Messager et Thurnauer sont dans un bateau
... mais T comme Topor aussi – auquel ces dessins renvoient, non ?
Annette Messager aime les escargots (avec ou sans ail) : ils sont hermaphrodites
L’image ci-dessus ? La Corse !
Ombre-squelette
Jeanne d’Arc, icône pré-féministe d’Annette Messager – et filets de pêcheurs de Berck-sur-Mer, sa ville natale (1943)
Et la mort viendra et elle aura tes yeux (C. Pavese)
L’artiste a dû composer avec cet avertissement...
La mort nous attend tous, Annette (Fabcaro ci-dessous) !
Le taulier et une amie font ça toute la journée – tout en piétinant la religion, bien sûr !
Toute la journée, on vous dit !
La « Masterclass » post-prandiale – dont l’essentiel figure dans l’article de Libé, tout en bas
Bravo l’artiste – votre talent et votre humour nous ont fait du bien !
Même les toilettes du LaM (pourtant assez mal fréquentées) ont une certaine allure
(plans à angles droits & briques rouges omniprésentes, à l’intérieur comme à l’extérieur)
On termine avec Agnès Thurnauer – petite expo conceptuelle de choses connues et moins connues, très intéressantes comme toujours.
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Annette Messager, la fête des chimères
Au LaM de Villeneuve-d’Ascq dans l’exposition « Comme si », la plasticienne explore angoisses, illusions et érotisme, avec une morbidité joyeuse.
par Clémentine Mercier pour Libération, publié le 12 juin 2022 à 15h07
Suspendue au plafond et pointée vers le sol, une gigantesque paire de ciseaux flotte dans les airs. De loin, l’outil inquiétant ressemble à une épée de Damoclès. De près, sa texture en latex noir lui donne un air de baudruche gonflable, quasi sadomasochiste. C’est la première œuvre que l’on aperçoit à l’entrée de l’exposition d’Annette Messager au LaM, à Villeneuve-d’Ascq (Nord), et c’est aussi l’affiche. Tout autour, des objets quotidiens sombres, démesurés et accrochés dans l’espace par des cordons noirs (peigne, cintre, bague, aiguille, clés… ) font planer une menace : tombera, tombera pas ? Tranchera, tranchera pas ? Tuera, tuera pas ? Dans cette troublante installation inaugurale aux ombres projetées (Daily), ponctuée de petits morceaux de chair rose sanguinolents, la vie ne semble tenir qu’à un fil. Marionnettiste virtuose de cette scène gore et théâtrale, Annette Messager fait «Comme si» (c’est le titre de l’exposition). Comme si on n’allait pas crever, comme si la maladie ne nous pendait pas au bout du nez, comme si le monde tournait rond… Alors que, d’un instant à l’autre, tout peut craquer.
« Avoir peur d’une troisième guerre mondiale, pour moi, c’était vraiment du passé. Et bien non, là, même en Europe, maintenant, on vit avec ça », commente la plasticienne de 78 ans aux yeux vert d’eau. « On continue tous à vivre en pensant que rien ne va arriver, qu’on va continuer à vivre très longtemps. On fait comme si tout allait bien, alors qu’en ce moment, rien ne va bien. Mais on continue, on continue comme si… » L’artiste ne cache pas avoir dû affronter l’annonce d’une tumeur au sein en 2019 : « On m’a dit : Il faut attendre les résultats, ça mettra cinq jours pour savoir si c’est bénin ou malin. Cinq jours pour avoir le résultat, c’est quand même un peu long… » dit-elle en souriant. De cette épreuve, de cet instant où tout bascule, Annette Messager a fait des haïkus dans le livre qui accompagne l’exposition (Béninmalinbéninmalinbéninmalinbéninmalin) mais aussi des dessins en forme de langoureuses pieuvres-mamelons. « Je me suis rendu compte à ce moment-là que j’étais vulnérable, constate-t-elle. Je n’y avais pas pensé, que j’étais une dame âgée, et qu’il fallait que je fasse attention à moi. Et puis après, il y a eu le confinement. J’étais donc vulnérable et, en plus, à risques ! Cela en a rajouté une couche ! »
La convalescence et la quarantaine sont alors l’occasion pour l’artiste de se mettre avec frénésie au dessin. Comme pour mieux affronter l’impensable, Annette Messager s’est mise à peindre des… têtes de mort. Rassemblés en série au cœur de l’exposition, ses saisissants et délicats crânes esquissent une danse macabre, telle une hydre décharnée. Devant leurs orbites caverneuses, des petits êtres calcinés reposent au sol sur des planches à roulettes, mini-cercueils feutrés : fœtus à tête de vieillard, clown sans bras, oiseau mort… « J’ai essayé de rendre tout ça grotesque, presque joyeux », dit l’artiste. C’est sacrément réussi ! Annette Messager excelle en l’art de miner le charmant en grand guignol funèbre. Avec grâce, elle transforme l’inquiétude en bouffonnerie, l’air de rien. Au cœur de l’expo, le petit chien roux en taxidermie avec un masque chirurgical bleu en guise de muselière n’est pas là pour nous contredire… et le grand voile rouge sous lequel s’allument par intermittence des guirlandes pourrait être une muqueuse pleine de désir… ou une maladie qui couve.
