En car à Vannes 6 (et fin)

L’ancien musée des beaux-arts de Nantes a fermé six ans pour rénovation. Le groupe Bouygues (à qui nous devons la photo aérienne ci-dessous) réalisa les travaux et livra en 2017 ce qui s’appelle désormais le Musée d’arts. C’est une merveille.

« 16 000 m3 excavés sous le bâtiment palais
1 km de reprises en sous-œuvre
3 500 m² de verrières restaurées en toiture
8 000 m² de façades inscrites aux Monuments historiques restaurées
4 000 m² de parquet restaurés
1 000 m² de bardage en marbre
400 m² de façade précontrainte à panneaux marbre-verre »
Nous venons pour lexpo temporaire Hypnose – et les pièces permanentes
« L’exposition se déroule en deux temps
— un parcours historique et artistique dans le Cube.
— en écho auquel, dans la Chapelle de l’Oratoire, l’artiste Tony Oursler propose une installation immersive. »
 Anonyme, Le doigt magique ou le magnétisme animal – Simius semper simius,
1784, gravure à leau-forte ; épreuve coloriée
La Somnambule, Maximilian Pirner, 1878

Salvador Dalí, Le Phénomène de l’extase (publié dans Minotaure , n°3- 4, décembre 1933), 1933, photomontage, 31,1 x 24,2 cm, Paris, Centre Pompidou

Victor Brauner, Strigoï La somnambule, 1946, cire sur papier marouflé sur Isorel sous verre, 65 x 50 cm, Strasbourg, Musée d’art moderne et contemporain

Marina Apollonio, Spazio Ad Attivazione Cinetica 6B, 1966-2020, 
impression placée au sol, Museo del Barrio

La Voyante ou La Somnambule, un Gustave Courbet à tomber, vers 1865

Fritz Lang, Dr. Mabuse der Spieler, 1922


Robert Desnos (Écriture sous hypnose, ici)
« En vivant et en voyant les hommes, il faut que le cœur se brise ou se bronze »
(Sébastien-Roch Nicolas de Chamfort)
Les médecins sont tous des hommes, les femmes des phénomènes de foire (enfermés) – on songe au musée du Dr Guislain à Gand, bien sûr

Performance
Hypnographie
2012
12 rêves préparés

Pour sa première exposition personnelle, Joris Lacoste a imaginé une série de douze scénarios, représentés dans l’espace de la galerie par leur titre et un court synopsis. Chaque scénario est une fiction conçue pour être racontée à une personne sous hypnose.
Les personnes souhaitant acquérir un de ces rêves sont d’abord invitées à rencontrer l’artiste et la galerie en vue de discuter les conditions de l’échange. Au terme de cette négociation est fixé un rendez-vous où il est procédé à l’induction de la pièce.
LE PARC DES EXPOSITIONS
Un jardin public dessiné par un paysagiste visionnaire. Vous déambulez dans un dédale d’attractions d’art avant de faire l’expérience radicale de l’admiration. Cette aventure demande d’avoir le pied marin. Elle contient de l’alcool.

HÔTEL DE L’ANTARCTIQUE
Le Grand Sud devient soudain une destination très prisée. La banquise se révèle étrangement hospitalière. Le froid est en fait un masque édifiant. Le blanc repose les yeux. L’intuition vous sert de guide. Il y a une double métamorphose à la clé.
 
L’ORIGINE DE L’OR
Quand pour la première fois Pârvatî s’unit à Shiva, leur étreinte est si longue et si intense que le cosmos entier en est secoué. Le fruit de cette union, Kârttikeya, l’éternel adolescent, s’attaque au démon Tarakâ. Vous avez une ou six têtes, en général votre vêtement est rouge et vous chevauchez un paon tueur de serpents.
STIMMUNG
À la faveur d’une révélation inattendue, vous comprenez que les choses sont essentiellement de la musique. La moindre rencontre est l’occasion d’affects sonores inédits. Vivre consiste à composer des accords plus ou moins consonants. C’est comme une promenade spectrale, sauf qu’il y a des trompettes et des chœurs d’enfants.
 
COMBUSTION LENTE
Vous vous retrouvez à Dubaï qui est comme un salon mondial de la vie. Une danse inconnue a pris le pouvoir. Tous les cœurs battent à l’unisson. La Deuxième Libération Sexuelle est dans l’air. À un moment, le feu prend. Cela ne fait pas mal. Vous vous consumez de concert avec la foule.
 
