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 TRIBUNE

Greffe d’utérus, greffe de maternité ?

Une femme ayant bénéficié d’une transplantation utérine a donné naissance, le 12 février, à un enfant. L’événement pose une question inédite : celle de la dimension symbolique de l’utérus.
par Léa Karpel, Psychologue clinicienne, service de gynécologie-obstétrique, Hôpital Foch, Suresnes et Geneviève Delaisi de Parseval, Psychanalyste
publié le 9 mars 2021 à 17h48
(mis à jour il y a 51 min)

Le 12 février, une petite fille est née à l’hôpital Foch de Suresnes (Hauts-de-Seine), dans le service du professeur Jean-Marc Ayoubi, après une prouesse médico-chirurgicale : sa mère, Pauline, née sans utérus, a bénéficié d’une greffe de sa propre mère, Christine, afin qu’elle puisse vivre une grossesse et un accouchement comme n’importe quelle autre femme. Un événement qui marquera l’assistance médicale à la maternité, autant que la naissance d’Amandine en 1982, premier bébé conçu par fécondation in vitro en FranceCette forme de procréation médicalement assistée (PMA) répond cette fois-ci à l’infertilité utérine restée sans solution médicale jusqu’alors.

Cette prouesse est le fruit d’un travail commun entre la Suède et la France. Si on doit à l’équipe suédoise, menée par le professeur Matts Branströmm, la naissance du premier bébé après une transplantation utérine en octobre 2014, on doit au professeur Ayoubi l’usage de la technique robotique mini-invasive pour le geste chirurgical. Les Suédois ont mis en placepuis la France après eux, un essai clinique de transplantation utérine chez dix femmes souffrant du syndrome de Mayer-Rokitansky-Küster-Hauser, dit «MRKH». Ce syndrome se manifeste par une absence d’utérus ; on le rencontre chez une jeune fille sur 4 500. Cette maladie n’est pas héréditaire mais congénitale. Découverte en général à l’adolescence devant l’absence de règles, elle provoque un véritable désespoir chez les jeunes filles. Comble du paradoxe, elles sont en général fertiles, tant au plan hormonal qu’ovarien.

Des embryons cryoconservés

Pour pouvoir bénéficier du protocole de transplantation utérine, le couple devra constituer par FIV au moins dix embryons qui seront cryoconservés, afin de permettre une grossesse. Car, malgré la greffe utérine, ces patientes ne peuvent vivre de grossesse spontanée.

Vingt équipes dans le monde se sont lancées dans l’aventure audacieuse de la transplantation utérine : l’Arabie Saoudite et la Turquie d’abord, mais sans succès, puis la Suède, les Etats-Unis, le Brésil, la Chine, l’Inde, et maintenant la France, avec succès. Au moins vingt bébés sont nés dans le monde grâce à cette technique.

L’équipe du professeur Ayoubi a privilégié le recours à une donneuse vivante apparentée. Aussi, le couple demandeur amène une femme âgée de 40 à 65 ans, ayant donné naissance sans césarienne et non fumeuse. Le bilan médical vérifiera si cette dernière est compatible avec la candidate MRKH. Peu de donneuses sont éligibles, même parmi les mères des futures receveuses. Le refus ou l’incompatibilité de la mère donneuse peut être très douloureux. Des tantes, belles-sœurs, ou belles-mères ont donné en Suède. Aux Etats-Unis, des femmes non apparentées, altruistes, ont donné également.

L’évaluation psycho-médicale

Il aura fallu des années à ces parents pour voir naître leur fille : le temps de trouver le service de gynécologie obstétrique apte à réaliser ce projet, celui de l’évaluation psycho-médicale, celui des bilans, et enfin celui de l’intervention chirurgicale, complexe et lourde. La mère de Pauline, Christine, 57 ans, s’est proposée spontanément comme donneuse, tandis que son mari (le père de Pauline) épluchait la littérature scientifique sur la transplantation utérine dans le monde.

