Bruits de bottes, colonies, miscellanées, Oulipo
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29 octobre 2018 -- 12:00
Les images que contient ce livre ont beau être connues, elles sidèrent par leur accumulation franche (pourtant, je ne sais plus qui a reproché aux auteurs d'avoir « pratiqué une mise en pages » des documents).
Je partage (dans tous les sens du terme) cette tribune parue dans Libé il y a quelques jours :
TRIBUNE
«Sexe, Race et Colonies» est bien un ouvrage d’histoire
Par Gilles Boëtsch, directeur de recherche émérite, CNRS
11 octobre 2018
Le livre qui entend démontrer comment la puissance coloniale s’est aussi exercée par la domination sexuelle suscite de vives réactions : en publiant de nombreuses images de femmes humiliées, il en réactiverait la violence. L’anthropologue Gilles Boëtsch, un des codirecteurs de l’ouvrage, défend un travail de recherche : on ne peut pas déconstruire le passé colonial sans voir, comprendre et critiquer ces images.
Tribune.
En réponse à quelques détracteurs de notre travail, comme Philippe Artières (Libération, le 1er octobre) ou Daniel Schneidermann (Libération, le 8 octobre), « Sexe, race et colonies » (éd. la Découverte) est bien un ouvrage d’histoire et d’anthropologie - un ouvrage de sciences humaines et sociales, dont le matériau d’étude est l’image - et non… un livre pornographique. Ce livre est le fruit de la collaboration de 97 chercheurs et spécialistes reconnus pour leurs travaux sur l’histoire de l’esclavage, du colonialisme, de la sexualité ou du corps. Des chercheurs travaillant dans plus de 30 universités ou laboratoires dans le monde entier. Leurs contributions respectives, réparties en 20 articles et en plus de 120 notices, sont illustrées par des sources iconographiques diverses : gravures, peintures, illustrations, affiches, cartes postales, photographies de la culture matérielle, archives anthropologiques et ethnographiques provenant d’institutions muséales européennes ou de collections privées. De tout cela, ces détracteurs ne disent rien, puisqu’il faut de toute évidence brûler ce livre et non le lire.
Malgré leur charge émotionnelle évidente, ces sources iconographiques ont été considérées comme des ressources d’informations. C’est le rôle du chercheur de prendre une distance avec l’objet d’étude. Elles ont permis d’une part, d’appréhender les spécificités des contextes historiques, sociaux et culturels, et d’interroger d’autre part, les continuités, les évolutions, les ruptures dans la construction d’une image de soi et de l’« Autre » au cours des siècles. Ce sont toutes ces raisons qui nous ont conduits avec l’éditeur à publier un livre dans ce format, pour justement ne plus regarder ces images comme périphériques, mais bien comme des sources informatives centrales pour la compréhension du système colonial.
Au-delà d’une dénonciation du colonialisme et de la domination des colonisateurs sur les colonisé.e.s, ces «documents» toutes époques confondues depuis le XVe siècle ont participé à une contextualisation des différents régimes d’altérité produits par les Empires et à une problématisation de leurs politiques successives d’encadrement de la sexualité en situation coloniale. Ne pas comprendre, voir, intégrer ces images dans notre déconstruction du passé colonial, c’est faire le travail à moitié. Ce refus de voir se transforme chez certains en refus de montrer. Nous pouvons le comprendre, mais nous ne partageons pas ce choix car il empêche de déconstruire. La puissance et la violence intrinsèques de ces images demeurent prégnantes et vivaces. Elles sont toujours à l’œuvre, non pas parce qu’on les montre, mais parce que ce qu’elles ont produit est toujours de l’ordre de la domination : culture du porno sur le Web, tourisme sexuel dans les pays du Sud, discrimination, prostitution, violences faites aux femmes… Tout cela nous le savons bien, tout comme nous savons qu’il y a aussi des enjeux plus «identitaires». Il faudrait être aveugle pour ne pas aussi interroger ce contexte.
Dans le même temps, cela questionne sur la propriété de ces images. Sont-elles de l’ordre du commun, ou ne doivent-elles être propriété que de ceux qui en sont les héritier.e.s blessé.e.s par celles-ci. En d’autres termes, un non-héritier peut-il travailler sur ces images et les montrer ? De fait, elles ne représentent pas des corps désincarnés décrits dans la littérature, mais de vraies personnes, au vécu et au parcours souvent douloureux.
Bien que leurs conditions de production ne puissent pas toujours être connues ou explicitées, les clichés personnels, les documents anthropologiques ou les portraits exotisés et réifiés de l’imagerie coloniale traduisent les rapports sociaux hiérarchiques de sexe, de genre et de «race» entre le photographiant (professionnel ou non) et les photographié.e.s. L’exhibition forcée de la nudité corporelle, les postures suggestives données sciemment aux personnes photographiées, les mises en scènes de soi-disant «couples» interraciaux attestent de «proximités» subies ou contraintes - dans les mariages «à la mode du pays» par exemple - mais aussi de l’omniprésence du commerce prostitutionnel. Elles confèrent une visibilité aux critères retenus dans la fabrique d’«Autres» racialisés, dans l’invention d’une Européanité et de leur sexualité présumée. En les éditant sur le temps long (six siècles), en montrant la diversité des supports, l’impact sur les opinions, le lien entre les images de là-bas et les inventions d’ici en termes de fantasmes du Blanc sur ces paradis exotiques qui étaient, en réalité, des enfers pour les colonisé.e.s, on écrit une autre histoire.