VISITE GUIDÉE
Cette excursion dans les cercles de l’enfer se fait avec un compagnon dont l’identité n’est pas révélée. Sa présence est amicale, rassurante, consolatrice. Sa voix fond comme un glaçon dans la bouche. Il connaît tous les raccourcis.

LES NUAGES
Les enfants font l’amour. Les nuages remplissent le ciel. La nudité voyage d’est en ouest, comme les heures du jour. Le temps passe en bulles et en boucles. Ce sont des collines, des prairies, des arbres avec ou sans feuilles, des lacs. Une ivresse des surfaces.
BEL EST
Vous êtes le personnage principal d’un roman initiatique situé dans un centre commercial (presque) infini. Tout commence dans l’arrière-cuisine d’un KFC clandestin. Après plusieurs épisodes salés, une rencontre décisive, un duel fratricide et peut-être une résurrection, vous prenez enfin votre essor.
 
STÉRÉOMÉTRIE
Si nous habitions géométriquement le monde, il nous apparaîtrait sous la forme de courbes fluorescentes, de plans vaguement irisés, de polyèdres pris dans des repères orthonormés. Les hommes seraient faits d’équations à dix mille inconnues. Il y aurait une poésie des angles aigus.
 
OPÉRATION SHOESTRING
L’île de Guadalcanal est en 1942 le théâtre d’un épisode décisif de la Guerre du Pacifique. Des combats d’une violence inouïe opposent Américains et Japonais dans un décor paradisiaque peuplé de paisibles Mélanésiens et d’esprits de la forêt. Vous en reviendrez indemne mais vous aurez vu l’Éléphant.
ESSE EST IMPERCIPI
Vous vous faites enlever chez vous par un mystérieux Commando Critique. Mais leur compagnie est si douce et si sensée que vous ne tardez pas à rallier leur cause. Vous apprenez le morse. Vous devenez invisible pour passer à travers les appareils d’État. Le fil des actions dessine comme une cartographie à l’échelle 1:1.
L’ESPRIT DE LA MATIÈRE
C’est une époque où, pour une raison ou une autre, le monde est devenu liquide. Votre intelligence coule comme du mercure. Le temps se dilate à discrétion. Il n’y a plus le moindre obstacle, chacun se répand sans pudeur. Vous épousez tous les courants.

Des nombres à foison dans la belle installation de Matt Mullican
Hypnose par les chiffres

La recension de cette expo par Philippe Dagen dans le Monde est ici (et dessous pour les non-abonnés)

À Nantes, une envoûtante séance d’hypnose au Musée d’arts

Pour sa réouverture, le Musée d’arts réunit un ensemble d’œuvres et d’objets autour des phénomènes psychiques, de Gustave Courbet aux surréalistes, en passant par Salvador Dali ou Fritz Lang.

Par Philippe Dagen(Nantes (Loire-Atlantique))

Publié le 17 mai 2021

C’est une toile de Gustave Courbet, de petite taille, simple et brutale. Le visage cadré de près d’une jeune femme est entouré de deux tresses noires. Elle a un front large et bombé dont la lumière met en évidence le volume. Ses yeux sont dans l’ombre des orbites et on aperçoit les pupilles noires. Elle a les lèvres serrées et tout indique une immobilité de statue. Le fond est obscur et la robe est noire, juste ornée d’une collerette de dentelle blanche dont la pâleur répond à celle du front. L’œuvre, peinte en 1865, est connue sous deux titres, La Voyante ou La Somnambule. Etrange sujet pour un peintre dont les représentations féminines sont si souvent placées sous le signe du plaisir.

Bien moins étrange qu’il n’y paraît, pour peu que l’on se souvienne que ce portrait est contemporain de la vogue du magnétisme, du spiritisme, des tables tournantes – Victor Hugo en était un adepte – et, dans un genre plus forain, des séances d’hypnotisme publiques réussies par de supposés mages ou guérisseurs.

Aussi, dans l’exposition « Hypnose », au Musée d’arts de Nantes, le Courbet est-il présenté en compagnie d’affiches, caricatures, livres et tableaux qui suggèrent cette vogue et ses développements au milieu du XIXe siècle.

