La pire Biennale de tous les temps ! (mais...) #2

Pierre Huyghe à la Pointe de la douane
Pierre Huyghe à la Biennale de Venise : humain, trope humain
À travers des films et sculptures de robots indifférents au monde, le plasticien français interroge le devenir de l’humanité à la Biennale de Venise dans une exposition troublante.
La sculpture « Mind’s Eyes » de Pierre Huyghe.

par Judicaël LavradorEnvoyé spécial de Libération à Venise
publié le 7 mai 2024 à 5h36

Plongée de bout en bout dans une obscurité qu’atténuent à peine les faibles lueurs (ambrées, grisâtres ou verdâtres) des films projetés, l’exposition de Pierre Huyghe, à la Pointe de la douane, à Venise, fait frémir parce que ses œuvres sont traversées de créatures ou d’embryons de créatures qui vivent leur vie à couvert, s’agitent ou cogitent, en restant impénétrables, presque indifférentes au spectateur. Comme si elles n’appartenaient pas au même monde ni même de la même époque que les nôtres.

Silencieux ballet

Dès la première salle est mise en scène, sur un écran géant, une créature fantomatique que le livret définit comme une «forme humaine vide, sans cerveau, ni visage» – puisqu’à la place il y a comme un trou noir. Sur fond de désert ténébreux, elle se tient immobile ou convulsionne et le titre, Liminal qui est aussi celui du show, dit qu’elle en est à un stade liminaire d’apprentissage ou de métamorphose.

Ce n’est pas la seule. Ici et là, des individus, à la démarche robotique errent, le visage couvert d’un casque qui capte des informations et va, au fil du temps, leur permettre d’élaborer leur propre langage et d’affiner leur sensibilité. Ces Idioms s’apparentent à de l’intelligence artificielle en chair et en os et le show comme une exposition d’anticipation qui se projette dans un futur proche où l’être humain n’aurait plus toute sa place et devra, au mieux, composer avec les machines.

Machines qui sont déjà à l’œuvre, dans le film Camata, tourné au milieu du désert chilien d’Atacama, où deux bras articulés, seuls au monde, s’affairent, imperturbables, sur un squelette humain, couché au sol. Leur lent et silencieux ballet, autopsie de l’humanité d’ores et déjà disparue peut-être, n’a ni début ni fin : ce n’est pas seulement que le film tourne en boucle, c’est qu’il est «autogénéré, édité en temps réel par l’intelligence artificielle». Pierre Huyghe laisse les clés de ses pièces à l’IA en la laissant apprendre à partir des données (images, ondes, sons) collectées dans l’espace même d’exposition par les capteurs qui équipent par exemple ce haut mât en laiton dressé dans la deuxième salle.

Cocons filandreux

Ce processus, certes opaque et à peine perceptible, fait pulser les images d’une autre projection, agglomérat d’images mentales où on croit distinguer des formes noueuses, des visages tordus, des cocons filandreux. Une sculpture, du même type, le troisième en quelque sorte, Mind’s Eyes, gît au sol, combinaison monstrueuse de matières translucides, synthétiques et biologiques, qui n’échappe par à la règle évolutive qui s’applique à toutes les pièces : elle est vouée à muter. Tremplin instable et envoûtant vers le futur de l’art, de l’imagination, de la création, l’exposition de Pierre Huyghe trouble aussi parce qu’elle avance vers là-bas à tâtons, sans fanfare ni trompettes, dans un silence bruissant d’incertitudes sur le devenir de l’humain. Rien de moins.












































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