La publication de ces photographies coloniales pose bien sûr la problématique de leur circulation et de leurs lectures contemporaines. Nous le savons, nous travaillons sur ces enjeux depuis vingt-cinq ans. L’intérêt renouvelé dont elles sont l’objet depuis plusieurs années se donne à voir dans l’édition de plusieurs travaux (et autres «beaux livres»), tels que le Harem colonial de Malek Alloula (1981), Bons Baisers des colonies de Safia Belmenouar et Marc Combier (2007) ou le catalogue de l’exposition néerlandaise Black is Beautiful. Rubens to Dumas (2008).
Pour l’ouvrage « Sexe, race et colonies », les différents textes questionnent les transformations et les conflits de sens donnés à ces productions visuelles au cours des périodes historiques et au gré des contextes coloniaux. Rien de nouveau en fin de compte, si ce n’est que, pour la première fois, nous donnons à voir la totalité du symptôme pour comprendre le mal.
Notre approche a également cherché à discuter des différents modes d’assignations par lesquels les corps sont, hier comme aujourd’hui, sexualisés, genrés, racialisés et politisés. Ce travail critique de déconstruction, à l’œuvre par exemple dans les productions artistiques, comme celles d’Ayana V. Jackson ou de Renee Cox, relève désormais d’enjeux mémoriels.
Il est essentiel de changer le regard sur le passé colonial comme sur les colonisé.e.s et leurs descendant.e.s, et faire débat de ces questions. Mais il faut aussi savoir sortir des pièges de l’identité et de la légitimité de telle ou telle personne pour parler de tel ou tel sujet. C’est justement ce que tente cet ouvrage en essayant de dépasser cette posture du « Eux » et du « Nous » pour construire une réflexion plus collective. Une recherche plus globale, plus internationale et qui sort des pièges de la bonne conscience. C’est aussi ce que nous avons fait, depuis quinze ans, en travaillant tous ensemble sur les « zoos humains ». Au départ, personne ne voulait voir ces images… et puis il y a eu des livres, et puis il y a eu des expositions (notamment au musée du Quai-Branly)… et puis il y a eu ce film diffusé sur Arte le 29 septembre, Sauvages, au cœur des zoos humains. Nous croyons en la vertu de déconstruire les images par les images. Et nous avons appris à être patients.
Et ceci par Laurent Perez, impeccable, dans artpress de novembre 2018 :
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29 octobre 2018 -- 18:30
Pondu ceci, en rapport peut-être avec cela – pour qq amis, dont T. Ce sont des palindromes infinis, ils ont droit à la police (courier) :
Tiret – là, l'altérité – tiret – là, l'altérité ...
Bibelot, étole, bibelot, étole, ...
Avanies, sein, avanies, sein, ...
Bonnet D t'ennoblit-il ? Bonnet D t'ennoblit-il ? ...
Elle ? Mamelles ! Elle ? Mamelles ! ...
Tâterions Noire ? Tâterions Noire ? ...
Et... téterions noire tette ?
Du sud, lait initial ! Du sud, lait initial ! ...
Araserions noire Sarah ? Araserions noire Sarah ? ...
Mimerions noire Mimi ? Mimerions noire Mimi ? ...
Limerions noir Émile ? Limerions noir Émile ? ...
Cette nette pipette ? Cette pipette nette ! Cette nette ...
Papillome molli, papillome molli, ...
Râle, papelard ! Râle, papelard ! ...
Secret sesterce, secret sesterce, ...
Télé-pipelets, télé-pipelets, ...
Dédiasses essai ? Dédiasses essai ? ...
La mare s'irisera mal, non ? La mare s'irisera mal, non ? ...
Tétanisé, résina ! Tétanisé, résina ! ...
(résiner : additionner de la résine au vin)
Relit-il, Éric, ici ?! Relit-il, Éric, ici ?! ...
(bref, vous avez compris) :
29 octobre 2018 -- 18:50
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29 octobre 2018 -- 19:00
Gueule de bois – tirs dans une synagogue (11 morts) et Bolsonaro élu, je vais me coucher.
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29 octobre 2018 -- 23:30
Et reviens avec ceci, écrit... l'an passé – extra-lucidité du Monde.
Les groupes de pression ultra-conservateurs représentant les propriétaires terriens (« boeufs »), les Evangéliques (« Bible ») et les partisans du port d’arme (« balles »), gagnent en influence dans la société et auprès des élus.
Par CLAIRE GATINOIS Sao Paulo, correspondante
Publié le 19.12.2017 à 06h00
Marcos da Rosa vient de semer son soja et, déjà, la tristesse le gagne. « C’est mauvais. Très mauvais », soupire-t-il. A 52 ans, dont près de quarante à travailler aux champs, ce fermier de l’Etat du Mato Grosso, une région agricole du Brésil grande comme la France, l’Autriche, la Suisse et la Grèce réunies, est un habitué des terres tropicales et de ses parasites.
