Gianna

Plomberie céleste

Je me souviens des oreillons, début des années 1960. Je crois que tous les enfants de Janine les avaient attrapés en même temps. Ma tête à moi devait avoir l’aspect d’une brique rouge – bruits extérieurs étouffés, ouate et acouphènes qui ne sifflaient pas vraiment le Pont de la rivière Kwaï.

Durant trois soirs Janine vint dans ma chambre pour me raconter une belle histoire. J’ai gardé le papier où elle avait noté les sujets dans l’ordre : Fleming, Milo, Le Verrier.

Elle ne disait pas « Il était une fois… », elle commençait toujours par : « Ce jour-là… »

Alexander Fleming, décédé le 11 mars 1955

« Ce jour-là, Alexandre Fleming revient de vacances. Il trouve par hasard dans son laboratoire une boîte avec une expérience qu’il avait oubliée. Cette boîte contient ses larmes, sa salive à lui et les bactéries qui vont avec. Il veut tester sur une longue période les progrès d’une population de bactéries. À sa grande surprise Fleming remarque qu’il y a des moisissures dans sa boîte, comme celles qui poussent sur le vieux fromage : Zut, se dit-il, la boîte a été contaminée pendant les vacances. Il veut tout jeter… regarde encore… et voit qu’à l’endroit où il y a de la moisissure, il n’y a pas de bactéries ! Ces moisissures-là seraient-elles plus fortes que les bactéries ? Fleming vient de découvrir les antibiotiques ; ils sauveront des milliers de soldats anglais pendant la 2e guerre. Bonne nuit mon chéri ».

Sandra Milo, née le 11 mars 1933

« Ce jour-là, Sandra Milo vient avenue de la Floride pour une grande soirée qu’Enrico et moi donnons pour le cinéma italien. C’est une actrice qui sort d’un film avec Vittorio de Sica, elle est magnifique dans sa robe de dentelle noire. Elle t’aperçoit en haut de l’escalier, tu te rappelles ? Et dit « Carino, è vostro figlio? » Une heure plus tard on est à table. Le téléphone sonne : c’est une « infirmière » qui annonce à Sandra Milo que sa fille Debora, âgée d’un an, est en train de mourir à Rome. Milo s’enfuit de la maison en larmes. La police vient chez nous le lendemain car le coup de fil était ‘une blague’ – et l’enquête ne fait que commencer. Bonne nuit mon chéri ».

Urbain Le Verrier, né le 11 mars 1811

« Ce jour-là, Urbain Le Verrier termine ses calculs. Il est astronome. Il a remarqué que la planète Uranus ne tourne pas vraiment rond autour du Soleil. Il se dit qu’une autre planète, inconnue, est la cause des irrégularités d’Uranus. Il publie donc ses calculs à Paris puis écrit à un ami astronome qui habite Berlin. Il lui dit : « Pointe ton télescope dans cette direction-là – et regarde bien ! » L’ami ouvre l’enveloppe, court à son télescope, le pointe à l’endroit indiqué… et découvre Neptune. Gloire universelle pour Le Verrier. Bonne nuit mon chéri ».

« Ce jour-là », le 11 mars, a été déclaré en 2010 Journée mondiale de la plomberie. Je me souviens qu’Enrico et Janine étaient écroulés de rire au ‘sketch du plombier’ de Fernand Reynaud. Mais il y a un mystère : par quelle tuyauterie prémonitoire Janine a-t-elle pu me raconter, au début des années 1960, des histoires de personnes dont la vie fut placée sous le signe du 11 mars, précisément ? 11 mars, jeudi dernier, jour de sa mort ?

Peut-être que Dieu existe – et l’abbé Tricot, ici présent, aussi ?

Janine aurait pu ajouter à ses cent professions celles de médium et de conteuse hors pair.

Bon voyage, Gianna bella!













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