Poésie des ouvertures

 


Poésie des ouvertures (aux échecs)

Les passionnés du jeu d’échecs (et de la langue française) ont toujours aimé le nom de certaines ouvertures : attaque Trompowsky, variante Kalashnikov, gambit Halloween

Voici une courte liste de termes qui enchantent l’œil et l’oreille — elle vient de la consultation d’encyclopédies, de revues, guides, essais et sites internet. C’est une liste relativement connue des aficionados, à laquelle ont été ajoutés en fin d’article quelques noms fantaisistes, signalés comme tels, dans l’espoir de faire sourire le lecteur.

Commençons par Wikipédia, immarcescible ressource :

Il existe une très grande quantité d’ouvertures répertoriées, et des centaines de variantes ont un nom spécifique. L’Oxford Companion to Chess ne cite pas moins de 1327 variantes d’ouvertures nommées. Quand une ouverture est caractérisée par un coup des Noirs, on parle de « défense » (par exemple la défense sicilienne) ou de contre-attaque. Quand elle est caractérisée par un coup des blancs, on parle d’attaque, de « partie » ou d’ouverture (par exemple l’attaque anglaise, la partie espagnole, la partie écossaise, l’ouverture anglaise).

 Une ouverture ou variante d’ouverture est en général désignée soit par :

 – la nationalité de son inventeur ou ses promoteurs (par exemple la partie italienne ou la défense sicilienne),

– le nom du ou des joueurs qui l’ont défendue (la défense Pirc, la défense Alekhine, le début Réti ou la variante Najdorf ; il peut y avoir plusieurs joueurs, par exemple la défense Caro-Kann),

– le lieu où elle a été pratiquée pour la première fois (par exemple la défense berlinoise, la variante de Scheveningue, le gambit de la Volga ou le système de Londres),

– le nom d’un animal (la variante du dragon, l’ouverture de l’orang-outan, le système du hérisson),

– un nom qui décrit la manœuvre employée dans l’ouverture (variante d’échange de la partie espagnole, variante d’avance, variante du pion empoisonné, défense des deux cavaliers, partie des trois cavaliers, attaque des quatre pions).

(…)

Et voici, en italique, le court florilège promis (quelques exemples de noms enchanteurs, parmi beaucoup d’autres, sont fournis entre parenthèses) :

 – l’attaque (fegatello ou « du foie frit », autrichienne, à la baïonnette, des trois pions, des quatre pions, hispano-sicilienne, néo-indienne, pseudo-Trompowsky, Rossolimo, vénitienne) ;

– la contre-attaque (Anderssen, Jaenisch, Kling, Lichtenheim, de Manhattan, Marshall) ;

– le contre-gambit (Albin, calabrais, du centre, Falkbeer, Greco, du tire-bouchon) ;

– le coup (de Paulsen) ;

– le début (fermé, ouvert, semi-ouvert, du fou, Ponziani, Réti) ;

– la défense (Bogo-indienne, hippopotame, hollandaise inversée, kangourou, scandinave, Saint-Georges, Schliemann différée, Steinitz ultra-différée, semi-slave accélérée, vautour, vieille-indienne, yougoslave) ;

– le dragon (accéléré, hyper-accéléré, inversé, en premier) ;

– l’étau (de Maroczy) ;

– le fianchetto (double, de la Dame, du Roi, grande variante) ;

– la formation (fermée, fluide, ouverte) ;

– le gambit (de l’aile, Allgaier, anti-Méran, anti-Moscou, de dame accepté, ou refusé, écossais, éléphant, du flétan, Morra, Muzio sauvage, nordique, pseudo-Benko, du taon, second de Blackmar) ;

– le hérisson (simple ou double) ;

– la ligne (ancienne, classique, d’échange, flexible, moderne, positionnelle, principale, traditionnelle) ;

– la manœuvre (de libération de Capablanca, de Smyslov) ;

– l’ouverture (anglaise symétrique, Bird, irrégulière, du pion dame, Larsen, semi-italienne, Zukertort-Réti) ;

– la partie (catalane, du centre, viennoise) ;

– le piège (de l’Arche de Noé, de Lasker, de Monticelli, sibérien) ;

– la position (normale) ;

– la sicilienne (fermée, inversée, Nimzowitsch en premier, des quatre cavaliers) ;

– le stonewall (classique, moderne) ;

– la structure (Paulsen) ;

