En car à Vannes 6 (et fin)
L’ancien
musée des beaux-arts de Nantes a fermé six ans pour rénovation. Le groupe
Bouygues (à qui nous devons la photo aérienne ci-dessous) réalisa
les travaux et livra en 2017 ce qui s’appelle désormais le Musée
d’arts. C’est une merveille.
1 km de reprises en sous-œuvre
3 500 m² de verrières restaurées en toiture
8 000 m² de façades inscrites aux Monuments historiques restaurées
4 000 m² de parquet restaurés
1 000 m² de bardage en marbre
400 m² de façade précontrainte à panneaux marbre-verre »
— un parcours historique et artistique dans le Cube.
— en écho auquel, dans la Chapelle de l’Oratoire, l’artiste Tony Oursler propose une installation immersive. »
Performance
Hypnographie
2012
12 rêves préparés
Pour sa première
exposition personnelle, Joris Lacoste a imaginé une série de douze scénarios,
représentés dans l’espace de la galerie par leur titre et un court synopsis.
Chaque scénario est une fiction conçue pour être racontée à une personne sous
hypnose.
Les personnes souhaitant
acquérir un de ces rêves sont d’abord invitées à rencontrer l’artiste et la
galerie en vue de discuter les conditions de l’échange. Au terme de cette
négociation est fixé un rendez-vous où il est procédé à l’induction de la pièce.
LE PARC DES EXPOSITIONS
Un jardin public dessiné
par un paysagiste visionnaire. Vous déambulez dans un dédale d’attractions
d’art avant de faire l’expérience radicale de l’admiration. Cette aventure
demande d’avoir le pied marin. Elle contient de l’alcool.
HÔTEL DE L’ANTARCTIQUE
Le Grand Sud devient
soudain une destination très prisée. La banquise se révèle étrangement
hospitalière. Le froid est en fait un masque édifiant. Le blanc repose les
yeux. L’intuition vous sert de guide. Il y a une double métamorphose à la clé.
L’ORIGINE DE L’OR
Quand pour la première
fois Pârvatî s’unit à Shiva, leur étreinte est si longue et si intense que le
cosmos entier en est secoué. Le fruit de cette union, Kârttikeya, l’éternel
adolescent, s’attaque au démon Tarakâ. Vous avez une ou six têtes, en général
votre vêtement est rouge et vous chevauchez un paon tueur de serpents.
STIMMUNG
À la faveur d’une
révélation inattendue, vous comprenez que les choses sont essentiellement de la
musique. La moindre rencontre est l’occasion d’affects sonores inédits. Vivre
consiste à composer des accords plus ou moins consonants. C’est comme une
promenade spectrale, sauf qu’il y a des trompettes et des chœurs d’enfants.
COMBUSTION LENTE
Vous vous retrouvez à
Dubaï qui est comme un salon mondial de la vie. Une danse inconnue a pris le
pouvoir. Tous les cœurs battent à l’unisson. La Deuxième Libération Sexuelle
est dans l’air. À un moment, le feu prend. Cela ne fait pas mal. Vous vous
consumez de concert avec la foule.
VISITE GUIDÉE
Cette excursion dans les
cercles de l’enfer se fait avec un compagnon dont l’identité n’est pas révélée.
Sa présence est amicale, rassurante, consolatrice. Sa voix fond comme un glaçon
dans la bouche. Il connaît tous les raccourcis.
LES NUAGES
Les enfants font
l’amour. Les nuages remplissent le ciel. La nudité voyage d’est en ouest, comme
les heures du jour. Le temps passe en bulles et en boucles. Ce sont des
collines, des prairies, des arbres avec ou sans feuilles, des lacs. Une ivresse
des surfaces.
BEL EST
Vous êtes le personnage
principal d’un roman initiatique situé dans un centre commercial (presque)
infini. Tout commence dans l’arrière-cuisine d’un KFC clandestin. Après
plusieurs épisodes salés, une rencontre décisive, un duel fratricide et peut-être
une résurrection, vous prenez enfin votre essor.
STÉRÉOMÉTRIE
Si nous habitions
géométriquement le monde, il nous apparaîtrait sous la forme de courbes
fluorescentes, de plans vaguement irisés, de polyèdres pris dans des repères
orthonormés. Les hommes seraient faits d’équations à dix mille inconnues. Il y
aurait une poésie des angles aigus.
OPÉRATION SHOESTRING
L’île de Guadalcanal est
en 1942 le théâtre d’un épisode décisif de la Guerre du Pacifique. Des combats
d’une violence inouïe opposent Américains et Japonais dans un décor
paradisiaque peuplé de paisibles Mélanésiens et d’esprits de la forêt. Vous en
reviendrez indemne mais vous aurez vu l’Éléphant.
