Merci Mamouz (et Libé)
(d'autres dessins du formidable Walter Molino ici)
Je veux enterrer mes morts comme l’ont fait les êtres humains detoute éternité, depuis Antigone, et pleurer au bord de leur tombe.
Je veux qu’un risque ne prenne pas la place d’une réalité, et qu’on neme dise pas que l’autre, parce qu’il est peut-être malade, est monennemi.
Je veux que les médecins ne soient pas des chefs auxquels il convientd’obéir, et qui se battent entre eux comme le font les chefs, de touteéternité.
Je veux être sûr de pouvoir marcher dans mon monde sans dronesau-dessus de ma tête, sans caméra braquée sur ma maison, sansespion numérique dans ma poche.
Je veux n’être pris ni pour un imbécile auquel on peut faireadmettre qu’un masque est inutile parce qu’on n’en a pas, etutile quand on en a ; ni pour un crétin devant justifier qu’ilsort parce qu’il a besoin de sortir ; ni pour un enfant à quil’on doit expliquer comment on se lave les mains.
Je veux n’être arrêté que par ma propre peur, non par unpolicier armé.
Je veux un gouvernement suffisamment indépendantpour ne pas faire à tout coup comme le gouvernementd’à côté.
Je veux acheter des livres librement, comme on fait dansun pays civilisé ; et ne pas entendre à la radio, à toute heuredu jour et de la nuit, le même message inepte : « Alerte aucoronavirus… »
Je veux n’être pas comptabilisé.
Je veux être malade libre dans un pays libre, et non meréveiller tous les matins en pensant que la barbarie, nousy sommes. Je veux que mes enfants vivent dans un mondedigne d’eux.
Je veux faire des projets en me disant : je les réaliseraisi je survis à cette épidémie, et non : on ne me laissera pasfaire.
Je veux voir mes amis, s’ils veulent bien de moi.
Je veux, si j’admets de me « confiner », pouvoir changerlibrement de « lieu de confinement ».
Je veux acheter mes andouillettes là-bas, si elles sontmeilleures qu’ici.
Je veux, même si « les Chinois sont des menteurs », qu’oncesse de les prendre pour des criminels d’une part, pourdes incapables d’autre part.
Je veux qu’on cesse de penser qu’un médecin provincialvaut moins qu’un médecin parisien.
Je veux que, de temps en temps, sur les huit heures dusoir, on sorte au balcon pour applaudir Alexandre Dumas,Charles Baudelaire et Marcel Proust, dont le métier n’étaitpas de nous aider à vivre, et qui l’ont fait pourtant.
Je veux que la santé ne soit pas obligatoire. Ni que la« vulnérabilité » d’un être (autrement dit son âge et /ou sonétat de santé), soit considérée comme un défaut, et vécuecomme une charge.
Je veux qu’on n’impute pas aux individus les fautes commisespar la collectivité, l’État, ou seulement les riches.
Je veux que le préfet de Seine-et-Marne me dise pourquoij’ai le droit de me promener partout sauf sur les promenades.
Je veux que la délation ne soit pas instituée commeaction morale, alors qu’elle est immorale.
Je veux que les professeurs, de mathématiques ou detrombone à coulisse, enseignent à des élèves et non à desimages, dans des classes où les crayons font du bruit entombant par terre.
Je veux qu’on se souvienne que le prêtre embrassait leslépreux.
Je veux qu’on n’instille pas dans mes veines le virus de laculpabilité : elles sont assez sollicitées comme cela.
Je veux cesser d’envier mon chat, ce rat qui court, cetteblatte.
Je veux que le facteur me porte mon courrier. Vous savez,ces lettres qui portent des timbres achetés avec de l’argent.
Je veux qu’on cesse de se moquer des nostalgiques,
puisqu’on sait maintenant de façon certaine que c’étaitmieux avant.
Je veux qu’on laisse l’épidémie faire son travail d’épidémie.
JACQUES DRILLON
Sophie Calle n'écoute que des chansons tristes
Aujourd'hui, rendez-vous avec l'un des grands noms de
l'art contemporain, Sophie Calle. Celle qui passe son temps entre Paris et la
Camargue est actuellement confinée dans la capitale
Par Fred Guilledoux pour La Provence
SAMEDI 25/04/2020
Qu'aviez-vous prévu de faire si vous n'étiez pas confinée
?
Sophie Calle : La même chose que ce que je fais, soit
travailler chez moi, mais sans y être obligée donc plus efficacement.
Comment se passe votre confinement ?
Sophie Calle : Il se passe...
Quelles sont vos méthodes pour vous évader ?
Sophie Calle : Je ne veux pas m'évader.
Une chanson à partager pour nous remonter le moral ?
Sophie Calle : Je n'écoute que des chansons tristes.
Un film en VOD ou un DVD à conseiller ?
Sophie Calle : Je n'aime pas donner de conseils à des
gens que je ne connais pas personnellement.
Un livre refuge pour oublier que vous ne pouvez pas
sortir ?
Sophie Calle : Je ne veux pas oublier.
Frigo plein ou queue devant un supermarché ?
Sophie Calle : L'information ne me semble pas capitale
mais puisque vous me le demandez, pas de supermarché et par voie de
conséquence, pas de frigo plein.
La première chose que vous ferez après le confinement ?
Sophie Calle : Je sortirai.
Le gif que je passe des heures à le regarder...
... se télécharge ici :
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