Manara, sole meunière, Duchamp, rétro facile, Artemiev



Le Caravage, Pratt, Fellini… les maîtres de Milo Manara

En près de 50 ans, le dessinateur de BD a une œuvre bien plus variée que ses héroïnes aux poses lascives. A 73 ans, il publie le second tome de sa biographie du Caravage tandis que le Festival d’Angoulême lui consacre une rétrospective.

Frédéric Potet pour le Monde, le 25 janvier 2019 à 06h38

Milo Manara à Angoulême ? « Gardez les gosses la maison ! », hurlent à coup sûr les gardiens de la vertu. « Cachez ces dessins que nous ne saurions voir ! », renchérissent les puritains de service. Et pourtant… Son nom a beau être indissociablement associé à la bande dessinée érotique, on aurait tort de cantonner Milo Manara à cette seule facette.


Tel est, justement, le propos de la rétrospective que lui consacre, du 24 au 27 janvier, le Festival international de la bande dessinée, à travers l’accrochage de 150 planches et documents rares : montrer la variété d’une carrière artistique longue de cinq décennies, mue par l’expérimentation graphique et l’inspiration exercée par quelques compatriotes fameux – d’Hugo Pratt, son mentor, à Federico Fellini, avec qui il collabora, en passant par le Caravage, dont il vient de clôturer un diptyque en forme d’hommage qui met en scène la tumultueuse vie du peintre du XVIIe siècle.


« Le Déclic » ou l’érotisme onirique

Pour autant, la sexualité n’a pas été camouflée dans cette exposition, la première consacrée à l’auteur du Déclic (1983) dans ce grand rendez-vous charentais de la BD.
Esquisses pour une page de « Jolanda de Almaviva », vers 1970.

Le Déclic ? Davantage qu’un album de bande dessinée (devenu une série en quatre tomes), un véritable monument d’érotisme onirique, qui relate les péripéties charnelles d’une épouse initialement frigide, sous l’emprise d’un boîtier électronique connecté à son cerveau. Livre de chevet d’une génération d’adolescents éveillés aux mystères de la libido, Le Déclic a marqué son époque autant pour la « critique sociale » qui en émane – domination masculine et mœurs conservatrices y sont copieusement égratignées – que pour la sensualité d’un crayon qui magnifie les courbes féminines.

Planche d’essai pour l’album « HP et Giuseppe Bergman », dont le physique du héros est volontairement inspiré de celui d’Alain Delon.

Rencontrer Milo Manara, quelque trente-cinq ans plus tard, c’est replonger dans le fantasme d’un artiste forcément provocateur, extraverti à tout le moins. Il n’en est rien.

À 73 ans, le dessinateur est un monsieur à la discrétion confondante, presque timide, qu’on devine plus à son aise dans l’atelier de sa propriété des hauteurs de Vérone, où il élève des animaux et cultive la vigne, que dans les salons d’un hôtel parisien où il est de passage pour la promotion du tome II de son Caravage (Glénat). 



À l’approche de l’exposition d’Angoulême, Milo Manara est aussi venu expliquer que c’est l’érotisme qui est venu à lui, et non l’inverse. « Je l’ai conçu comme un jeu – c’est d’ailleurs le titre de la version italienne du livre (“Il Gioco”). Jamais je n’ai pensé que cette histoire rencontrerait un tel succès. »


À la fin des années 1960, le sculpteur espagnol Miguel Ortiz Berrocal, dont il est l’assistant, lui fait découvrir la bande dessinée à travers deux albums qui préfigurent l’avènement de la BD pour adultes : le torride Barbarella, de Jean-Claude Forest, et Les Aventures de Jodelle, de Guy Peellaert.




Milo Manara réalise alors ses premières planches dans l’industrie du fumetti, des petits fascicules de BD bon marché, qui proposent des récits de genre au premier degré. Pendant plusieurs années, Manara va produire à la chaîne des histoires libertines, peuplées de soubrettes en tenue légère et de nymphettes aux idées coquines. Le job est alimentaire et « de commande ».


Héroïnes prêtes à transgresser les interdits liés au sexe

Vingt ans plus tard, c’est aussi une commande qui fait naître Le Déclic, lorsque la rédactrice en chef d’un mensuel italien érotique, Playmen, demande à Manara de réaliser un récit pour les dernières pages de sa revue.