– le système (anti-indien, anti-Torre, d’avance, Averbakh, catalan, Colle, Kasparov-Petrossian, Kopec, de Londres inversé, de New York, Pirc-Robatsch, Ragozine, Staunton, tchécoslovaque) ;

– la variante (anti-dragon, antimoderne, anti-néo-orthodoxe, asymétrique, Benelux, du blocus, de l’assaut central, de la chasse, cobra classique, du caméléon, du clouage, du cavalier-dame, du cavalier-roi, des deux cavaliers, courte, d’échange retardée, de temporisation, grande, Grand Prix, hypermoderne, de la marche du roi, du mur de Berlin, de la retraite, du serpent, symétrique pure, soviétique, du tour du cavalier, ukrainienne, ultra-Méran, vieille orthodoxe).

On trouve aussi dans la littérature la deuxième attaque (Krause), la Franco-Benoni, le gioco piano, (le gioco pianissimo, le demi-gioco piano et le moindre gioco piano), le grand gambit, le pseudo-gambit (viennois), la pseudo-ouest-indienne, la pseudo-Grünfeld, l’est-indienne avec couleurs inversées, la néo-Grünfeld, la ligne du sacrifice de pion de la variante Rubinstein (9 mots, 44 lettres, un record ?), le jeu semi-ouvert, la Tarrasch améliorée – sans oublier le Tango des cavaliers noirs (ou défense mexicaine) et le semi-Tango !

Les (magnifiques) références et appellations ci-dessus sont issues pour beaucoup (attention, encore une liste) du Nouveau Guide des échecs (Giffard & Biénabe), du Larousse des Échecs (préface de Joël Lautier), du Dictionnaire des Échecs (François Le Lionnais & Ernst Maget), de The Oxford Companion to Chess (David Hooper & Kenneth Whyld, 2e édition), du Guide Marabout des Échecs (Frits van Seters), du Standard Chess Openings (Eric Schiller), de l’Encyclopédie des ouvertures d’échecs (Chess Informant, Belgrade), du Maîtriser les ouvertures (John Watson), du Traité moderne des ouvertures (Gabor Kallai) et de la Modern Chess Openings Encyclopaedia (Nikolaï Kalinitchenko).

Continuons avec quelques noms glanés çà et là (souvent traduits de l’anglais par l’auteur, avec l’aide de Google) – ils semblent avoir été forgés dans le but de « pousser le curseur » (de l’étrangeté) toujours plus loin.

La variante des toilettes (inventée dans un WC), le Cul du singe (« Si cette idée fonctionne, alors je suis un cul de singe »), la variante Frankenstein-Dracula (un genre de gambit de Vienne), l’attaque au couteau à cran d’arrêt (une réponse à la Benoni moderne), le Lion noir (une défense Philidor agressive), la Mâchoire du Lion (f3 protégeant e4), le Taureau furieux (1. e4 Ch6), l’ouverture Coup de marteau/renard frit/côtelette de porc (rebaptisée « Panique » par  Fernando Arrabal, 1.f3 e5 2. Rf3), l’Ours polaire (une hollandaise de Leningrad inversée), l’attaque Bongcloud (1. e4 puis 2. Re2 – suicide garanti), l’attaque Visage pâle (en réponse à une défense indienne évidemment), la Sicilienne ptérodactyle (accélérée ou hyper-accélérée), le Double coup dur (1. c4 puis f4), le Gambit de la fronde (Woollensock), le Gambit de l’Apocalypse (dans une Partie des quatre cavaliers, bien sûr), la Formation rampante effrayante (« Creepy Crawly Formation », une branche de l’ouverture Anderssen), l’Invitation Bird, la Sodium Attack (1. Na3 – notation anglaise) et l’Ammoniac Attack (1. Nh3 – idem), l’attaque Nescafé Frappé (titre d’un livre écrit par Graham Burgess, lequel se propose de contrer la Benko), l’ouverture du Crabe (1. a4 e5 puis 2. h4), le Canard double, la Napoléon (1.e4 et 2.Df3), le Canon d’Alekhine (triplement des pièces lourdes sur une colonne), la Marée de pions, le Gambit de Bruxelles (1. e4 c5 2. Cf3 f5), l’attaque du Faucon maltais, l’attaque Grob (1. g4 – avec la parade symétrique « Borg » 1. … g5 suivie du Gambit Coca-Cola 2. f4), la Folie Santasiere,  la variante Stiletto (une sicilienne avec Dame noire jouant en a5 au 2e coup, on voit ses talons aiguilles noirs), la contre-poussée d’Arkhangelsk, le gambit Banzaï-Leong (2. b4 dans la défense française), la variante de la Grande pince (« Big Clamp Variation »), le Piège Wurzburger, l’épi de maïs (1. e4 a5), la Krazy Kat (Blanc joue 1. Ch3, puis f3 puis Cf2), l’Anglaise du Rat, l’ouverture Travestie (Blanc permute Roi et Dame avant de se mettre à jouer « vraiment »), le gambit Oméga (1. d4 Cf6 2. e4) – il porte ce nom parce qu’il serait la dernière chose à faire, la variante de la Mangouste, celle du Renard frit (Fried Fox où Noir joue 1. … f6 puis 2. … Rf7), le gambit de la Méduse, le Glissement de doigt (Fingerslip), la défense de la Mafia, le Rêve de Christiansen, etc.

