Amazones du pop

Les amazones du pop enfourchent l’art à cru

Le Mamac de Nice présente les œuvres des femmes artistes de ce mouvement qui, sous des couleurs vives, expriment leurs revendications.
Par , publié le 15 octobre 2020 dans Le Monde à 08h00

« Whop! » (1970), de Lucia Marcucci. Technique mixte et collage sur carton, 50 cm x 35 cm. Courtesy de l’artiste et de Frittelli Arte Contemporanea, Florence 

Les femmes du pop ? L’expression n’a désigné, longtemps, que les femmes dont le pop art européen et nord-américain retravaillait et exaltait les images : Marilyn Monroe, Liz Taylor, Jackie Kennedy, les amoureuses éplorées des albums de comics et des foules de nudités dans la salle de bains, à la plage ou au lit.

Andy Warhol, Martial Raysse, Tom Wesselmann, Roy Lichtenstein, Richard Hamilton, Mimmo Rotella, Allen Jones et Gerhard Richter ont été les principaux archivistes de ces imageries féminines dont le cinéma, la publicité et, dans une moindre mesure, l’art ancien étaient les principales sources. Par la sérigraphie, l’installation, la peinture ou de toute autre manière, ils ont réuni une abondante collection de stéréotypes commerciaux et érotiques qui se sont diffusés à partir de la fin des années 1950 et se sont imposés dans la décennie suivante.

Sous-entendus et trivialité
Il est cependant un autre sens de « femmes du pop » : les femmes artistes qui ont participé à ce mouvement international. C’est celui que défend, à Nice, l’exposition conçue par Hélène Guenin et Géraldine Gourbe, qui leur est exclusivement consacrée. Elle s’intitule « Les Amazones du pop ». Titre spectaculaire. Titre quelque peu équivoque : la figure de l’amazone est fréquemment recyclée par le film, la bande dessinée et la publicité. Il suffit de remplacer la tunique par un maillot moulant, le cheval par une moto, l’arc et les flèches par quelque arme laser, la Grèce par l’espace intersidéral, et des amazones nouvelles apparaissent.
Elles se nomment Barbarella – film de Roger Vadim de 1968 –, Jodelle ou Pravda la survireuse, albums de Guy Peellaert de 1967 et 1968. Elles ont le visage et, surtout, le corps de Brigitte Bardot ou de Jane Fonda. Des extraits de films et de chansons le rappellent dans les premières salles du parcours : Comic Strip, interprété par Bardot et Serge Gainsbourg en 1967, Les Sucettes, de France Gall (1966), les leçons de maquillage de Marie Laforêt… La présence de ces documents d’époque est évidemment nécessaire, mais il aurait été sans doute prudent de les présenter en préambule et de ne pas les insérer parmi les œuvres, afin d’éviter toute équivoque.

Les femmes artistes du pop se saisissent de ces imageries pour en rendre manifestes les sous-entendus et la trivialité. Ce fut, à l’évidence, une circonstance aggravante pour elles, dans les années 1960, car, en dehors de Niki de Saint Phalle et de Martha Rosler, elles furent alors assez peu montrées, et il est à craindre que leurs noms ne soient encore qu’insuffisamment connus.
Si remarquables et efficaces qu’aient été indubitablement leurs créations, la Britannique Pauline Boty, la Belge Evelyne Axell, l’Espagnole Angela Garcia, l’Allemande Christa Dichgans ou la Française Nicola L. n’ont pas reçu un accueil comparable à celui qui a porté leurs contemporains. Parce qu’elles étaient femmes dans un monde de l’art principalement masculin ? Cela ne fait pas de doute, comme il n’y en a aucun sur le fait que leur pop art n’est pas celui de l’autre sexe. Il est plus acide et plus cru.

Les comparaisons sont obligatoires. Par exemple, Axell et Lichtenstein. Du second, un de ces grands tableaux où il agrandit le visage d’une blonde bien peignée qu’un chagrin d’amour accable au point qu’elle songe à se noyer et, de la première, Ice Cream, dont le sujet est le même que celui de la chanson de France Gall précédemment citée. Ce serait peu dire que l’on ne perçoit pas, chez Lichtenstein, la même ironie.