Le dessinateur – qui a entre-temps entamé une véritable carrière d’auteur de BD, en créant notamment le personnage de Giuseppe Bergman, né de ses lectures de Pirandello – s’inspire pour ce projet de la vision d’un collaborateur du magazine particulièrement laid, qui vivait entouré de jolies filles. Et c’est en actionnant la télécommande de son garage qu’il imaginera ce boîtier déclencheur d’un irrépressible désir sexuel chez son héroïne. « Je l’ai conçu comme un jeu – c’est d’ailleurs le titre de la version italienne du livre (Il Gioco), raconte-t-il. Jamais je n’ai pensé que cette histoire rencontrerait un tel succès. »


Le style Manara est né, fait d’héroïnes aux poses lascives et aux lèvres pulpeuses, prêtes à transgresser la plupart des interdits liés au sexe – voyeurisme, exhibitionnisme, sadisme, zoophilie…


La dimension humoristique et grotesque des scénarios échappera certes à de nombreux lecteurs. Tout comme le fait que Manara ne représente jamais de scène d’amour au lit. « J’ai été tout de suite catalogué comme un auteur érotique, poursuit-il. Je n’ai rien fait, il est vrai, pour ne pas mériter cette étiquette, qui m’a accompagné toute ma carrière, faisant même de moi un expert de la chose, ce que je ne suis pas. J’y ai vu néanmoins un avantage : être reconnaissable au milieu d’une production BD prolifique qui n’a cessé de gagner en qualité. »

 Planche du tome II de « Caravage », avec Marie-Madeleine en extase.

Pas très éloigné de son idole, le Caravage

Autre caractéristique de Milo Manara, sa prédilection, dans ses histoires, pour des héroïnes d’extraction modeste. « Quand j’ai commencé mon métier, en 1968, la bible de tous les étudiants était L’Homme unidimensionnel de Marcuse. J’avais lu, moi, un autre livre de Marcuse, Eros et civilisation, dans lequel il théorisait le fait que la sexualité ne se limite pas à la reproduction, mais est aussi une façon de se libérer socialement. Cela m’a, je crois, beaucoup influencé », confie celui qui, longtemps, créa ses personnages féminins en croquant des passantes sur le vif. En cela, Milo Manara n’est pas éloigné de son idole, le Caravage.

Le maître du clair-obscur avait l’habitude en effet de recourir à des modèles vivants pour traiter de thèmes religieux, allant jusqu’à faire poser une prostituée pour incarner la Vierge. Le Caravage avait aussi développé une esthétique de la composition et de la narration d’une modernité absolue.


« Ses toiles sont des sommets en matière de réalisme et de fiction. Il était également très attentif à l’éclairage des scènes qu’il peignait, à la manière d’un photographe qui déplace ses lumières. Davantage que de la bande dessinée, il ferait du cinéma aujourd’hui », présume Manara qui, au lieu de coller sur ses planches des représentations des tableaux du Caravage, s’est évertué à les redessiner à la main.

Des cases du « Voyage de G. Mastorna », en 1992, inspiré du story-board 
d’un projet de film de Federico Fellini.

Cette « forme d’humilité », dit-il, n’a pas empêché le dessinateur de s’autoriser quelques libertés qui n’auraient sans doute pas déplu au sulfureux créateur, mort à 38 ans, qui fut poursuivi pour sodomie et meurtre.

Dans son évocation du Caravage, Manara imagine ainsi le travail préparatoire ayant conduit à la réalisation d’un des tableaux les plus célèbres du peintre, Marie-Madeleine en extase (1606). Tête en arrière et yeux fermés, la disciple du Christ y est représentée touchée par la présence divine. A moins qu’il ne s’agisse d’un orgasme, propose Manara dans une scène à la suggestion explicite (qui reprend à son compte l’interprétation de plusieurs experts, mais aussi de Jacques Lacan à propos de L’Extase de sainte Thérèse, sculpture de Bernin visible dans une chapelle de Rome).




« Le Caravage ne peignait que d’après modèle, rappelle Milo Manara. De deux choses l’une : soit il a vu Marie-Madeleine en extase devant Dieu, ce qui est peu probable ; soit il a vu… autre chose. Peu importe, en fait. Une extase reste une extase. »


« Milo Manara, itinéraire d’un maestro de Pratt à Caravage », Festival international de la bande dessinée, jusqu’au 27 janvier 2019. www.bdangouleme.com
[Frédéric Potet]
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31 janvier 2019, 15:00

Qui faut-il dresser tête à gauche et ventre en bas ?