Pascal Rousseau, qui est l’auteur de l’exposition, procède de même avec Marcel Duchamp, Victor Brauner ou Salvador Dali. « Hypnose » se fonde en effet sur une méthode aussi claire que le sujet est complexe : il est étudié en faisant converger le plus grand nombre possible de savoirs et de documents, afin de montrer comment des phénomènes psychiques sont devenus des sujets d’études scientifiques – ou pseudo-scientifiques quelquefois –, des motifs de création pour la plupart des arts et, encore et simultanément, des motifs d’engouement et de spectacles publics.

De la seconde moitié du XVIIIe siècle à aujourd’hui, ces fils s’entrecroisent, ce qui fait de l’exposition tout à la fois un rassemblement déconcertant d’images et d’objets très variés et un long récit continu, découpé en chapitres selon les époques. Les surprises y sont d’autant plus nombreuses que cette méthode permet d’examiner des œuvres fort connues, telle donc La Somnambule de Courbet, sous un angle inhabituel, et permet d’intégrer à la réflexion aussi bien le cinéma de Fritz Lang que les installations ésotériques de Matt Mullican.

Religiosité, magie et mysticisme

La question est celle des pouvoirs de l’esprit humain et des moyens que celui-ci peut employer pour imposer ou suggérer une vision ou une obsession, faire se mouvoir les corps, subjuguer les consciences ou anéantir la volonté.

L’hypnose est l’un de ces moyens, mais ni le seul, ni le premier. Dans les dernières décennies du XVIIIe siècle, Franz Anton Mesmer prétend ainsi faire circuler des fluides magnétiques grâce à des aimants et conçoit alors son « baquet », demeuré célèbre et qui n’a rien d’un baquet. C’est, dans sa forme la plus élaborée, un cylindre de bois à l’intérieur duquel se trouvent des éléments dont il ne faut pas divulguer la nature et qui agissent à travers des tiges métalliques, lesquelles conduiraient les fluides jusqu’aux cerveaux des patientes et patients disposés en cercle autour de ce réceptacle de forces.

Franz Anton Mesmer, Baquet à magnétiser, dit baquet de Mesmer, 1784, bois, métal, corde et verre, 73 x 69 x 87 cm, Lyon, Musée d’histoire de la médecine et de la pharmacie – Université Lyon 1

L’un de ces baquets, construit vers 1784, est à l’entrée du parcours. Au premier regard, c’est une belle réussite de menuiserie et de ferronnerie. Au second, il apparaît qu’il n’existe qu’une différence de forme et de dimensions entre lui et un objet sacré desservant une autre magie, quelle qu’elle soit : la charge efficace est enfermée à l’intérieur de l’instrument parce qu’elle perdrait son pouvoir si elle n’était invisible, et il faut frôler l’objet ou se tenir près de lui pour recevoir ses effluves bénéfiques.

Ainsi considéré, le baquet de Mesmer n’est qu’un instrument magique parmi d’autres, mais de style Louis XVI. Les caricatures antimesmériennes qui sont au mur de la salle confirment ce point. Elles font mine de croire que le « magnétisme animal » qu’invoque Mesmer peut changer les humains en bouc, chèvre, âne ou lièvre. Or la plupart des magies se flattent en effet de tels exploits.

Voir aussi le portfolio : Quand l’hypnose rencontre l’art à Nantes

De ce point de départ jusqu’à son terme, l’exposition ne cesse de proposer de ces analogies, sur fond de religiosité. Les dessins que trace le sculpteur Théophile Bra dans les décennies 1840-1850 sont des diagrammes sacrés : croix, lotus, spectres.

Les patientes hystériques dont le médecin Jean-Martin Charcot et ses disciples observent les crises, dans les années 1880-1890, prennent des postures d’extase ou d’horreur mystique, de terreur ou de révélation. Les 86 dessins que Paul Richer trace de leurs mouvements font l’inventaire d’une gymnastique du mysticisme dans laquelle l’Extase de sainte Thérèse du Bernin aurait autant sa place que les femmes nues et convulsées de Rodin et de Munch.

Sous-entendus érotiques

Les sous-entendus érotiques n’y manquent pas, d’autant que le public des leçons de Charcot à la Salpêtrière est aussi exclusivement masculin que les hystériques y sont toutes des femmes – stéréotype tenace – et que les images de ces séances prêtent souvent à celles-ci des attitudes et expressions lascives.