L’art de faire semblant, de faire « comme si », Annette Messager l’a appris très tôt. « On est un peu tous des imposteurs », admet-elle. Née pendant la guerre (en 1943) à Berck-sur-Mer, où son père est envoyé en cure thérapeutique, l’artiste se souvient avec précision de ses premières supercheries : « J’ai toujours vu les malades. C’était un peu les rois de Berck. J’étais jalouse. Ils allaient au cinéma sur ce qu’on appelle des gouttières, des lits à roulettes pour regarder les films allongés. Je sentais que ce serait bien d’être allongée avec eux ! Donc une copine me mettait sur une gouttière et je me tordais de douleur. Je racontais que j’avais été opérée. Les gens me prenaient en pitié et m’offraient des glaces et des gaufres… »
L’exposition du LaM est l’occasion de faire remonter ses souvenirs du Pas-de-Calais. « Le nom de Berck veut dire barque. Autrefois, les pêcheurs avaient des barques très très larges. Et quand elles étaient usées, ils les retournaient pour en faire des maisons. Il y avait un trou pour la cheminée. C’était très beau. Quand j’étais petite, on en voyait encore sur la route pour aller au Touquet. » L’artiste se souvient aussi de trompe-l’œil : « Chez les gens pauvres, on peignait les escaliers comme s’il y avait des tapis, pour montrer qu’on était riche. » Son père, architecte, curieux de tout, peintre à ses heures, lui fait découvrir des chapelles abandonnées, des églises. « Plus personne ne voulait l’écouter à la maison parce qu’il ne parlait que d’art. Donc, il m’amenait des croissants le matin à 7 heures pour en parler. L’art est donc, pour moi, lié à ces gourmandises. C’était un homme toujours un peu nerveux, mais quand il peignait, il devenait très calme. J’ai alors pensé que cela devait être bien de peindre. »
Dans Berck bombardé par la guerre, dans les blockhaus de la plage, la jeune Annette Messager campe ses jeux et plus tard ses premiers baisers. Au LaM, à la fin de l’exposition, une cité miniature carbonisée, rehaussée de doudous colorés, évoque ce décor des émois juvéniles. Non loin de ce paysage de désolation viennent se greffer des dessins éminemment drôles et érotiques : coït de girafes, coït de chevaux, coït de hyènes, coït de fauves… (« mon ordinateur a été envahi d’images d’animaux en rut après une recherche sur Internet », s’étonne la plasticienne). Car si la mort rôde dans l’exposition, la pulsion de vie n’est jamais loin, ni l’irrévérence, comme l’indique avec malice cette petite sculpture d’un doigt d’honneur surmontant un utérus.
« Du coq à l’âne »
Une des plus belles salles de « Comme si » est sans doute une des plus petites : l’alcôve est tapissée d’un papier peint couvert d’appareils génitaux féminins dessinés par l’artiste. Accrochés au mur, de minuscules cadres avec un abécédaire d’insultes à la gent masculine : A comme abruti, B comme brute, C comme con… Q comme queutard, S comme salaud, T comme tocard… la liste est savoureuse et l’effet désopilant. « Ce sont mes enluminures pour dire des petites horreurs sur les mecs », précise Annette Messager, qui joue sur les apparences. Donnant l’illusion d’être « sage comme une image », son art démine les clichés, notamment celui de la femme vertueuse. Imposer un langage qui prend la forme d’un joli ouvrage de dame (broderie, couture…) – pour mieux le détourner – n’a pas toujours été facile : « Au début des années 1970, ce que je faisais n’intéressait pas beaucoup de monde… et il n’y avait pas beaucoup de femmes artistes. Moi, je voulais montrer un domaine féminin et ça, c’était encore plus mal pris. Aujourd’hui, on parlerait d’un “art girly”, d’un art de jeune fille, d’un art de fi-filles, c’est ce qui m’importait, même si c’était un domaine ignoré, méprisé. Pour moi, c’était aussi important que les grandes peintures à l’huile ! Il fallait en parler… »
C’est au cours d’une nuit d’insomnie qu’Annette Messager trouve sa voie. « Un soir, un ami m’a dit : “ Tu sais, toi, tu n’arriveras jamais à rien. Tu passes d’une photographie à une broderie, à un dessin. Ce n’est pas ça qu’il faut faire. Il faut au contraire faire toujours la même chose sinon, les gens ne comprennent pas.” » Après ce conseil avisé, c’est décidé, elle sera elle-même et plein d’autres Annette à la fois, la vertueuse et l’impertinente, la charmeuse et la chipie, la femme et la gamine… « On avait beaucoup bu. Dans la nuit, les paroles de mon ami m’ont tracassé. Et puis justement, je me suis dit que j’allais me définir en me donnant des identités différentes. » Annette Messager devient une menteuse professionnelle, en somme. Et choisit de délibérément d’assumer sa féminité, d’« enfoncer le clou », tout en passant « du coq à l’âne ». Le féminisme l’agace un peu pourtant. « Quand j’ai commencé, je disais que j’étais féministe. Aujourd’hui, il faut être féministe pour tout, pour n’importe quoi. Il y a évidemment un rattrapage à faire. C’est sans doute une période nécessaire. Mais je n’aime pas les ghettos. »
Récemment, une bibliothèque a refusé un de ses dessins d’utérus pour l’affiche d’une exposition d’artistes femmes justement, sous prétexte que « les trans n’ont pas d’utérus ». La plasticienne râle : « Les femmes ont bien des seins. Pourquoi je ne pourrais pas montrer ça ? » Sur le toit du LaM, deux immenses figures gonflables, une noire et une rouge, s’entrechoquent dans une danse nuptiale un peu maladroite. Annette Messager les a voulues universelles. On voit ces amoureux de loin quand on arrive au musée. A 18 heures, tous les soirs, la soufflerie s’arrête et ils se dégonflent. Même l’amour, c’est faire comme si ?
Annette Messager, « Comme si », au musée LaM à Villeneuve d’Ascq, jusqu’au 21 août 2022
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