendu le Manet de sa grand-mère. « Il m’est revenu à la suite de son décès »,
explique de Goldschmidt. « Mon père était également collectionneur, mais
principalement d’art abstrait de l’après-guerre. C’est lui qui m’a donné mes
premières pièces, des œuvres graphiques de Hans Hartung et de Zao
Wou-Ki, avec lesquelles j’ai commencé ma collection. » Elles sont accrochées
sur le mur « Coming of Age » de Frédéric de Goldschmidt.
Et flanquées d’une étrange œuvre indienne, que sa
grand-mère avait acheté pendant son séjour aux États-Unis. « Elle a été
réalisée par un Indien Navajo. Cela me fascinait. C’est d’ailleurs pourquoi je
suis allé voir l’exposition "Les Magiciens de la Terre" au Centre
Pompidou, en 1989. C’est lors de cette exposition légendaire, qui mêlait art
occidental et non Occidental, que j’ai découvert l’œuvre d’Alighiero Boetti.
Il est la figure centrale de l’exposition de ma collection. »
Un Curateur fantôme
Le chiffre préféré de Boetti étant le 11, la
présentation de la collection se déroulera le 11 novembre. De Goldschmidt possède
(comme de juste) 11 œuvres originales de Boetti (1940-1994), un artiste italien
qui, après s’être détaché du courant Arte Povera, est devenu célèbre pour ses
cartes du monde brodées ("mappa") et ses tissages colorés ornés de
lettres ("arazzi"), réalisés par des tisserands en Afghanistan ou au
Pakistan. « Bien que décédé, il est le curateur fictif de cette
présentation. Nous avons choisi les œuvres qu’il aurait sélectionnées »,
explique le co-curateur, Gregory Lang. « Dans chaque pièce du bâtiment, il
y a des groupes thématiques d’œuvres qui correspondent à une œuvre de Boetti de
ma collection », poursuit Frédéric de Goldschmidt. « Dans le
catalogue de la collection, Nicolas Bourriaud écrit que Boetti entremêle
le temps et l’espace, l’histoire et la géographie. Il est certainement le seul
artiste de ma collection à avoir travaillé avec autant de techniques et de
thèmes différents. »
Le premier Boetti acquis par de Goldschmidt, en
octobre 2008, a été le dessin au Bic "Ammazzare il tempo". Autrefois
accrochée dans sa chambre, l’œuvre est désormais exposée au deuxième étage du Cloud
Seven. « Cela signifie tuer le temps en italien. Plusieurs personnes
ont contribué à la réalisation de ce dessin qui a, effectivement, demandé
beaucoup de temps. Boetti a été l’un des premiers artistes à remettre la notion
de titularité en question : il ne voulait pas nécessairement tout faire
lui-même. C’est pour cela qu’accrocher une œuvre comme celle-là dans un espace
de coworking est passionnant. »
En classant sa collection en fonction des thèmes
principaux chez Boetti, la collection paraît très cohérente – alors qu’en
réalité, de Goldschmidt achète de manière beaucoup plus hétérogène, d’où le
titre de l’exposition, "Inaspettatamente" (Inopinément), d’après une
petite broderie de Boetti datant de 1987. « Je ne collectionne jamais
vraiment selon un seul thème, mais toujours en relation avec une œuvre que je
possède déjà. Je n’étais pas conscient des fils conducteurs, mais le regard de
Boetti me permet de mieux analyser et de comprendre ma collection. »
Sondage artistique
Malgré l’ampleur et l’ambition de la présentation de
la collection, Frédéric de Goldschmidt refuse de parler de musée privé. « Mon
intention n’est pas de bluffer les gens. Je voudrais établir des liens entre
les œuvres sur le plan du contenu. Le Cloud Seven ne sera jamais juste
un white cube, ni une résidence d’artiste, car je ne veux pas me
retrouver coincé par des dossiers et des comités de sélection. Je tiens à ce
que ce lieu soit vivant, habité, un endroit où l’on effectue un parcours au fil
d’une collection d’art, comme c’est le cas chez un collectionneur. »
Et, en effet, il va bientôt emménager dans
l’appartement du quatrième étage, une fois qu’il sera terminé évidemment. « Comme
la cuisine, la chambre et la salle de bain sont encore en travaux, ces espaces
privés font partie du parcours de l’exposition », explique-t-il. Sur le
thème « L’artiste et le monde », il y expose des œuvres de Berlinde
de Bruyckere, Shilpa Gupta, Curtis Mann, Kader Attia
et Nicolás Lamas.
À partir du printemps prochain, la partie avant du
bâtiment deviendra un espace de coworking pouvant accueillir 77 membres.
Il y aura de l’art dans ces espaces, mais certainement pas autant
qu’aujourd’hui. « Nous allons également faire des sondages afin que les coworkers
puissent choisir les œuvres à accrocher. » La partie arrière du bâtiment,
une extension datant de 1920, sera un espace d’art où de Goldschmidt pourra
organiser des expositions, mais aussi inviter des artistes ou des penseurs. « L’espace
de coworking et l’espace artistique communiquent entre eux. Ceux qui
viendront travailler ici verront l’art exposé et les visiteurs de l’espace
artistique auront une vue sur les coworkers. Ces espaces se dynamiseront
mutuellement. »
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... des travaux partout...
... Alighiero et Boetti...
Avec groupe (ci-dessus)...
... et sans (ci-dessous)
Jonathan Monk
Helena Almeida (joue avec le bord)
Un beau Baldessari (acheté chez Greta Meert ?)
Et, ci-dessous, une belle série de Boetti :... autoréférence (en 24 lettres ?) : « Cinque x cinque venticinque »
Une série de ciels de Brognon/Rollin sur le principe déjà vu là (les nuages) et là (les couchers de soleil)... des mêmes, un « tableau de paille » ci-dessous – de la série vue déjà au BPS22 de Charleroi
Place à quelques selfies du taulier – pardon !... à l’ascenseur bien pratique...
... à l’oreille du même Baldessari...... au tatouage (de mon signe)...
... à l’Opalka (et basta !-)
Quelques œuvres encore...
Gregor Hildebrandt
... trois petits monochromes de Klein...
... formidable titre de Louise Lawler : « Looks like... a painting »
... des mains qui me rappellent le splendide livre que Cécile m’a offert à Noël... et les mains « positives » des premiers artistes pariétaux...Un joli petit Manet par lequel Frédéric de Goldschmidt rend hommage au grand Manet qu’il a vendu pour commencer sa collection...
... immarcescible Mel Bochner...
... immarcescible Mel Bochner...
... et ci-dessous Mario Merz, toujours obsédé grave par Fibonacci...
... un beau Michel François ci-dessus...
... et un Morellet en néon (avec grillage cadré intentionnellement par le taulier) !
... une carte mystérieuse, floutée par de la gaze...
... un beau Michel François ci-dessus...
... et un Morellet en néon (avec grillage cadré intentionnellement par le taulier) !
... une carte mystérieuse, floutée par de la gaze...
... et ci-dessous le pentagone bruxellois... qui m’évoque un slip séchant sur un fil
... Pistoletto nous parle du temps... (un peu académique, mais bon...)
... ce vrai/faux rideau devant une fenêtre est sublime... il renvoie aux thématiques classiques de la peinture (voiler/dévoiler), bien expliquées par Stoichita... tatouer un crâne, c’est de la pittura come cosa mentale ? (Là !)
... le sous-sol (consacré au son)...
... et en sortant du sous-sol, on tombe sur un Brompton (j’envoie l’article récent du Monde à qui veut)...
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