Eldorama, échecs, US Open, varia
Eldorama est une belle exposition au Tri Postal à Lille – le taulier recommande, surtout Mike Kelley, les nombreuses vidéos qui évoquent les réfugiés (et celle magnifique de Korakrit Arunanondchai ["History in a room (...)" – voir le papier de Libé de 2015 tout en bas de cette page], les toiles de Till Gerhard, les Holiday Paintings de Jonathan Monk, les garimpeiros d'Alfredo Jaar, les photos un poil kitsch de Hank Willis Thomas (avec ou sans flash), Peter Stämpfli, Anna Uddenberg et ses performeuses-en-valise, Gilles Barbier, etc.)
Voici Kandor, l'eldorado dont rêvent les enfants, mais de plus en plus d'humains aussi, la ville-miniature dont les 6 millions d'habitants furent sauvés par Superman...
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Kandor (/ˈkændɔːr/) is a fictional city appearing in
American comic books published by DC Comics.
Kandor is the former capital city of the planet Krypton
and is best known for being miniaturized and then stolen
by the supervillain Brainiac. Upon its recovery by Superman,
it has been kept and monitored in the Fortress of Solitude.
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(Je ne sais plus de qui sont ces sculptures indiennes à l'entrée de l'expo, au rez – mais j'ai goûté l'autoréférence de celle-ci : un vendeur à la sauvette d'article bling-bling, genre faux sacs et fausses valises Vuitton, traité dans le plus pur style kitscho-Bollywood).
Ci-dessous trois selfies, dont le dernier au Yayoi Kusama, queue monstrueuse devant la porte, on est chez Disney pour 45 secondes d'attraction maximum !
[Je crois que le catalogue Kienholz que propose cette marchande du Flea Market de Duane Hanson est celui qui mentionne l'installation permanente (envoûtante et affreuse) du même Kienholz à la Fondation Prada de Milan]
Je profite de cette page pour placer ci-dessous deux travaux que j'aime bien d'Icy&Sot, le premier évoquant la politique de ce salopard de Trump, le second sans commentaire, intitulé Climate change. Quand je pense que ce taré de Trump, à quelques jours d'intervalle... mais je préfère laisser la parole à Laurent Joffrin qui dit ça mieux que moi dans le Libé du jour :
« Ainsi Donald Trump, jamais à court de solutions ingénieuses, a suggéré de lancer une bombe nucléaire sur le prochain ouragan qui s’aviserait de s’approcher des côtes américaines. Voilà qui dissuaderait à coup sûr les futures agressions cycloniques. Cohérente avec ses convictions protectionnistes, la proposition du président américain avait déjà été envisagée à la fin des années 40 par quelques docteurs Folamour de la météo yankee, puis rejetée – chose étonnante – en raison des risques de retombées radioactives.
Le même professeur Nimbus de la Maison Blanche a aussi envisagé d’acheter le Groenland, qui n’est pas à vendre, de manière à étendre très pacifiquement le territoire américain. «Make America Great Again»… Il est vrai que les Etats-Unis avaient déjà acheté la Louisiane à Napoléon, qui avait besoin d’argent pour la Grande Armée. Malheureusement, le gouvernement danois, n’ayant pas l’intention d’envahir l’Europe à la tête de ses grognards, a demandé au président américain de redescendre sur terre, ce que l’intéressé a mal pris. Il a annulé une visite prévue au Danemark, ce qui a probablement soulagé plus que peiné les autorités de Copenhague. prétend vouloir acheter le Groenland et demande si lancer des bombes atomiques sur les ouragans qui menacent les USA serait une bonne idée...) »
Sinon les échecs à Saint-Louis se poursuivent, avec un Magnus en petite forme (mais bien coiffé, comme Nepo) :
Selon la légende, même des panneaux en acier trempé
fondent au contact du mancenillier.
KORAKRIT ARUNANONDCHAI, ESPRIT DE CIEL
Au Palais de Tokyo, le plasticien thaïlandais déploie son univers fait d’un enchevêtrement d’objets et d’images, dont certaines filmées au moyen d’un drone.
Et une petite fantaisie typographique mienne, avant d'évoquer quelques beaux problèmes d'échecs et les vidéos passionnantes de Ben Finegold – devenu GM à 40 ans et doté d'un humour ravageur.
Ici la vidéo « Beginner Beatdown » de Ben Finegold
et là son « Beating Lower Rated Players ».
Une autre chaîne YouTube que j'ai suivie longtemps comportait de très jolis problèmes d'échecs (classiques) comme ceux-ci, où la question est chaque fois: « Blanc est au trait, comment va-t-il gagner ? »
Sinon l'US Open vient de commencer – la maison soutient (l'épaule gauche de) Nadal !