En cette matinée cuisante de la mi-novembre, les doigts dans la terre, il montre la « trapueraba », cette herbe qui pollue ses pousses, puis se résigne : il noiera son chagrin dans l’herbicide. « Je vais remettre du glyphosate », prévient-il, provocateur. La peau rougie par le soleil, le pantalon maculé d’une terre couleur de braise, cet immense gaillard n’ignore rien de l’image controversée du désherbant. Mais il assume. « Pensez-vous que si c’était toxique j’en mettrais ? Je serais le premier à en souffrir. Pour me suicider, j’ai plus vite fait d’aller me pendre à l’un de ces arbres ! Ici ce n’est pas comme en Europe. Sans défenseur [pesticide] on ne peut rien faire. »
A Canarana, petite ville aux faux airs de Far West située à une douzaine d’heures de route de Cuiaba, la capitale du Mato Grosso, on ne vit que par et pour le soja. Des champs à perte de vue, une culture intensive – et, bien souvent, transgénique – devenue l’un des piliers de l’économie nationale…
Ce monde à rebours des préoccupations environnementales connaît désormais sa traduction politique à Brasilia, la capitale du pays. Marcos da Rosa, un fazendeiro (« propriétaire terrien ») à la tête de 2 000 hectares – une « petite » propriété pour le coin –, y incarne le premier B des « BBB » : un ensemble de lobbys influents au Congrès, à savoir le boi (« bœuf », autrement dit les propriétaires terriens défenseurs de l’agronégoce), la Biblia (« Bible », les évangéliques) et la bala (« balle », en référence aux partisans des armes à feu).
Représentés par 347 députés sur les 513 du Congrès, ces trois groupes de pression constituent, depuis les élections de 2014, une force incontournable. A en croire leurs détracteurs, ils auraient même pris le Parlement en otage, lui imposant des textes et des amendements aux accents réactionnaires.
De tous les BBB, les ruralistes comme Marcos de Rosa sont les plus puissants, avec 239 députés recensés par le site Congresso em Foco, qui scrute l’actualité parlementaire. Suivent les évangéliques (87 députés) et les défenseurs des armes à feu (21 députés). Chacun de ces lobbys milite pour ses sujets de prédilection : les militants de l’agronégoce plaident pour gagner de l’espace cultivable sur les réserves naturelles protégées et les terres indigènes ; les évangéliques se posent en protecteurs de la famille traditionnelle contre l’avortement ou le mariage gay ; les pro-armes à feu tentent, désespérément, de revenir sur la loi sur le désarmement qui, en 2003, a interdit le port d’armes aux simples citoyens. « Chacun agit de façon distincte, mais les députés appartiennent souvent à deux, voire trois, de ces groupes et votent souvent en bloc : les agriculteurs revendiquent le droit de défendre leur ferme avec un fusil et les pro-armes à feu soutiennent les valeurs des évangéliques », souligne Silvio Costa, responsable de Congresso em Foco.
Les « ruralistes » sont, de loin, les mieux organisés politiquement. Président de l’association des producteurs de soja, Marcos da Rosa qui, à titre personnel, ne croit pas à la « thèse » du réchauffement climatique, estime que les ONG environnementalistes visent à détruire l’agriculture brésilienne au profit des étrangers et reconnaît qu’il aimerait bien avoir un pistolet pour dissuader les voleurs de s’attaquer à ses terres.
Soldat dévoué de la cause agricole, il compte parmi les cent personnalités les plus influentes du secteur. Au moins une fois par mois, il troque ses bottes crottées pour des souliers cirés et prend l’autocar en direction de Brasilia. Là, en tant que membre actif de l’Institut Pensar Agropecuaria (IPA, penser l’agroalimentaire) regroupant 43 associations du monde agricole, il s’entretient avec les députés « amis » pour les informer sur les dossiers techniques et les priorités de leur groupe. Puis, accompagné de confrères de l’IPA, il déjeune avec des politiciens en vue.
Les prochaines agapes sont prévues avec Jair Bolsonaro, candidat à la présidence de la République en 2018. Un ancien militaire d’extrême droite, friand d’armes à feu, phallocrate assumé, raciste éhonté, réputé pour ses diatribes homophobes et sa nostalgie de la dictature militaire (1964-1985). « On discute avec tout le monde », tempère Marcos da Rosa, tout en admettant avoir toujours évité de parler à l’ex-président, figure du Parti des travailleurs (PT, gauche), Luiz Inacio Lula da Silva, pourtant lui aussi candidat présumé à l’élection de 2018.
C’est en 2015, quelques mois après la prise de pouvoir des nouveaux représentants du pouvoir législatif, qu’Erika Kokay, députée de gauche, a utilisé pour la première fois le terme de « BBB ». « J’étais effrayée, raconte-t-elle. Le Parlement s’est soudain rempli d’intégristes religieux, de “punitivistes” et de “patrimonialistes”. Ces gens ont une conception binaire du monde où s’affrontent Dieu et le diable, le bien et le mal, les Blancs et les Noirs. » Pugnace, la députée décide alors de porter le fer contre leurs initiatives tantôt farfelues – comme cette idée d’instaurer une Journée de la fierté hétérosexuelle – tantôt inquiétantes.
En novembre, elle fut la seule, au sein d’une commission parlementaire, à s’opposer à un projet d’amendement visant à interdire totalement l’avortement, même en cas de viol. Le texte a peu de chance de passer, mais elle se bat. « Il ne faut pas mépriser cette forme d’obscurantisme, mais dialoguer avec elle pour mieux l’affronter », estime la politicienne.
Dilma Rousseff, ex-présidente de gauche, élue en 2010 et réélue en 2014, a, elle, commis l’erreur de dédaigner cette poussée conservatrice. « Avec Dilma, nous étions toujours dans l’affrontement. A compter de son second mandat, plus aucun dialogue n’était possible », atteste Sostenes Cavalcante, député évangélique. Ce mépris aura signé sa disgrâce : en 2016, les députés « BBB » ont approuvé à plus de 80 % l’impeachment (mise en accusation) de Dilma Rousseff, conduisant à sa destitution. L’événement a donné la mesure du pouvoir des « BBB », capables de faire et de défaire des présidents.
Ces députés élus par le peuple révèlent une facette ultra-conservatrice de la société, une réalité longtemps masquée par la prospérité économique et les avancées sociales du début des années 2000. La crise de 2015, les scandales de corruption, le chômage et la montée de la violence ont fait ressurgir les vieux démons.