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31 janvier 2019, 15:10


Les Arts et métiers, un musée ready-made pour Duchamp
À Paris, une exposition montre combien l’artiste 
n’a cessé de s’intéresser à l’état des sciences. 
Par Philippe Dagen,  publié aujourd’hui à 09h42 dans le Monde



Marcel Duchamp aimait les machines, comme on en fabriquait vers 1900, optiques et mécaniques de précision, roues dentées et crémaillères de cuivre jaune, axes d’acier brillant, bois vernis. Les têtes pivotantes d’une broyeuse de chocolat vue dans une vitrine à Rouen avaient produit sur lui un grand effet. Aussi les retrouve-t-on dans Le Grand Verre, qui est dans sa totalité une vaste et complexe machine.
Plus tard, Duchamp s’est voulu ingénieur et a participé au concours Lépine en 1935, avec ses disques dont les lignes colorées créent des effets visuels troublants quand on fait les tourner à l’aide d’un petit ­moteur. Le Musée des arts et ­métiers ne pouvait que l’en­chanter, paradis des inventions et des ­mécaniques dans lequel on l’imagine flânant d’un chef-d’œuvre savant à un autre.
Vue de l’installation de François Olislaeger dans le cadre de l’exposition consacrée à Marcel Duchamp au Musée des arts et métiers à Paris, jusqu’au 24 février 2019.

L’y faire réapparaître est donc une idée heureuse, qu’a eue l’historienne de l’art liégeoise Julie Bawin. Elle a invité, dans la section « Energie et mécanique » du musée, deux artistes dont la prédilection pour Duchamp est avérée. L’un est le dessinateur François Olislaeger, auteur de Marcel Duchamp. Un petit jeu entre moi et je (Actes Sud, 2014), biographie dessinée en noir et blanc, parsemée de citations tirées des entretiens et propos de Duchamp.



Éloge du regard lent

Olislaeger en a tiré des dizaines de saynètes découpées, suspendues par des fils aux rayons d’une ­immense roue de bicyclette elle-même suspendue au plafond. Les images dansent doucement au gré des mouvements à peine sensibles qui agitent ce mobile d’un genre nouveau. D’autres dessins découpés sont glissés dans les ­vitrines parmi les machines, ce qui permet à Olislaeger de développer des allusions, immédiates ou plus cryptées, et de remettre Duchamp en situation. Pour repérer toutes ses interventions, il faut être un visiteur extrêmement attentif. Cet exercice du ­regard lent est bénéfique à une époque où tant d’expositions sont conçues sur le principe du « vite vu, vite oublié » qui aurait été très antipathique à Duchamp.



L’autre invité est Mathieu Mercier, dont la dévotion est allée, en 2015, jusqu’à rééditer minutieusement la Boîte-en-valise, le musée miniature de Duchamp qu’il produisit lui-même en 450 exemplaires entre 1941 et 1968, année de sa mort. En piochant dans les collections des Arts et métiers et dans la sienne, Mercier a composé trois grandes vitrines entre reliquaire et portrait chinois. Chaque objet, du tire-bouchon à la carte postale, de la ­machine à écrire Underwood et sa housse au conoïde et son paraboloïde hyperbolique tangent de Théodore Olivier, renvoie à une œuvre, une idée ou un événement dans la vie de Duchamp.


Là aussi, les allusions sont parfois transparentes – la pelle à neige, l’urinoir – et parfois inframinces, mot du vocabulaire ­duchampien. On peut donc ­considérer chacun de ces ensembles comme une allégorie de ­l’artiste par objets interposés. Ou, de façon plus historienne, ­vérifier grâce à eux combien les idées et les pratiques de ­Duchamp étaient profondément inscrites dans un certain état des sciences, des arts et des mœurs qui était celui de son temps et qui a évolué au fil des ­décennies.



On peut donc par là même vérifier combien Duchamp aide à ­comprendre son siècle, contrairement à la réputation de légèreté que continuent à lui faire ceux, encore nombreux, qui ne l’ont pas toujours compris.



« Monsieur Duchamp nous a dit que l’on pouvait jouer ici », Musée des arts et métiers, 60, rue Réaumur, Paris 3e. Du mardi au dimanche, de 10 heures à 18 heures, le jeudi jusqu’à 21 h 30. De 5,50 € à 8 €. Jusqu’au 24 février.
[Philippe Dagen]
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31 janvier 2019, 16:00
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31 janvier 2019, 16:20

Un petit rétro facile et sympa, illustrant le thème Pronkin, composé par François Gouze
Blanc vient de jouer son 7e coup : lequel ?
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31 janvier 2019, 16:50

On vous avait prévenus, Artemiev est très, très fort ! Il vient de remporter le Gibchess !




Il est 20e au classement Elo désormais (mise à jour de ce jour) !

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Commentaires

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