« Pas
de place pour ça »
La Commission européenne dénonce les caricatures
antisémites du carnaval d’Alost
Des
chars utilisant des stéréotypes antisémites avaient valu aux festivités d’être
rayées de la liste du Patrimoine immatériel de l’Unesco en 2019.
Par Sophie Petitjean / (Bruxelles, correspondance) publié
le 24 février 2020
Des carnavaliers déguisés en juifs ultra-orthodoxes, le 23 février à Alost, en Belgique.
« Capitale de la
moquerie et de la satire » : c’est ainsi que se présente la ville
flamande d’Alost (Belgique), à l’occasion de son carnaval annuel. Mais, depuis
deux ans, la satire multiplie les stéréotypes antisémites. En 2019 déjà,
la communauté juive s’était indignée devant un char caricaturant des
personnages au nez crochu, entourés de rats et juchés sur des sacs d’argent. Le
scandale avait été tel que l’Unesco avait exclu le carnaval d’Alost de la liste
de son Patrimoine culturel immatériel. Six ans plus tôt, en 2013, le
carnaval avait mis en scène un « char de déportation » censé
expulser les Belges francophones.
Cette année, le carnaval a persisté. Les marionnettes
au nez crochu ont été réemployées dans un autre décor, un stand de foire, aux
côtés d’autres religions. Plus loin, des carnavaliers affublés de deux
papillotes tombant d’un grand chapeau de fourrure noire, de chaque côté de leur
visage, et déguisés en fourmi devant un mur des Lamentations en or, a également
suscité une vive controverse. Certains, y compris dans la foule, arboraient
aussi fièrement un nez crochu en papier moulé. Le cortège comptait également
des uniformes nazis et des costumes hassidiques. De quoi susciter une polémique
encore plus violente que l’année dernière.
Les organisations représentatives de la communauté juive ont réagi avec
consternation au cortège. Qu’il s’agisse du Forum des organisations juives, de
la Ligue belge contre l’antisémitisme (LBCA) ou encore du Comité de
coordination des organisations juives de Belgique (CCOJB), toutes affirment que
l’affront est encore pire que celui de 2019.
Les différentes organisations n’excluent pas de porter plainte auprès de
l’UNIA (l’organisme public chargé de la lutte contre les discriminations),
comme certaines l’ont fait l’année passée. A l’époque, toutefois, l’UNIA avait
fini par juger que les chars problématiques ne tombaient pas sous le coup de la
loi contre le racisme et la xénophobie, en raison du contexte particulier,
celui du carnaval, dans lequel se déroulaient les attaques. Il
avait toutefois initié un dialogue entre les parties.
Caricatures « irrespectueuses »
Des carnavaliers avec des chapeaux « Tunesco », le 23 février à Alost, en Belgique
Pour Ludo Abicht,
professeur de philosophie qui enseigne le Moyen-Orient et la culture juive à
l’université d’Anvers, le jusqu’au-boutisme des habitants d’Alost était
prévisible. « Les
Alostois se sont sentis accusés d’être racistes et antisémites après le
carnaval de 2019, alors qu’ils ne pensaient pas à mal. Je ne suis pas étonné
qu’ils aient choisi de réagir », note le professeur, bon
connaisseur de la ville d’Alost.
Dimitri, un spectateur qui exhibe fièrement un nez
crochu, renchérit : « On nous décrit comme des antisémites.
Mais ce n’est pas vrai, alors on fait pire. Nous ne sommes pas racistes ou
antisémites, mais nous rigolons avec tout le monde. En premier lieu, on rigole
avec nous-mêmes. » Un sentiment généralement partagé par
la foule, arguant qu’il faut pouvoir « rire de tout ».
Plus que tout, les Alostois n’ont pas apprécié
l’attitude de l’Unesco, que certains carnavaliers ont d’ailleurs rebaptisée
pour l’occasion « Unestapo ». Le bourgmestre (maire) de la ville, le
nationaliste flamand Christoph D’Haese, avait pris les devants après que
l’organisation onusienne avait commencé le réexamen de l’inscription du
carnaval à sa liste du Patrimoine immatériel, et avait procédé lui-même à ce
retrait en décembre 2019. Une décision confirmée quelques jours pour tard
par l’Unesco. Et ce, alors que le président de son parti, l’Alliance
néoflamande (N-VA, nationaliste), s’était distancié des caricatures de 2019 en
les qualifiant d’« irrespectueuses ».
Selon Philippe Markiewicz, président du Consistoire
central israélite de Belgique, l’Unesco aurait dû attendre l’édition 2020 avant
d’agir, pour laisser place au dialogue. L’homme dénonce par ailleurs
l’immixtion de la diplomatie israélienne qui n’a, selon lui, rien arrangé.
Quelques jours avant les festivités, le ministre israélien des affaires
étrangères, Israel Katz, a en effet appelé dans un tweet la Belgique « à
condamner et à interdire » le carnaval d’Alost,
soulignant que « la
Belgique en tant que démocratie occidentale devrait avoir honte de permettre
une telle manifestation antisémite ».
Un appel balayé d’un revers de la main par le
bourgmestre d’Alost, qui avait refusé « toute censure ». Fidèle
à ses positions, il s’était limité à appeler les carnavaliers à « ne
pas rechercher spécifiquement un thème juif si cela n’est pas
nécessaire ».
Un char avec l’effigie d’un juif ultra-orthodoxe, le 23 février à Alost, en Belgique
« Préjudice
à nos valeurs »
L’affaire a provoqué de
vives réactions, notamment à la Commission européenne. « Le
carnaval d’Alost est une honte (…). Pas de place pour ça en
Europe », a écrit sur Twitter le commissaire grec Margaritis
Schinas, également vice-président de la Commission européenne, lundi
24 février. Il a réclamé l’interdiction du carnaval.
Un porte-parole de l’exécutif européen, Adalbert
Jahnz, a également condamné lundi ces caricatures, estimant qu’elles n’avaient « rien
à faire dans les rues européennes soixante-quinze ans après la Shoah ».
« La position de la Commission est claire, nous
sommes absolument opposés à toute forme d’antisémitisme. »
Précisant que la Commission avait reçu « un
certain nombre de plaintes » concernant le défilé, ce
porte-parole de l’exécutif européen a précisé qu’il appartenait aux autorités
nationales concernées « de prendre des mesures (…),
conformément aux lois européennes ».
En France, un tweet cinglant de l’eurodéputé
socialiste français Raphaël Glucksmann était particulièrement commenté. « Les
juifs sont de la vermine (…) et les nazis sont des gars sympas que les
enfants applaudissent et avec qui on a bien envie de boire une bière. Bienvenue
au carnaval d’Alost en 2020, en Belgique, cœur de l’UE. Dégénérés. »
Côté belge, les réactions
de la classe politique, inquiète du score réalisé par l’extrême droite dans
cette ville aux dernières élections fédérales, régionales et européennes
(25 % en moyenne), n’ont pas non plus manqué. « Si ces faits ne résument pas le
carnaval d’Alost, ils portent toutefois préjudice à nos valeurs ainsi qu’à la
réputation de notre pays », a déclaré dans un communiqué
la première ministre, la libérale Sophie Wilmès, invitant la justice à se
pencher sur la controverse.
Sophie Petitjean(Bruxelles, correspondance)
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