« Les débats qui ont lieu au Congrès ne sont que le reflet de ceux qui agitent la société. Les “BBB” sont trois forces qu’il faut respecter », atteste Joao Henrique Hummel, directeur exécutif de l’IPA chargé des liens avec le front parlementaire pour l’agronégoce. « Le monde globalisé est incertain, observe pour sa part Carlos Melo, politologue à Sao Paulo. Quand on a peur du futur, on se réfugie dans le passé. Le Brésil, tout comme l’Europe ou les Etats-Unis, est tenté par les utopies réactionnaires. »
De fait, le pays a peur. De perdre son travail ou de mourir. Sept personnes sont assassinées toutes les heures sur le territoire national, selon les données du Forum brésilien de sécurité publique. Ce climat d’insécurité permet au lobby des armes à feu de prospérer.
Dans la coulisse, les députés tentent de rétablir le droit de port d’arme aux plus de 21 ans. L’initiative a – encore – des allures de chimère, mais la balaprofite du climat pour durcir la législation envers les criminels, soutenant sa thèse : « Un bon bandit est un bandit mort. » A en croire Alberto Fraga, président du front parlementaire en faveur des armes à feu, « tout le monde a le droit de se défendre » : « Ceux qui sont contre nous appartiennent aux lobbys des criminels. »
Apprenant des erreurs de sa prédécesseure, l’actuel président, Michel Temer, a vite saisi l’enjeu des « BBB ». Cet expert en intrigues parlementaires a, dès sa prise de fonctions en 2016, entretenu des liens étroits avec ces députés, multipliant déjeuners et réunions de travail. Sa bienveillance s’est transformée en complaisance lorsqu’il fut menacé, à deux reprises, en milieu d’année, par une enquête anticorruption riche en indices compromettants, vidéos d’échange de mallettes et enregistrements édifiants. Promettant de répondre aux doléances des « BBB », il a monnayé leur soutien au Congrès afin d’éviter un procès infamant. « Michel est un homme de bien », assure Alberto Fraga, figure de la bala.
Les organisations non gouvernementales (ONG) œuvrant dans le domaine de l’écologie ou des droits de l’homme alertent sur les conséquences de ce marchandage. « Dilma Rousseff était une présidente déplorable pour l’environnement, mais rien n’est comparable au gouvernement Temer », se désole Marcio Astrini, coordinateur des politiques publiques chez Greenpeace au Brésil. « Cet agenda nourrit un sentiment d’impunité chez les “garimpeiros”, les chercheurs d’or clandestins qui polluent les fleuves des terres indigènes, les trafiquants de bois et toutes les petites mains de la déforestation », alerte-t-il, s’affolant d’une hausse impressionnante des crimes liés aux conflits territoriaux.
La mobilisation de l’opinion internationale et les tweets outrés du top-modèle brésilien Gisele Bündchen ont permis de revenir sur les dispositions les plus polémiques comme l’ouverture à l’exploitation minière de la réserve naturelle amazonienne de la Renca.
Mais d’autres mesures, plus discrètes, visant notamment à régulariser les terres accaparées illégalement par les fazendeiros dans des zones protégées sont avalisées. Elles contribuent aux tensions qui minent bien d’autres aspects de la vie nationale.
Ainsi, le climat est-il de plus en plus irrespirable pour les militants LGBT, les féministes ou les défenseurs des droits de l’homme. « Les “BBB” ont toujours été présents au Brésil. Mais l’image dégradée de l’Etat leur a permis de se faire entendre, ils croient désormais pouvoir agir sans négocier avec le reste de la société », déplore le philosophe Vladimir Safatle. Et le penseur de souligner, inquiet : « Ils sont là pour durer. »
29 octobre 2018 -- 23:45
En rattrapant des lectures en retard, je tombe sur cette splendide photo de Libé – on dirait un Jeff Wall, c'est dingue... Bravo Arnau Bach – voir son travail ici.
Sinon ça joue déjà au Master 1000 de Paris – vivement que les cadors s'y mettent et que la télé diffuse (rien pu voir encore) ! Voici les vainqueurs du jour (à gauche) et les scores (tout à droite) :
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29 octobre 2018 -- 12:00
Les temps sont cruels – et bêtes (merci Willem, Libé du jour)
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29 octobre 2018 -- 18:00Les images que contient ce livre ont beau être connues, elles sidèrent par leur accumulation franche (pourtant, je ne sais plus qui a reproché aux auteurs d'avoir « pratiqué une mise en pages » des documents).
Je partage (dans tous les sens du terme) cette tribune parue dans Libé il y a quelques jours :
TRIBUNE
«Sexe, Race et Colonies» est bien un ouvrage d’histoire
Par Gilles Boëtsch, directeur de recherche émérite, CNRS
11 octobre 2018
Le livre qui entend démontrer comment la puissance coloniale s’est aussi exercée par la domination sexuelle suscite de vives réactions : en publiant de nombreuses images de femmes humiliées, il en réactiverait la violence. L’anthropologue Gilles Boëtsch, un des codirecteurs de l’ouvrage, défend un travail de recherche : on ne peut pas déconstruire le passé colonial sans voir, comprendre et critiquer ces images.
Tribune.