La comparaison fonctionne aussi entre les Axell, qui associent, comme la publicité, femme nue, pneumatiques et automobile, et les œuvres de James Rosenquist sur ce motif. Ce dernier est, du reste, souvent présent, directement par l’intermédiaire d’Elaine Sturtevant, indirectement par celui de Kay Kurt.

Wesselmann l’est aussi dans la Miss Universe de Kiki Kogelnik et les œuvres sur Plexiglas d’Axell, technique que l’artiste américain emploie au même moment, pour découper des silhouettes féminines réduites à une bouche, des seins, des cuisses et un sexe. Le Retour de Tarzan, d’Axell, apparaît comme une réplique immédiate, agrémentée d’allusions à Hollywood – Tarzan tout en pectoraux – et à Warhol. Des couleurs trop jolies pour être honnêtes.
C’est le deuxième acquis de l’exposition, le premier étant évidemment de faire voir tant d’œuvres méconnues. Elle suggère que, dans de nombreux cas, les femmes artistes, qui connaissent leurs travaux, répondent à leurs homologues masculins. Elles leur rappellent qu’il n’y a aucune incompatibilité entre le fait d’être de sexe féminin et celui de se vouloir artiste. Aussi Lourdes Castro place-t-elle une boîte de couleurs dans une vitrine d’écumoires, de fourchettes et autres instruments de cuisine.

Efficacité satirique
Cette pièce de la maison est l’une des plus fréquemment montrées, puisque tenue pour le « royaume » de la bonne ménagère, qui doit aussi être la plus sexy des épouses. Ce sont deux formes complémentaires de consommation : l’alimentaire et la sexuelle. Elles se confondent souvent. La performeuse et vidéaste Carolee Schneemann le montre en 1964 dans Meat Joy : des femmes et des hommes vêtus de collants au plus près du corps se jettent des morceaux de viande et des poissons. Ce n’est cependant pas Meat Joy qui est montré d’elle, mais Fuses, chronique autobiographique qui réunit aussi toutes les consommations, jusqu’aux plus intimes, mais avec moins de brutalité.

L’association des deux activités organiques est tout aussi visible dans les collages de Lucia Marcucci et dans ceux de Martha Rosler. Celle-ci place une poitrine dénudée dans le four d’une cuisinière électrique et fait se déhancher une pin-up nue entre évier et placards plaqués bois. Entre ses petits plats et ses strip-teases, cette femme moderne passe en souriant l’aspirateur et regarde, toujours en souriant, des images de la guerre du Vietnam et des alunissages des missions Apollo, ces deux manifestations de la puissance américaine.
Puis, le cœur tranquille, elle range la chambre des enfants, encombrée de ces jouets en plastique que Christa Dichgans accumule en natures mortes multicolores. Elles précèdent de plus de vingt ans les séries de bouées et de figurines de Jeff Koons. On supposera qu’il s’agit d’une coïncidence à retardement.

Une troisième leçon surprend moins : l’efficacité irrésistible de Niki de Saint Phalle, de ses grands assemblages tragicomiques blanchis au lait de plâtre et souillés de couleurs quand l’artiste ou ses amis tirent dessus à la carabine, de ses petits bas-reliefs d’objets trouvés et de fragments divers arrangés comme des reliquaires absurdes. Son Autel O.A.S. de 1962 est crûment satirique. L’artiste prétendait que les trois lettres étaient l’abréviation d’« œuvre d’art sacrée », mais ce sont plutôt celles de l’Organisation de l’armée secrète, groupe clandestin d’extrême droite catholique qui combattait par les attentats l’indépendance de l’Algérie. Les artistes femmes peuvent aussi être politiques.

« She-Bam Pow Pop Wizz ! Les Amazones du pop ». Au Mamac, place Yves-Klein, Nice. Mamac-nice.org. Du mardi au dimanche, de 11 heures à 18 heures. Entrée 10 €. Jusqu’au 28 mars.
Philippe Dagen (Nice, Alpes-Maritimes)

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