Fontaine, Pernot, Venise, Gillets jaunes

 
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28 novembre 2018, 17:00
Thierry Fontaine
Les Pluriels Singuliers

Pour cette monographie d'envergure, Thierry Fontaine a rassemblé plus de 30 pièces photographiques - dont un ensemble inédit.


Réalisées entre 1995 et 2018, elles marquent le parcours de l’artiste. L’exposition cherche à rendre sensible la dynamique créatrice d’une œuvre dont la singularité se construit à travers une pluralité de ressources puisées dans des sphères hétérogènes, artistiques, culturelles, politiques et poétiques.

Dès 1996, les œuvres de Thierry Fontaine n’existent que sous la forme de photographies. Insolites et souvent énigmatiques, ses images révèlent de curieuses réalités dont le sens est suspendu. On y voit des corps en action aux prises avec de l’argile, un matériau des plus anciens ; des masques africains aux larmes de cire ; des paysages fragmentés à dimension onirique, des végétaux et des animaux transfigurés ; des phénomènes troublants et d’étranges créations artisanales. En fait, dans chacune de ces photographies, l’artiste « expose » ses propres travaux de sculpteur − du geste à l’action, de l’objet à l’installation. Or ce processus engagé est loin d’épuiser le jeu de l’interprétation des images. 

En déplaçant ses activités de sculpteur dans l’espace photographique, Thierry Fontaine développe une œuvre hybride et nomade. À  travers une gamme extensive de dispositifs, il cherche à transmettre une expérience de la diversité du monde et de l’échange entre des registres éclectiques parfois contradictoires. Ses photographies témoignent d’une pratique polyphonique, active dans le monde où nous vivons, à la fois pluriel et singulier.
Thierry Fontaine est né en 1969 à Saint-Pierre (La Réunion). Après des études à l’École Supérieure des Arts décoratifs de Strasbourg, il fut pensionnaire de la Villa Medicis de Rome entre 1999 et 2000. Aujourd’hui, il vit et travaille à Paris. En 2016 et en 2017, il a exposé en France au FRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur, Marseille, au Centre d’art La Terrasse de Nanterre et au FRAC Réunion. Lauréat de la Carte blanche PMU en 2015, il a présenté cette même année Les Joueurs au Centre Pompidou de Paris. 
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28 novembre 2018, 17:10


MATHIEU PERNOT : DERRIÈRE LES BARREAUX, LA RAGE
Par Gilles Renault, Libé, 26 novembre 2018



Au CentQuatre, le photographe scrute les traces laissées par des détenus de la prison de la Santé, vidée pour cause de travaux en 2015.



Le photographe documentaire Mathieu Pernot travaille sans relâche. Aussi son nom revient-il à intervalles réguliers dans l’actualité, jusqu’à confiner à l’ubiquité. A l’affiche, début décembre, du Lianzhou Foto Festival, en Chine, il vient tout juste de présenter à Paris sa dernière exposition, «l’Atlas en mouvement». Réalisée dans le cadre d’une résidence au Collège de France, celle-ci a été conçue avec des réfugiés, dont Najah Albukai, dessinateur syrien incarcéré pendant un an dans les geôles du régime. Mais c’est un troisième événement concomitant qui retient ici l’attention. Ouverte mi-octobre au CentQuatre - qui prête de temps à autre ses murs épais à la photographie -, l’exposition «la Santé» dure jusqu’aux fêtes de fin d’année, bien qu’à rebours des agapes saisonnières.


Transferts
Souvent rémanents, les projets de Mathieu Pernot ont tendance à dialoguer et se répondre, au croisement de préoccupations sociales où prédominent les notions d’isolement et d’exclusion. En ce sens, «la Santé» pourrait se situer dans la continuité de trois reportages antérieurs: «les Hurleurs» (2001-2004), «Mauvaises Herbes» (2008) et «l’Asile des photographies» (2010-2013). Le premier montrait des proches, hommes et femmes, s’adressant depuis l’extérieur à des détenus incarcérés. Le second se focalisait sur la végétation tentant de reprendre ses droits dans des cours désaffectées de la prison de la Santé. Et le troisième arpentait un hôpital psychiatrique à l’abandon, en Normandie.