En réponse à quelques détracteurs de notre travail, comme Philippe Artières (Libération, le 1er octobre) ou Daniel Schneidermann (Libération, le 8 octobre), « Sexe, race et colonies » (éd. la Découverte) est bien un ouvrage d’histoire et d’anthropologie - un ouvrage de sciences humaines et sociales, dont le matériau d’étude est l’image - et non… un livre pornographique. Ce livre est le fruit de la collaboration de 97 chercheurs et spécialistes reconnus pour leurs travaux sur l’histoire de l’esclavage, du colonialisme, de la sexualité ou du corps. Des chercheurs travaillant dans plus de 30 universités ou laboratoires dans le monde entier. Leurs contributions respectives, réparties en 20 articles et en plus de 120 notices, sont illustrées par des sources iconographiques diverses : gravures, peintures, illustrations, affiches, cartes postales, photographies de la culture matérielle, archives anthropologiques et ethnographiques provenant d’institutions muséales européennes ou de collections privées. De tout cela, ces détracteurs ne disent rien, puisqu’il faut de toute évidence brûler ce livre et non le lire.
Malgré leur charge émotionnelle évidente, ces sources iconographiques ont été considérées comme des ressources d’informations. C’est le rôle du chercheur de prendre une distance avec l’objet d’étude. Elles ont permis d’une part, d’appréhender les spécificités des contextes historiques, sociaux et culturels, et d’interroger d’autre part, les continuités, les évolutions, les ruptures dans la construction d’une image de soi et de l’« Autre » au cours des siècles. Ce sont toutes ces raisons qui nous ont conduits avec l’éditeur à publier un livre dans ce format, pour justement ne plus regarder ces images comme périphériques, mais bien comme des sources informatives centrales pour la compréhension du système colonial.
Au-delà d’une dénonciation du colonialisme et de la domination des colonisateurs sur les colonisé.e.s, ces «documents» toutes époques confondues depuis le XVe siècle ont participé à une contextualisation des différents régimes d’altérité produits par les Empires et à une problématisation de leurs politiques successives d’encadrement de la sexualité en situation coloniale. Ne pas comprendre, voir, intégrer ces images dans notre déconstruction du passé colonial, c’est faire le travail à moitié. Ce refus de voir se transforme chez certains en refus de montrer. Nous pouvons le comprendre, mais nous ne partageons pas ce choix car il empêche de déconstruire. La puissance et la violence intrinsèques de ces images demeurent prégnantes et vivaces. Elles sont toujours à l’œuvre, non pas parce qu’on les montre, mais parce que ce qu’elles ont produit est toujours de l’ordre de la domination : culture du porno sur le Web, tourisme sexuel dans les pays du Sud, discrimination, prostitution, violences faites aux femmes… Tout cela nous le savons bien, tout comme nous savons qu’il y a aussi des enjeux plus «identitaires». Il faudrait être aveugle pour ne pas aussi interroger ce contexte.
Dans le même temps, cela questionne sur la propriété de ces images. Sont-elles de l’ordre du commun, ou ne doivent-elles être propriété que de ceux qui en sont les héritier.e.s blessé.e.s par celles-ci. En d’autres termes, un non-héritier peut-il travailler sur ces images et les montrer ? De fait, elles ne représentent pas des corps désincarnés décrits dans la littérature, mais de vraies personnes, au vécu et au parcours souvent douloureux.
Bien que leurs conditions de production ne puissent pas toujours être connues ou explicitées, les clichés personnels, les documents anthropologiques ou les portraits exotisés et réifiés de l’imagerie coloniale traduisent les rapports sociaux hiérarchiques de sexe, de genre et de «race» entre le photographiant (professionnel ou non) et les photographié.e.s. L’exhibition forcée de la nudité corporelle, les postures suggestives données sciemment aux personnes photographiées, les mises en scènes de soi-disant «couples» interraciaux attestent de «proximités» subies ou contraintes - dans les mariages «à la mode du pays» par exemple - mais aussi de l’omniprésence du commerce prostitutionnel. Elles confèrent une visibilité aux critères retenus dans la fabrique d’«Autres» racialisés, dans l’invention d’une Européanité et de leur sexualité présumée. En les éditant sur le temps long (six siècles), en montrant la diversité des supports, l’impact sur les opinions, le lien entre les images de là-bas et les inventions d’ici en termes de fantasmes du Blanc sur ces paradis exotiques qui étaient, en réalité, des enfers pour les colonisé.e.s, on écrit une autre histoire.
La publication de ces photographies coloniales pose bien sûr la problématique de leur circulation et de leurs lectures contemporaines. Nous le savons, nous travaillons sur ces enjeux depuis vingt-cinq ans. L’intérêt renouvelé dont elles sont l’objet depuis plusieurs années se donne à voir dans l’édition de plusieurs travaux (et autres «beaux livres»), tels que le Harem colonial de Malek Alloula (1981), Bons Baisers des colonies de Safia Belmenouar et Marc Combier (2007) ou le catalogue de l’exposition néerlandaise Black is Beautiful. Rubens to Dumas (2008).
Pour l’ouvrage « Sexe, race et colonies », les différents textes questionnent les transformations et les conflits de sens donnés à ces productions visuelles au cours des périodes historiques et au gré des contextes coloniaux. Rien de nouveau en fin de compte, si ce n’est que, pour la première fois, nous donnons à voir la totalité du symptôme pour comprendre le mal.
Notre approche a également cherché à discuter des différents modes d’assignations par lesquels les corps sont, hier comme aujourd’hui, sexualisés, genrés, racialisés et politisés. Ce travail critique de déconstruction, à l’œuvre par exemple dans les productions artistiques, comme celles d’Ayana V. Jackson ou de Renee Cox, relève désormais d’enjeux mémoriels.