ESSE EST IMPERCIPI
Vous vous faites enlever
chez vous par un mystérieux Commando Critique. Mais leur compagnie est si douce
et si sensée que vous ne tardez pas à rallier leur cause. Vous apprenez le
morse. Vous devenez invisible pour passer à travers les appareils d’État. Le
fil des actions dessine comme une cartographie à l’échelle 1:1.
L’ESPRIT DE LA MATIÈRE
C’est une époque où, pour une
raison ou une autre, le monde est devenu liquide. Votre intelligence coule
comme du mercure. Le temps se dilate à discrétion. Il n’y a plus le moindre
obstacle, chacun se répand sans pudeur. Vous épousez tous les courants.
À Nantes, une envoûtante séance d’hypnose au Musée d’arts
Pour sa réouverture, le Musée d’arts réunit un ensemble
d’œuvres et d’objets autour des phénomènes psychiques, de Gustave Courbet aux
surréalistes, en passant par Salvador Dali ou Fritz Lang.
Par Philippe Dagen(Nantes
(Loire-Atlantique))
Publié le 17 mai 2021
C’est une toile de Gustave Courbet, de petite taille, simple
et brutale. Le visage cadré de près d’une jeune femme est entouré de deux
tresses noires. Elle a un front large et bombé dont la lumière met en évidence
le volume. Ses yeux sont dans l’ombre des orbites et on aperçoit les pupilles
noires. Elle a les lèvres serrées et tout indique une immobilité de statue. Le
fond est obscur et la robe est noire, juste ornée d’une collerette de dentelle
blanche dont la pâleur répond à celle du front. L’œuvre, peinte en 1865,
est connue sous deux titres, La Voyante ou La
Somnambule. Etrange sujet pour un peintre dont les représentations
féminines sont si souvent placées sous le signe du plaisir.
Bien moins étrange qu’il n’y paraît, pour peu que l’on se
souvienne que ce portrait est contemporain de la vogue du magnétisme, du
spiritisme, des tables tournantes – Victor Hugo en était un adepte – et, dans
un genre plus forain, des séances d’hypnotisme publiques réussies par de
supposés mages ou guérisseurs.
Aussi, dans l’exposition « Hypnose », au Musée
d’arts de Nantes, le Courbet est-il présenté en compagnie d’affiches,
caricatures, livres et tableaux qui suggèrent cette vogue et ses développements
au milieu du XIXe siècle.
Pascal Rousseau, qui est l’auteur de l’exposition, procède
de même avec Marcel Duchamp, Victor Brauner ou Salvador Dali.
« Hypnose » se fonde en effet sur une méthode aussi claire que le
sujet est complexe : il est étudié en faisant converger le plus grand
nombre possible de savoirs et de documents, afin de montrer comment des
phénomènes psychiques sont devenus des sujets d’études scientifiques – ou
pseudo-scientifiques quelquefois –, des motifs de création pour la plupart des
arts et, encore et simultanément, des motifs d’engouement et de spectacles
publics.
De la seconde moitié du XVIIIe siècle à
aujourd’hui, ces fils s’entrecroisent, ce qui fait de l’exposition tout à la
fois un rassemblement déconcertant d’images et d’objets très variés et un long
récit continu, découpé en chapitres selon les époques. Les surprises y sont
d’autant plus nombreuses que cette méthode permet d’examiner des œuvres fort
connues, telle donc La Somnambule de Courbet, sous un angle
inhabituel, et permet d’intégrer à la réflexion aussi bien le cinéma de Fritz
Lang que les installations ésotériques de Matt Mullican.
Religiosité, magie et mysticisme
La question est celle des pouvoirs de l’esprit humain et des
moyens que celui-ci peut employer pour imposer ou suggérer une vision ou une
obsession, faire se mouvoir les corps, subjuguer les consciences ou anéantir la
volonté.
L’hypnose est l’un de ces moyens, mais ni le seul, ni le
premier. Dans les dernières décennies du XVIIIe siècle, Franz
Anton Mesmer prétend ainsi faire circuler des fluides magnétiques grâce à des
aimants et conçoit alors son « baquet », demeuré célèbre et qui n’a
rien d’un baquet. C’est, dans sa forme la plus élaborée, un cylindre de bois à
l’intérieur duquel se trouvent des éléments dont il ne faut pas divulguer
la nature et qui agissent à travers des tiges métalliques, lesquelles
conduiraient les fluides jusqu’aux cerveaux des patientes et patients disposés
en cercle autour de ce réceptacle de forces.