Litanie
 Entre accrochage classique et installation, celui-ci se compose d’une mosaïque d’éléments recomposant des existences cabossées. Témoignages mutiques hautement parlants, les cellules désertes - avant que les pelleteuses ne réduisent l’inexpugnable édifice à une montagne de cailloux -, ne renferment plus alors qu’une anonyme litanie de stigmates glanés sur les murs galeux convertis en dazibao. Des traces écrites émane le ressentiment («7 jr pr un penave alors que javais 6 jr de surcie» ; «j.m. de montreuil la gross balance fils de pute» ; «mais jesus est un pede de sa race de merde il baisait avec des chevres du meme que lui»), plutôt que l’espoir («Patience c dans la tête»). Tandis que les panneaux d’images découpées dans des revues, eux, révèlent une frustration monomaniaque liée à des passions désormais inaccessibles, où la pornographie, logiquement très présente, cohabite avec le sport, les bagnoles et la piété salutaire.
Gilles Renault 
Mathieu Pernot La Santé Le CentQuatre, 5, rue Curial, 75019. Jusqu’au 6 janvier. Catalogue paru aux éditions Xavier Barral, 35 €. Il est représenté par la galerie Les Filles du Calvaire, Paris.
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28 novembre 2018, 17:30




«Il Rio dei Mendicanti», vers 1723, de Canaletto.

VENISE, CITÉ D’ÉLOGES
Par Philippe Lançon, Libé, 26 novembre 2018 à 17:06

Scénographiée par Macha Makeieff, la vaste exposition du Grand Palais illustre la joie vitale et artistique, au XVIIIe siècle, de la ville-Etat qui, malgré la perte de sa suprématie économique et politique, brilla de ses derniers feux sur l’Europe.

Quand le pouvoir s’éteint, il arrive que la fête flambe. C’est ce qui se passe à Venise au XVIIIe siècle, et c’est ce qu’on sent au Grand Palais : tous les arts et artisanats réunis pour célébrer le théâtre d’un monde éclatant et finissant, flottant avec grâce sur une eau sans paquebots. Fêtes galantes et populaires, grandes cérémonies et oiseaux du coin de la rue, et, bien sûr, ce que les peintures, ces grandes muettes, font entendre en silence : de la musique avant toute chose. On traverse les salles mises en scène avec une délicate fantaisie par Macha Makeïeff, qui avec Jérôme Deschamps a su si bien lier dans leurs grands spectacles le peuple, la farce, la distance et la mise en abyme. Il y a des robes qui pendent entre deux étages, comme des fantômes ou des mobiles d’enfance bercés par le vent ; des arches de carton-pâte discrètes, des niches en clair-obscur, des vitrines de marionnettes, des œuvres connues et méconnues, de la porcelaine, des masques, des instruments de musique, de longues pièces où un âne et deux perroquets empaillés côtoient, comme dans une fable, une scène de Pietro Longhi, des études de Tiepolo, une pièce montée en bois et en métal qui représente une pyramide d’habitants jouant les Forces d’Hercule ; tout un immense cabinet de curiosités, qui est la vie même.

Cette vie est une fête violente et sur le fil, pendant le carnaval et autour du carnaval. Tout se plie aux lois sauvages et organisées de la scène, du plus vulgaire au plus raffiné, du plus modeste au plus puissant, de la marchande de quatre saisons à l’ambassadeur de Prusse. Le peuple est actif, saisi par le détail et l’imagination, sa nervosité est sensible et amusée. Tout semble justifier les phrases que Paul Morand écrit peu avant sa mort : «C’est après la pluie qu’il faut voir Venise, répétait Whistler ; c’est après la vie que je reviens m’y contempler. […] Venise, c’est le décor du finale de ce grand opéra qu’est la vie d’un artiste.» (1) Tout est contaminé par l’art, qui élargit ses ronds dans l’eau, ses lueurs dans la lumière, jusqu’aux îles. Venise au XVIIIe siècle se contemple, dans un bouquet final, après sa vie. Elle le fait sous les yeux de l’Europe entière, dont elle attire la fine fleur. C’est l’époque de Vivaldi, de Goldoni. C’est l’endroit, ajoute Paul Morand, où « l’émotion renchérissait sur la culture».

Orchestre du quotidien
Au début, à côté du lourd portrait d’un procurateur et d’une allégorie de la République avec lion en terre cuite, il y a bien sûr des vues du Grand Canal de Tiepolo et l’entrée de l’ambassadeur de France à Venise au Palazzo Ducale, peinte par Lucas Carlevarijs en 1726. Ce sont les panoramiques de la fête. Ils fixent l’espace et la cérémonie ; mais, déjà, on peut voir des chiens solitaires entre les hommes bien habillés et, aux fenêtres, de petits personnages, jambes dans le vide, qui font couler sur Saint-Marc le bleu du ciel et le sirop de la rue. Philippe Sollers écrit : «On voit un Canaletto, on l’apprécie, on l’oublie. Il faut le chercher et le trouver dans les détails, tel ce charmant couple isolé sur un quai, en promenade amoureuse n’allant nulle part.» (2) On n’oublie pas les vues d’ensemble de Canaletto, il a fixé le cadre où s’exprime la vie, mais ses détails la font bien vivre, surtout dans ses tableaux les plus populaires, qu’on retrouve ici à côté d’un magnifique lion d’atelier : Il Rio dei Mendicanti (1723), l’Atelier des tailleurs de pierre à San Vidal (vers 1725).