Il est essentiel de changer le regard sur le passé colonial comme sur les colonisé.e.s et leurs descendant.e.s, et faire débat de ces questions. Mais il faut aussi savoir sortir des pièges de l’identité et de la légitimité de telle ou telle personne pour parler de tel ou tel sujet. C’est justement ce que tente cet ouvrage en essayant de dépasser cette posture du « Eux » et du « Nous » pour construire une réflexion plus collective. Une recherche plus globale, plus internationale et qui sort des pièges de la bonne conscience. C’est aussi ce que nous avons fait, depuis quinze ans, en travaillant tous ensemble sur les « zoos humains ». Au départ, personne ne voulait voir ces images… et puis il y a eu des livres, et puis il y a eu des expositions (notamment au musée du Quai-Branly)… et puis il y a eu ce film diffusé sur Arte le 29 septembre, Sauvages, au cœur des zoos humains. Nous croyons en la vertu de déconstruire les images par les images. Et nous avons appris à être patients.
Gilles Boëtsch directeur de recherche émérite, CNRS
Et ceci par Laurent Perez, impeccable, dans artpress de novembre 2018 :
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29 octobre 2018 -- 18:30
Pondu ceci, en rapport peut-être avec cela – pour qq amis, dont T. Ce sont des palindromes infinis, ils ont droit à la police (courier) :
Tiret – là, l'altérité – tiret – là, l'altérité ...
Bibelot, étole, bibelot, étole, ...
Avanies, sein, avanies, sein, ...
Bonnet D t'ennoblit-il ? Bonnet D t'ennoblit-il ? ...
Elle ? Mamelles ! Elle ? Mamelles ! ...
Tâterions Noire ? Tâterions Noire ? ...
Et... téterions noire tette ?
Du sud, lait initial ! Du sud, lait initial ! ...
Araserions noire Sarah ? Araserions noire Sarah ? ...
Mimerions noire Mimi ? Mimerions noire Mimi ? ...
Limerions noir Émile ? Limerions noir Émile ? ...
Cette nette pipette ? Cette pipette nette ! Cette nette ...
Papillome molli, papillome molli, ...
Râle, papelard ! Râle, papelard ! ...
Secret sesterce, secret sesterce, ...
Télé-pipelets, télé-pipelets, ...
Dédiasses essai ? Dédiasses essai ? ...
La mare s'irisera mal, non ? La mare s'irisera mal, non ? ...
Tétanisé, résina ! Tétanisé, résina ! ...
(résiner : additionner de la résine au vin)
Relit-il, Éric, ici ?! Relit-il, Éric, ici ?! ...
(bref, vous avez compris) :
Système remet système, remet système, remet système, ...
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29 octobre 2018 -- 18:30
Appris hier soir la mort de Tony Joe White – brusque madeleine :
Papier sympa de Garnier dans Libé :29 octobre 2018 -- 18:30
Appris hier soir la mort de Tony Joe White – brusque madeleine :
La pochette qui tue :
... le souvenir proustien étant celui-ci : j'ai découvert la chanson emblématique de Tony Joe White à sa sortie – et je l'ai adorée tout de suite – mais je ne comprenais pas les paroles, ni qui pouvait bien être le Paul Saladani du refrain. Ce n'est donc qu'un demi-siècle plus tard que « mon franc tomba » comme on dit à Bruxelles : aucun Paul Saladani mais une Polk Salad Annie ! On m'a donc compté longtemps parmi les (innocentes) victimes du bon vieil effet Mondegreen !
Ce qu'est exactement cette salade ? Une turnip green, peut-être...
If some of ya'll never been down south too much
Some y'all never been down
I'm gonna tell you a little story so's you'll understand what I'm talkin' about
Down there we have a plant that grows out in the woods, and the fields
And it looks somethin' like a turnip green
Everybody calls it polk salad
Now that's polk salad
Used to know a girl lived down there and she'd go out in the evenings and
Pick her a mess of it
Carry it home and cook it for supper
Because that's about all they had to eat
But they did all right
I'm gonna tell you a little story so's you'll understand what I'm talkin' about
Down there we have a plant that grows out in the woods, and the fields
And it looks somethin' like a turnip green
Everybody calls it polk salad
Now that's polk salad
Used to know a girl lived down there and she'd go out in the evenings and
Pick her a mess of it
Carry it home and cook it for supper
Because that's about all they had to eat
But they did all right
Down in Louisiana, where the alligators grow so mean
Lived a girl, that I swear to the world
Made the alligators look tame
Polk salad Annie, gators got your granny
Everybody said it was a shame
Because her momma was a workin' on the chain gang
A mean vicious woman
Lived a girl, that I swear to the world
Made the alligators look tame
Polk salad Annie, gators got your granny
Everybody said it was a shame
Because her momma was a workin' on the chain gang
A mean vicious woman
Reçu cette photo autoréférente de Jean S. – laquelle m'a fait penser à ceci, de Conan O'Brian :
« Starbucks says they are going to start putting religious quotes on cups. The very first one will say, 'Jesus! This cup is expensive!' »
29 octobre 2018 -- 19:00
Gueule de bois – tirs dans une synagogue (11 morts) et Bolsonaro élu, je vais me coucher.
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29 octobre 2018 -- 23:30
Et reviens avec ceci, écrit... l'an passé – extra-lucidité du Monde.
Le Brésil sous l’emprise des « BBB » pour bœuf, Bible, balle.
Les groupes de pression ultra-conservateurs représentant les propriétaires terriens (« boeufs »), les Evangéliques (« Bible ») et les partisans du port d’arme (« balles »), gagnent en influence dans la société et auprès des élus.