L’un de ces baquets, construit vers 1784, est à l’entrée du
parcours. Au premier regard, c’est une belle réussite de menuiserie et de
ferronnerie. Au second, il apparaît qu’il n’existe qu’une différence de forme
et de dimensions entre lui et un objet sacré desservant une autre magie, quelle
qu’elle soit : la charge efficace est enfermée à l’intérieur de
l’instrument parce qu’elle perdrait son pouvoir si elle n’était invisible, et
il faut frôler l’objet ou se tenir près de lui pour recevoir ses effluves
bénéfiques.
Ainsi considéré, le baquet de Mesmer n’est qu’un instrument
magique parmi d’autres, mais de style Louis XVI. Les caricatures
antimesmériennes qui sont au mur de la salle confirment ce point. Elles font
mine de croire que le « magnétisme animal » qu’invoque
Mesmer peut changer les humains en bouc, chèvre, âne ou lièvre. Or la plupart
des magies se flattent en effet de tels exploits.
Voir aussi le portfolio : Quand
l’hypnose rencontre l’art à Nantes
De ce point de départ jusqu’à son terme, l’exposition ne
cesse de proposer de ces analogies, sur fond de religiosité. Les dessins que
trace le sculpteur Théophile Bra dans les décennies 1840-1850 sont des
diagrammes sacrés : croix, lotus, spectres.
Les patientes hystériques dont le médecin Jean-Martin
Charcot et ses disciples observent les crises, dans les années
1880-1890, prennent des postures d’extase ou d’horreur mystique, de terreur ou
de révélation. Les 86 dessins que Paul Richer trace de leurs mouvements
font l’inventaire d’une gymnastique du mysticisme dans laquelle l’Extase de
sainte Thérèse du Bernin aurait autant sa place que les femmes nues et
convulsées de Rodin et de Munch.
Sous-entendus érotiques
Les sous-entendus érotiques n’y manquent pas, d’autant que
le public des leçons de Charcot à la Salpêtrière est aussi exclusivement
masculin que les hystériques y sont toutes des femmes – stéréotype tenace – et
que les images de ces séances prêtent souvent à celles-ci des attitudes et
expressions lascives.
Le mot « adoration » peut ainsi se comprendre de
bien des façons. Il en est de même du mot « fascination ». Celle-ci,
à en croire les traités des savants, serait un état à classer entre la catalepsie
et le somnambulisme et se reconnaîtrait aux yeux révulsés, aux bras levés et
aux mains ouvertes, qui sont les signes habituels d’une piété
particulièrement exaltée et susceptible d’aller jusqu’à la transe – autre mot à
nombreux usages.
Cela se passe dans le dernier tiers du XIXe siècle
et au début du suivant. Ainsi décrite, preuves à l’appui, cette période, que
l’on tient d’ordinaire pour celle des progrès de l’esprit scientifique en
toutes directions, apparaît comme celle d’une passion tout aussi forte pour
l’occulte, l’étrange et l’inexplicable : vengeance de l’irrationnel sur la
raison ? Cette question est sous-jacente quand les surréalistes, ennemis
proclamés de ladite raison, expérimentent les sommeils hypnotiques, pour
lesquels Robert Desnos se montre particulièrement doué.
Les dessins qu’il trace endormi lors des séances qui ont
lieu en 1922 chez André Breton et sa communication télépathique avec Rrose
Sélavy – double féminin fictif de Duchamp – apparaissent à ses amis comme les
preuves d’une vie de l’esprit, ou des esprits, qui échappe aux explications
professées par les médecins aliénistes, que les surréalistes méprisent
ostensiblement.
L’exposition serait incomplète si elle n’offrait elle-même
l’occasion d’une expérience hypnotique. Elle a lieu, comme il se doit, dans une
chapelle, celle de l’Oratoire, attenante au musée. Dans cet espace qui fut
sacré, l’artiste américain Tony
Oursler déploie un ensemble à proprement parler hallucinant de
séquences vidéo et d’installations, disposées partout et à toutes les hauteurs.
Il y glisse des allusions à plusieurs des objets et artistes présents dans
l’exposition, mais en s’en emparant à la manière dont un maelström s’empare de
tout ce qui flotte à proximité. On reste immobile, stupéfait et ne sachant où
regarder tant il y a d’images qui appellent l’œil. Médusé autrement dit.
« Hypnose », Musée d’arts de Nantes, 10, rue
Georges Clemenceau, Nantes (Loire-Atlantique). Du mercredi au lundi de
11 heures à 19 heures, 21 heures le jeudi. Entrée de 4 € à
8 €. Jusqu’au 22 août pour le parcours historique et jusqu’au
12 septembre pour Tony Oursler.
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