On termine avec le gaura qui pousse devant la fenêtre du taulier et le mancenillier, plante la plus « badass* » de la planète, selon le Monde :
fondent au contact du mancenillier.
[...]
Ce n’est pas sans raison que le Livre Guinness des records l’a nommé «l’arbre le plus dangereux du monde» en 2011. Ou que les Espagnols l’appellent l’arbre de la mort.
Hippomane mancinellais est le cousin qui a mal tourné dans la famille des euphorbiacées, qui compte notamment le ricin et le manioc. Son nom vient de l’espagnol manzanilla, «petite pomme», en raison de ses fruits ronds à l’allure et au parfum de mignonnes pommes reinettes toutes rondelettes. C’est évidemment un piège, comme dans la Bible ou dans Blanche-Neige : une sève laiteuse qui coule dans ses vaisseaux rend les fruits tellement empoisonnés qu’il paraît que Poison Ivy en est verte de jalousie.
Certains Amérindiens tels que les Calusa de Floride avaient bien compris – sans doute initialement à leurs dépens – qu’il ne fallait pas jouer au plus fin avec le mancenillier. Ils imprégnaient leurs flèches de la sève de l’arbre. Certains récits historiques relatent ainsi la mort en 1521 du conquistador espagnol Juan Ponce de Leon peu de temps après que celui-ci eut été blessé à l’épaule par un tel projectile. Plus raffiné, un supplice consistait à attacher les captifs au tronc de l’arbre, garantissant une mort lente et douloureuse. Qui s’y frotte, s’y pique: ce maudit fluide contient du phorbol, un composé diterpénique connu pour ses propriétés hautement irritantes, provoquant brûlures, cloques et inflammations cutanées.
[...]
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*badass :
Adjectif (anglais badass). Se dit d’une personne, d’un animal ou d’une plante dont l’attitude, l’apparence, le côté dur à cuire ou le comportement extrême le rendent à la fois terrifiant et cool. Qu’est-ce qu’il est badass, Chuck Norris !
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KORAKRIT ARUNANONDCHAI, ESPRIT DE CIEL
Au Palais de Tokyo, le plasticien thaïlandais déploie son univers fait d’un enchevêtrement d’objets et d’images, dont certaines filmées au moyen d’un drone.
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Korakrit
Arunanondchai est un artiste contemporain de 28 ans qui a grandi à Bangkok
et vit aujourd’hui à New York. Il a les cheveux longs teints en blond, ce qui
lui va très bien. C’est un jeune homme sympathique, de son temps, qui a des
baskets dans le coup et qui écoute Drake. Et, comme les jeunes Américains de sa
génération, il ponctue sa conversation de «like» et de «you know what I mean», le premier
se collant entre quasiment chaque mot de ses phrases, et le second permettant
d’évacuer gentiment les explications qui pourraient être, sinon nécessaires, au
moins bienvenues.
Car le travail du plasticien
déroute, tel qu’il est présenté tout l’été au Palais de Tokyo, à Paris, avec
l’exposition « Painting With History in a Room Filled With People With FunnyNames 3 ». C’est un enchevêtrement de mondes et d’images, un tunnel visuel
dans lequel on rentre sans trop savoir ce qu’il y a au bout, mais en en sachant
pas beaucoup plus sur ce qu’il y a autour de nous. L’œil se perd, ne sait pas
trop où regarder : le bassin verdâtre où flotte une statue humanoïde ? La
maquette d’un bâtiment ? La vidéo d’une émission de télé-crochet thaïlandais où
une jeune femme frotte son corps enduit de peinture sur une toile blanche,
comme une performance d’Yves Klein ? Les murs couverts d’explosions
multicolores ? Il n’y a là aucun effet malaisant, plutôt une gêne, une question
qui naît : qu’est ce que c’est que ce bazar ?
Ferme à crocodiles
C’est le premier effet de
l’exposition, remarquable déjà par le simple fait qu’elle agace, irrite,
exclut, dérange, et donc fait réfléchir. Avec un sens du spectacle assumé,
Korakrit Arunanondchai propose, comme un bateleur de cirque, du «jamais vu». Ou
plutôt plein de choses déjà vues, mais jamais mises ensemble. De cette première
salle où tourbillonnent les installations, on passe par un couloir éclairé par
des fausses bougies pour arriver dans une salle où, avachi sur des poufs, le
visiteur regarde un film hypnotique, monté avec la trame d’une spirale qui
emprunte autant à l’univers du clip (Rihanna et tant d’autres) qu’au cinéma
expérimental.