Par CLAIRE GATINOIS Sao Paulo, correspondante
Publié le 19.12.2017 à 06h00
Marcos da Rosa vient de semer son soja et, déjà, la tristesse le gagne. « C’est mauvais. Très mauvais », soupire-t-il. A 52 ans, dont près de quarante à travailler aux champs, ce fermier de l’Etat du Mato Grosso, une région agricole du Brésil grande comme la France, l’Autriche, la Suisse et la Grèce réunies, est un habitué des terres tropicales et de ses parasites.
En cette matinée cuisante de la mi-novembre, les doigts dans la terre, il montre la « trapueraba », cette herbe qui pollue ses pousses, puis se résigne : il noiera son chagrin dans l’herbicide. « Je vais remettre du glyphosate », prévient-il, provocateur. La peau rougie par le soleil, le pantalon maculé d’une terre couleur de braise, cet immense gaillard n’ignore rien de l’image controversée du désherbant. Mais il assume. « Pensez-vous que si c’était toxique j’en mettrais ? Je serais le premier à en souffrir. Pour me suicider, j’ai plus vite fait d’aller me pendre à l’un de ces arbres ! Ici ce n’est pas comme en Europe. Sans défenseur [pesticide] on ne peut rien faire. »
A Canarana, petite ville aux faux airs de Far West située à une douzaine d’heures de route de Cuiaba, la capitale du Mato Grosso, on ne vit que par et pour le soja. Des champs à perte de vue, une culture intensive – et, bien souvent, transgénique – devenue l’un des piliers de l’économie nationale…
Ce monde à rebours des préoccupations environnementales connaît désormais sa traduction politique à Brasilia, la capitale du pays. Marcos da Rosa, un fazendeiro (« propriétaire terrien ») à la tête de 2 000 hectares – une « petite » propriété pour le coin –, y incarne le premier B des « BBB » : un ensemble de lobbys influents au Congrès, à savoir le boi (« bœuf », autrement dit les propriétaires terriens défenseurs de l’agronégoce), la Biblia (« Bible », les évangéliques) et la bala (« balle », en référence aux partisans des armes à feu).
Représentés par 347 députés sur les 513 du Congrès, ces trois groupes de pression constituent, depuis les élections de 2014, une force incontournable. A en croire leurs détracteurs, ils auraient même pris le Parlement en otage, lui imposant des textes et des amendements aux accents réactionnaires.
De tous les BBB, les ruralistes comme Marcos de Rosa sont les plus puissants, avec 239 députés recensés par le site Congresso em Foco, qui scrute l’actualité parlementaire. Suivent les évangéliques (87 députés) et les défenseurs des armes à feu (21 députés). Chacun de ces lobbys milite pour ses sujets de prédilection : les militants de l’agronégoce plaident pour gagner de l’espace cultivable sur les réserves naturelles protégées et les terres indigènes ; les évangéliques se posent en protecteurs de la famille traditionnelle contre l’avortement ou le mariage gay ; les pro-armes à feu tentent, désespérément, de revenir sur la loi sur le désarmement qui, en 2003, a interdit le port d’armes aux simples citoyens. « Chacun agit de façon distincte, mais les députés appartiennent souvent à deux, voire trois, de ces groupes et votent souvent en bloc : les agriculteurs revendiquent le droit de défendre leur ferme avec un fusil et les pro-armes à feu soutiennent les valeurs des évangéliques », souligne Silvio Costa, responsable de Congresso em Foco.
Les « ruralistes » sont, de loin, les mieux organisés politiquement. Président de l’association des producteurs de soja, Marcos da Rosa qui, à titre personnel, ne croit pas à la « thèse » du réchauffement climatique, estime que les ONG environnementalistes visent à détruire l’agriculture brésilienne au profit des étrangers et reconnaît qu’il aimerait bien avoir un pistolet pour dissuader les voleurs de s’attaquer à ses terres.
Soldat dévoué de la cause agricole, il compte parmi les cent personnalités les plus influentes du secteur. Au moins une fois par mois, il troque ses bottes crottées pour des souliers cirés et prend l’autocar en direction de Brasilia. Là, en tant que membre actif de l’Institut Pensar Agropecuaria (IPA, penser l’agroalimentaire) regroupant 43 associations du monde agricole, il s’entretient avec les députés « amis » pour les informer sur les dossiers techniques et les priorités de leur groupe. Puis, accompagné de confrères de l’IPA, il déjeune avec des politiciens en vue.
Les prochaines agapes sont prévues avec Jair Bolsonaro, candidat à la présidence de la République en 2018. Un ancien militaire d’extrême droite, friand d’armes à feu, phallocrate assumé, raciste éhonté, réputé pour ses diatribes homophobes et sa nostalgie de la dictature militaire (1964-1985). « On discute avec tout le monde », tempère Marcos da Rosa, tout en admettant avoir toujours évité de parler à l’ex-président, figure du Parti des travailleurs (PT, gauche), Luiz Inacio Lula da Silva, pourtant lui aussi candidat présumé à l’élection de 2018.
C’est en 2015, quelques mois après la prise de pouvoir des nouveaux représentants du pouvoir législatif, qu’Erika Kokay, députée de gauche, a utilisé pour la première fois le terme de « BBB ». « J’étais effrayée, raconte-t-elle. Le Parlement s’est soudain rempli d’intégristes religieux, de “punitivistes” et de “patrimonialistes”. Ces gens ont une conception binaire du monde où s’affrontent Dieu et le diable, le bien et le mal, les Blancs et les Noirs. » Pugnace, la députée décide alors de porter le fer contre leurs initiatives tantôt farfelues – comme cette idée d’instaurer une Journée de la fierté hétérosexuelle – tantôt inquiétantes.
