Un Manet, un Degas, une discorde
Cette histoire est bien racontée sur le site de France Inter, ici. Je copie/colle au cas où le lien viendrait à échéance. Et tout d’abord, l’extraordinaire tableau en question, peint par Degas, représentant Manet (et la moitié de sa femme).
Monsieur et Mme Manet, Edgar Degas, 1868-69
Kitakyushu Municipal Museum of Art
Manet - Degas : le tableau de la discorde
Par Anne Audigier
Publié le mercredi 29 mars 2023
Le musée d’Orsay réunit et confronte deux artistes essentiels des années 1860/1880 : Manet et Degas. Une relation complexe, qui soulève aujourd’hui encore de nombreuses questions. Émulation, rivalité, influence ou domination de l’un sur l'autre... Sans doute un peu tout ça à la fois.
L’écrivain irlandais George Moore qui faisait partie de la petit bande d’artistes qui, avec les deux peintres, fréquentait le café Guerbois, dans le quartier des Batignolles, puis plus tard celui de la Nouvelle-Athènes, à Pigalle, écrivait : « L’amitié des deux chefs de l’école impressioniste [...] a été ébranlée par une rivalité inévitable ».
On ne sait pas exactement quand ils se sont rencontrés. La légende veut que ce soit au Louvre, au début des années 1860, devant une peinture de Velasquez dont Degas réalisait une copie.
On sait qu’ils se fréquentent régulièrement et qu’ils côtoient les mêmes cercles. Mais la correspondance entre les deux est quasi inexistante. En revanche, chacun évoque l’autre dans des courriers à des tiers. C’est là qu’on trouve quelques indices sur la nature de leurs rapports, un singulier mélange d’admiration et d’irritation. Ainsi, Manet peut-il qualifier Degas de « grand esthéticien » et de « serin » dans la même lettre, agacé de son refus de l’accompagner à Londres. Puis lorsque Manet décline l’invitation de Degas à participer à la première exposition impressionniste, il s’attire les foudres de ce dernier qui n’hésite pas à écrire à son propos : « Je le crois décidément plus vaniteux qu’intelligent. »
Par ailleurs, on ne connaît aucune représentation de Degas par Manet, qui conservait une simple photographie de son ami posant un peu gauchement. En revanche, Degas a fait de nombreux portraits de Manet.
Des heurts et des disputes, il y en eut, donc, mais c’est une toile de Degas qui va causer l’une des grandes fâcheries entre les deux hommes : Monsieur et madame Manet, peinte en 1868 ou 1869.
Le profil de Suzanne
Degas y saisit Manet dans une attitude qui lui était « étrangement habituelle » écrit George Moore : vautré dans un canapé, jambe droite repliée, une main dans la poche et l’autre retenant son visage pensif. Devant lui, sa femme Suzanne joue du piano. Degas avait fait don de ce tableau à Manet. Mais ce dernier, estimant sa femme « trop enlaidie », découpa la toile pour faire disparaître cette « déformation des traits de sa chère Suzanne ».
On ne sait pas exactement combien de temps s’est écoulé entre la réception de l’œuvre et sa « mutilation », mais on imagine très bien à quel point Degas en fut blessé lorsqu’il la découvrit. Il remporta son tableau et renvoya à Manet une petite nature morte que celui-ci lui avait offerte.
À la décharge de Degas, si on prend le temps d’observer les propres œuvres de Manet montrant le profil droit de Suzanne, il faut bien reconnaître que les traits de la talentueuse musicienne manquaient un peu de finesse. Un excès de réalisme dans le rendu de son cou un peu empâté ou de son nez imposant a pu être le motif d’une telle réaction de la part de Manet. Ou alors Manet refusait-il l’idée qu’un autre que lui puisse peindre sa femme.
Madame Manet au piano, Édouard Manet, 1868 - Musée d’Orsay
Quelques années après la mort de Manet, Degas semble avoir eu le projet de « rétablir Mme Manet » et de lui rendre son portrait. Il ajoute une bande de toile, y applique une préparation colorée, on y distingue même une légère ébauche. Mais le peintre n’ira pas plus loin et ce bout de toile restera vierge jusqu’à sa propre disparition.
Pour la postérité de Manet
Manet disparaît en 1883 à l’âge de 51 ans. Frappé par cette disparition prématurée, Degas aurait déclaré [un poil (de pinceau) perfide – note du taulier] : « Il était plus grand que nous le croyions ». Il participe ensuite à différentes initiatives pour perpétuer la mémoire de son ami. Cette admiration se manifeste à travers sa collection d’œuvres d’art dont il pensait faire un musée. Manet y occupe une place importante avec près de 80 œuvres, dont huit tableaux et une soixantaine de gravures. Ces acquisitions proviennent de dons, d’achats voire d’échanges avec ses propres œuvres.
À la mort de Degas, en 1917, parurent ces quelques lignes : « Degas avait une grande amitié pour Manet ; c'est ainsi qu’il racheta à sa veuve les études d’atelier de Manet et les brûla pour qu’elles ne fissent aucun tort à sa mémoire » [! – point d’exclamation ajouté par le taulier].
Autoportrait d’Edgar Degas, 1855 / Autoportrait d’Édouard Manet, 1879
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