La
première partie de l’exposition s’appelle «le Corps», la seconde «l’Esprit».
«Painting With History in a Room Filled With People With Funny Names 3»
sert d’épilogue à un cycle de trois expositions, entamé en 2012, à New
York, Kansas City et Londres. Le Corps et l’Esprit sont en symbiose. Julien
Fronsacq, commissaire d’exposition : «Le film est la bande-son de
l’installation. Et quand on le voit, on comprend d’où viennent les éléments de
l’installation.» Arunanondchai, lui, cite Jonas Mekas et son «expanded cinema», la
matérialisation d’un film dans l’espace muséal, le dépassement de l’écran, ou
encore la mise en scène de Chris Marker dans Sans soleil.
«Aujourd’hui, tout le monde est
représenté d’une manière ou d’une autre, sur les réseaux sociaux ou ailleurs.
Ce travail a pour sujet ma fabrication en tant qu’artiste», dit-il.
La trilogie qu’il clôt ici serait à ses yeux, le témoignage de son entrée dans
l’âge d’homme, ou du moins d’artiste. «Avec "Painting With
History…", j’ai voulu m’intéresser à la membrane qu’il y a entre les
choses, créer des liens entre des éléments antagonistes : l’Est et l’Ouest, la
technologie et la spiritualité.» On n’est ici jamais loin des
poncifs, et, pourtant, de ces évidences naît une matière incroyable et dense.
Korakrit Arunanondchai jette des fils narratifs, invente un esprit invisible,
Chantri, qui dialogue avec un autre personnage (qu’il interprète lui-même dans
le film), un artiste qui peint sur du denim, comme un Jackson Pollock
sponsorisé par Levi’s.
Climat politique
Ce déferlement peut-il être qualifié
«d’exotique», au sens où Victor Segalen l’entendait dans son Essai sur l’exotisme, une esthétique du divers : «[Il] n’est donc pas la compréhension parfaite d’un hors
soi-même qu’on étreindrait en soi, mais la perception aiguë et immédiate d’une
incompréhensibilité éternelle.» Sans doute. Mais l’imagerie
convoquée va encore plus loin. Le film nous plonge au dernier étage d’un
gratte-ciel de Bangkok, sur le tournage d’un clip, puis dans une ferme à
crocodiles, dans un temple au nord du pays, dans un tas de disques durs usagés
qui ressemblent aux enfers… Arunanondchai lui-même apparaît, le corps
peinturluré et s’apprêtant à plonger dans une rivière. L’esprit Chantri est ici
un drone qui vole dans la forêt et que l’artiste tente de saisir.
Les objets volants existent bien dans
nos cieux, les immenses affiches publicitaires pour des cosmétiques ou autres
sont les principales images de l’urbanité contemporaine. Ce qui frappe chez
Arunanondchai, c’est sa proposition de témoignage d’un nouveau réel, d’un monde
où se croise l’orfèvrerie numérique et les croyances passées : «Je vis à New York depuis quelques années, et je me sens
entouré par l’idée que nous sommes dans une ère post-humaine. On fonctionne
comme des réseaux, plein de gens rêvent de devenir des machines. Quelle est la
spiritualité des téléphones portables, des iPads, des objets technologiques qui
peuplent notre quotidien ? C’est aussi ce genre de questions que je me pose.»
Cet animisme numérique, servi par la
perfection surplombante des images tournées par drone, vient se frotter à
d’autres types d’images : vidéos personnelles, où la grand-mère de l’artiste
est malade dans un lit d’hôpital, captations de performances agitées à New York
ou Paris, scènes du cinéma d’Apichatpong Weerasethakul, évocation du climat
politique actuel thaïlandais, de la disparition progressive de la démocratie.
Excluant et happant
Voit-il une hiérarchie entre ces images
nobles, impures, banales, cinématographiques ou publicitaires ? «Je ne sais pas vraiment si elles se valent. Mais en tout cas,
elles ont toutes un rôle.» Julien Fronsacq : «Avec toutes ces références au simulacre, et ce foisonnement
étourdissant, il y a chez Korakrit la tentative de redonner du réel dans
l’art.» Geste virtuose, excluant et happant, «Painting With
History…» nous donne à voir un univers hyperréaliste et fascinant, dont on
oublierait presque, pendant un instant, qu’il s’agit du monde où nous vivons.
Korakrit Arunanondchai Painting With History
in a Room Filled With People With Funny Names 3 Palais de Tokyo, 13,
av. du Président-Wilson, 75016. Jusqu’au 13 septembre 2015.
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