L’auteur, quant à lui, rêve plutôt d’entrer dans l’Encyclopédie des ouvertures avec les propositions (de noms et d’idées fantaisistes) ci-dessous :

– la défense Snefed (Noir répond symétriquement à Blanc le plus longtemps possible, technique dite de la Partie du singe – illustrée ci-après par un amusant ballet de cavaliers qui précède le mat final : 1. Cf3 Cf6 2. Cg5 Cg4 3. Cxh7 Cxh2 4. Cxf8 Cxf1 5. Ce6 Ce3 6. Txh8++), 

– l’ouverture (ou la défense) Agoraphobe (le joueur ne sort ses cavaliers que pour les rentrer au plus vite), 

– l’ouverture Monochrome (ou la défense du même nom – la case de départ et la case d’arrivée de la pièce jouée sont de même couleur), 

– l’ouverture de la Cage organique (1. Cc3), l’ouverture Trifluorométhyle (1. Cf3), l’ouverture de la Méthylation (1. Ch3 – ce sont trois ouvertures « chimiques » calquées sur la Sodium Attack vue plus haut), 

– l’attaque de l’Éponge de verre (on trouve de telles éponges dans le détroit d’Hecate ou d3-d4, en Colombie-Britannique), 

– la défense de la Pénitente sur sa chaise (1. … a7-a6,  on entend ascète assise), 

– la variante du Double échec sans échec (1. e3 e6 2. c3 c6 3. h3 h6 4. e4 e5 5. c4 c5 dont la succession des lettres écrit ee.cc.hh.ee.cc), 

– la variante #1 de l’Ouvroir des Échecs Potentiels (une pièce ne peut jouer que sur une case dont la lettre est présente dans le nom de la pièce : l’ouverture 1. Cc3 est autorisée, mais pas 1. Cf3 – en français – et la Dame ne peut jouer que sur les colonnes a, d et e par exemple), 

– la variante #2 de l’Ouvroir des Échecs Potentiels [une pièce qui vient de jouer interdit à toutes celles de son camp partageant une lettre au moins avec elle (en français toujours) de participer au coup suivant], 

– la Partie Première (les pièces ne se déplacent que sur les rangées 2, 3, 5 et 7 qui sont les premiers nombres premiers : Blanc peut ainsi mater au 3e coup sans bouger ses pions par 1. Cc3 c5 2. Ce5 Dc7 CxD++, tandis que Noir, autorisé à bouger ses pions, aura besoin d’un demi-coup supplémentaire avec 1.f3 e5 2. g3 Dg5 3. h3 Dxg++). Etc.

Terminons comme nous avons commencé, par Wikipédia — et une dose de poison (la variante Navalny ?) : 

La variante du pion empoisonné, née dans les années 1950, a été soutenue et analysée par deux des plus grands joueurs de lhistoire des échecs, Bobby Fischer et Garry Kasparov, qui ont tous deux en leur temps élevé le niveau de la préparation dans les ouvertures. En dépit de quantités danalyses colossales, spécialement dans la ligne 7... Db6 8. Dd2 Dxb2 9. Tb1 Da3, la variante du pion empoisonné est le principal obstacle des Blancs sur le chemin dune réfutation de la Najdorf dans son ensemble. À tel point que la variante a atteint un statut quasi mythique, certains auteurs comparant même la recherche de la réfutation de la variante du pion empoisonné à la quête dun Saint Graal échiquéen.

L’ouverture du Saint Graal : un amour de délice (lexical) en point dorgue, non ?

(lexemplaire du signataire, sur son bureau)

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© Éric Angelini, octobre 2020

 

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