Recevoir un tel don implique d’entrer dans une dynamique de contre-don. Accepter ce geste de sa propre mère peut créer un fort sentiment de dette de vie. Aussi, Pauline a offert à sa mère une perle noire (pierre qui est elle-même le résultat d’une greffe de la poche reproductrice de l’huître) ; et ce, avant la transplantation, afin d’éviter de corréler la réussite du processus au geste de sa mère. Elle ne souhaitait pas non plus que son futur enfant soit, en lui-même, le cadeau. De son côté, la mère donneuse de son utérus peut tirer de ce don un bénéfice secondaire important : le soulagement de la culpabilité d’avoir «mal fabriqué» sa fille. Pauline considère ce don comme la plus grande preuve d’amour que sa mère ait pu lui offrir.

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Christine, de son côté, a accepté qu’on lui enlève l’utérus, organe emblématique de la maternité et la féminité, un geste qui ne résume pas à la phrase entendue parfois : «De toute façon, elle n’en avait plus besoin.» On sait qu’une hystérectomie pratiquée à tout âge peut être source de douleur psychique. Peu de femmes, même des mères, seraient prêtes à subir une telle chirurgie de plus de dix heures, même si les risques sont écartés au maximum.

Pauline et son mari envisagent d’avoir un deuxième enfant avant que soit retiré ce précieux utérus, le greffon étant conservé cinq ans sous traitement antirejet. D’où l’intérêt d’avoir une réserve importante d’embryons cryoconservés. Ce couple a eu la chance que le premier transfert embryonnaire ait réussi. Parfois, des transferts successifs sont nécessaires avant une grossesse évolutive.

Un protocole limité aux femmes touchées par le MRKH

Cette naissance provoque aujourd’hui un immense espoir chez nombre de femmes dépourvues d’utérusL’équipe aurait souhaité que ce protocole ne se limite pas aux dix femmes touchées par le MRKH, mais qu’il puisse s’étendre aux femmes ayant perdu leur utérus au cours d’un accouchement, d’une fausse couche ou encore d’un cancer précoce.

La greffe utérine d’une nouvelle vie se situe à mi-chemin entre la greffe d’organe et la PMA ; elle constitue une révolution à la fois au plan chirurgical mais aussi épistémologique, dans la définition de ce qui «fait mère». La définition juridique de la maternité renvoie en droit français à l’adage latin Mater semper certa est… qui lie maternité, grossesse et accouchement. La greffe d’utérus ne touche pas à ce principe : la mère est celle qui accouche. Cependant, une tierce personne a contribué à la naissance du bébé : la femme qui a donné son utérus. Le droit n’avait évidemment pas prévu ce cas de figure, où grossesse et utérus peuvent appartenir à deux personnes différentes. Mais la prévalence de la grossesse et de l’accouchement demeure inchangée.

Cette naissance et celles qui suivront posent cependant une question inédite, celle de la dimension symbolique de l’utérus envisagé seul, indépendamment de la grossesse. L’utérus, même après la ménopause, est capable de porter la vie. Il n’est pas une simple poche éphémère mais bien un symbole de féminité, le transmetteur indispensable de la vie. Pauline l’a fait sien très vite. Elle a eu spontanément ses règles pour la première fois, à 34 ans.

Le protocole a privilégié les couples, mais demain on pourrait préférer une cryoconservation des ovocytes seuls et non des embryons afin de rendre les femmes greffées plus libres.

Cette prouesse nous rappelle que les aides médicales à la procréation ont d’abord répondu à des infertilités physiologiques. Si la psychologie joue un rôle important dans le vécu et le parcours de PMA, l’infertilité est rarement psychogène, et encore moins en cas de MRKH. Le corps réel présente parfois des empêchements dirimants à une maternité souhaitée par-dessus tout : les gamètes masculins ou féminins, l’appareil reproducteur masculin ou féminin, peuvent souffrir de malformations ou pathologies. On se heurte ici au roc de la réalité qu’est le corps manquant, et l’injustice majeure que les femmes en ressentent. A corps manqué, femme manquante, dont l’autre vient remplir le vide.

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