Le mot « adoration » peut ainsi se comprendre de bien des façons. Il en est de même du mot « fascination ». Celle-ci, à en croire les traités des savants, serait un état à classer entre la catalepsie et le somnambulisme et se reconnaîtrait aux yeux révulsés, aux bras levés et aux mains ouvertes, qui sont les signes habituels d’une piété particulièrement exaltée et susceptible d’aller jusqu’à la transe – autre mot à nombreux usages.

Cela se passe dans le dernier tiers du XIXe siècle et au début du suivant. Ainsi décrite, preuves à l’appui, cette période, que l’on tient d’ordinaire pour celle des progrès de l’esprit scientifique en toutes directions, apparaît comme celle d’une passion tout aussi forte pour l’occulte, l’étrange et l’inexplicable : vengeance de l’irrationnel sur la raison ? Cette question est sous-jacente quand les surréalistes, ennemis proclamés de ladite raison, expérimentent les sommeils hypnotiques, pour lesquels Robert Desnos se montre particulièrement doué.

Les dessins qu’il trace endormi lors des séances qui ont lieu en 1922 chez André Breton et sa communication télépathique avec Rrose Sélavy – double féminin fictif de Duchamp – apparaissent à ses amis comme les preuves d’une vie de l’esprit, ou des esprits, qui échappe aux explications professées par les médecins aliénistes, que les surréalistes méprisent ostensiblement.

L’exposition serait incomplète si elle n’offrait elle-même l’occasion d’une expérience hypnotique. Elle a lieu, comme il se doit, dans une chapelle, celle de l’Oratoire, attenante au musée. Dans cet espace qui fut sacré, l’artiste américain Tony Oursler déploie un ensemble à proprement parler hallucinant de séquences vidéo et d’installations, disposées partout et à toutes les hauteurs. Il y glisse des allusions à plusieurs des objets et artistes présents dans l’exposition, mais en s’en emparant à la manière dont un maelström s’empare de tout ce qui flotte à proximité. On reste immobile, stupéfait et ne sachant où regarder tant il y a d’images qui appellent l’œil. Médusé autrement dit.

« Hypnose », Musée d’arts de Nantes, 10, rue Georges Clemenceau, Nantes (Loire-Atlantique). Du mercredi au lundi de 11 heures à 19 heures, 21 heures le jeudi. Entrée de 4 € à 8 €. Jusqu’au 22 août pour le parcours historique et jusqu’au 12 septembre pour Tony Oursler.


Le hall dentrée du musée, avec le contrôle des QR code Covid à gauche et une cafèt agréable au fond.

Voici linstallation « immersive » de Tony Oursler (assez peu convaincante, à vrai dire)
On notera que la célèbre Dream Machine de Brion Gysin est attribuée à Brion Gyson sur le site du musée (capture décran réalisée le 28 juillet 2021)...

On quitte Tony Oursler pour une visite au pas de charge du musée proprement dit : on y reviendra, il y a des œuvres... hypnotiques
Philippe Cognée, HIU, 2016
Villeglé, Alphabet de la guérilla, 1983
Gina Pane, Action, Stripe-Rake, 1969
(Malevitch partout, justice nulle part !-)
Pages de terre II, 1987, Penone
Kandinsky footeux
Rodin costaud
Pompon (pour Annie et Rodrigo)
Polke, toujours sidérant
La statue (plâtre ?) tout à droite semble frappée par la peste : le clou sortant du pouce ma... cloué longtemps
Changer détage est un plaisir
Comme vous pouvez le voir, jai raté ma photo de cette Leçon de lecture, 1854, par le charmant (et prolifique) Nantais Auguste Toulmouche– récupérée plus tard sur Internet. La couverture du livre proposé à ladite lecture est... MA-MAN : un programme qui semble laisser les bambins dubitatifs

Claude Cahun simple et sublime
Je ne reviens pas sur la traite négrière à Nantes...
Camille Bryen (Camille Briand, dit
Cattelan, 1997
Détails dErro, Cité interdite, tableaux interdits, 2007
On rentre – autoroute saturée, pluie, 2 heures pour faire Nantes-Vannes au lieu des 80 minutes habituelles. Et Jean-Yves Lafesse qui passe larme à gauche à Vannes, justement. RIP.
Autre RIP au moment où je termine cette page, Dusty Hill, de ZZ Top, désormais Z Top – jai le blues.
Heureusement que Lo nous WeTransféré ça.













































 





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