En novembre, elle fut la seule, au sein d’une commission parlementaire, à s’opposer à un projet d’amendement visant à interdire totalement l’avortement, même en cas de viol. Le texte a peu de chance de passer, mais elle se bat. « Il ne faut pas mépriser cette forme d’obscurantisme, mais dialoguer avec elle pour mieux l’affronter », estime la politicienne.
Dilma Rousseff, ex-présidente de gauche, élue en 2010 et réélue en 2014, a, elle, commis l’erreur de dédaigner cette poussée conservatrice. « Avec Dilma, nous étions toujours dans l’affrontement. A compter de son second mandat, plus aucun dialogue n’était possible », atteste Sostenes Cavalcante, député évangélique. Ce mépris aura signé sa disgrâce : en 2016, les députés « BBB » ont approuvé à plus de 80 % l’impeachment (mise en accusation) de Dilma Rousseff, conduisant à sa destitution. L’événement a donné la mesure du pouvoir des « BBB », capables de faire et de défaire des présidents.
Ces députés élus par le peuple révèlent une facette ultra-conservatrice de la société, une réalité longtemps masquée par la prospérité économique et les avancées sociales du début des années 2000. La crise de 2015, les scandales de corruption, le chômage et la montée de la violence ont fait ressurgir les vieux démons.
« Les débats qui ont lieu au Congrès ne sont que le reflet de ceux qui agitent la société. Les “BBB” sont trois forces qu’il faut respecter », atteste Joao Henrique Hummel, directeur exécutif de l’IPA chargé des liens avec le front parlementaire pour l’agronégoce. « Le monde globalisé est incertain, observe pour sa part Carlos Melo, politologue à Sao Paulo. Quand on a peur du futur, on se réfugie dans le passé. Le Brésil, tout comme l’Europe ou les Etats-Unis, est tenté par les utopies réactionnaires. »
De fait, le pays a peur. De perdre son travail ou de mourir. Sept personnes sont assassinées toutes les heures sur le territoire national, selon les données du Forum brésilien de sécurité publique. Ce climat d’insécurité permet au lobby des armes à feu de prospérer.
Dans la coulisse, les députés tentent de rétablir le droit de port d’arme aux plus de 21 ans. L’initiative a – encore – des allures de chimère, mais la balaprofite du climat pour durcir la législation envers les criminels, soutenant sa thèse : « Un bon bandit est un bandit mort. » A en croire Alberto Fraga, président du front parlementaire en faveur des armes à feu, « tout le monde a le droit de se défendre » : « Ceux qui sont contre nous appartiennent aux lobbys des criminels. »
Apprenant des erreurs de sa prédécesseure, l’actuel président, Michel Temer, a vite saisi l’enjeu des « BBB ». Cet expert en intrigues parlementaires a, dès sa prise de fonctions en 2016, entretenu des liens étroits avec ces députés, multipliant déjeuners et réunions de travail. Sa bienveillance s’est transformée en complaisance lorsqu’il fut menacé, à deux reprises, en milieu d’année, par une enquête anticorruption riche en indices compromettants, vidéos d’échange de mallettes et enregistrements édifiants. Promettant de répondre aux doléances des « BBB », il a monnayé leur soutien au Congrès afin d’éviter un procès infamant. « Michel est un homme de bien », assure Alberto Fraga, figure de la bala.
Les organisations non gouvernementales (ONG) œuvrant dans le domaine de l’écologie ou des droits de l’homme alertent sur les conséquences de ce marchandage. « Dilma Rousseff était une présidente déplorable pour l’environnement, mais rien n’est comparable au gouvernement Temer », se désole Marcio Astrini, coordinateur des politiques publiques chez Greenpeace au Brésil. « Cet agenda nourrit un sentiment d’impunité chez les “garimpeiros”, les chercheurs d’or clandestins qui polluent les fleuves des terres indigènes, les trafiquants de bois et toutes les petites mains de la déforestation », alerte-t-il, s’affolant d’une hausse impressionnante des crimes liés aux conflits territoriaux.
La mobilisation de l’opinion internationale et les tweets outrés du top-modèle brésilien Gisele Bündchen ont permis de revenir sur les dispositions les plus polémiques comme l’ouverture à l’exploitation minière de la réserve naturelle amazonienne de la Renca.
Mais d’autres mesures, plus discrètes, visant notamment à régulariser les terres accaparées illégalement par les fazendeiros dans des zones protégées sont avalisées. Elles contribuent aux tensions qui minent bien d’autres aspects de la vie nationale.
Ainsi, le climat est-il de plus en plus irrespirable pour les militants LGBT, les féministes ou les défenseurs des droits de l’homme. « Les “BBB” ont toujours été présents au Brésil. Mais l’image dégradée de l’Etat leur a permis de se faire entendre, ils croient désormais pouvoir agir sans négocier avec le reste de la société », déplore le philosophe Vladimir Safatle. Et le penseur de souligner, inquiet : « Ils sont là pour durer. »
Par CLAIRE GATINOIS
Sao Paulo, correspondante.
____________________29 octobre 2018 -- 23:45
En rattrapant des lectures en retard, je tombe sur cette splendide photo de Libé – on dirait un Jeff Wall, c'est dingue... Bravo Arnau Bach – voir son travail ici.
Sinon ça joue déjà au Master 1000 de Paris – vivement que les cadors s'y mettent et que la télé diffuse (rien pu voir encore) ! Voici les vainqueurs du jour (à gauche) et les scores (tout à droite) :
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