Dans la seconde œuvre, sous un grand ciel bleu sombre, c’est la vie populaire. L’atelier est une maison de bois, posée entre les hauts immeubles terre et brique. Le linge et les rideaux blancs pendent aux fenêtres d’où jaillissent tantôt une femme, très penchée, tantôt une poule, sur le rebord, tantôt une autre femme qui paraît filer une quenouille. Au premier plan, une troisième femme joue avec deux enfants, les bras levés, sans doute leur raconte-t-elle une histoire en mimant des personnages qui pourraient vivre dans le tableau. Plus on va vers le fond, plus les personnages réduisent, comme il se doit, et plus ils semblent manifester de paix dans la vie. Rien n’est jamais dissous ni écrasé. Le geste suspendu de chacun contribue à l’ensemble : c’est l’orchestre du quotidien, où chaque être vivant est musicien et comme danseur de sa propre existence. Stendhal, un siècle plus tard, à propos de Goldoni : «On aperçoit dans tous les caractères, depuis la simple fantesca [soubrette, ndlr] jusqu’au doge, l’habitude des dispositions qui font le bonheur. Sans le dire, ce peuple heureux savait, depuis cent ans, qu’il n’y a de vicieux que ce qui nuit.» (3) Le bouquet final vénitien peut tout montrer de son théâtre, puisque rien ne nuit.


«Polichinelles et Saltimbanques», 1797, de Giandomenico Tiepolo

Ce bonheur se décline de salle en salle, c’est un sentiment où l’artifice rejoint le naturel, où le divertissement est lié à la surprise, comme dans le célèbre Rhinocéros de Pietro Longhi (1751). On est au cirque, un petit cirque où le public, à côté du dompteur, est fait de quelques personnages plus ou moins masqués (mais les têtes aux traits ronds de Longhi semblent toujours un compromis entre chair et masque, comme si la vie se développait entre les deux). La pure nature est du côté de l’animal noir, massif, exotique, chiant et mangeant de la paille, et le spectacle, pour nous, est tout autant sur les gradins. Au second plan, une femme en châle vert, très pâle, lointaine, nous regarde. Rhinocéros, c’est déjà peut-être nous : le public absent de la fête, ou tellement extérieur qu’il ne peut plus en comprendre le sens intime et collectif, la liberté qu’elle dégage.

Vent révolutionnaire
Il y a bien sûr les études de Giandomenico et Giambattista Tiepolo, dont le trait paraît naître du ciel dans lequel il flotte, moitié plume, moitié flèche, comme lorsque le premier dessine dans le vide des chauve-souris ; et il y a les salles où se déploie l’interaction entre les artistes vénitiens et les capitales européennes : on y retrouve le page noir dessiné trois fois par Watteau. Concentrons-nous sur un artiste du carrousel, Giambattista Piazzetta. Son usage du clair-obscur, son absence de décor, son naturalisme le mettent à part. Ici, peu de fête, mais quelque chose qui descend de Rembrandt pour aller vers Géricault. Le jeune porte-drapeau, rond, pensif et marqué, semble annoncer une révolution ; mais parfois on n’est pas loin de Watteau. Un dessin à la pierre noire montre un personnage androgyne, avec un chapeau, dont la main droite, levée, a deux bouts d’index. Le geste du peintre paraît affirmer son repentir. Tout flotte dans une incertitude du sexe et de la main, autour d’un léger sourire d’enfant.



L’exposition s’achève, comme une démonstration ou un salut, sur le sublime Incendie de San Marcuola, peint par Francesco Guardi en 1789, l’année où est élu le dernier et 120e doge de Venise. Le feu prend dans un grand dépôt d’huile, tout le quartier brûle. Au premier plan, dans la nuit créée par la fumée, des centaines d’habitants regardent les bâtiments pris par les flammes. Ce sont des spectateurs autant que des victimes. Tout disparaît, mais on reste au théâtre. On contribue au spectacle de sa propre fin. Que s’est-il passé pour que cette République riche, malgré tout puissante, s’effondre face au vent révolutionnaire et aux armées de Bonaparte ? Il y a de multiples explications politiques, militaires, sociales, économiques. L’historien Frederic C. Lane a peut-être résumé ce qui brûle dans cet incendie : «La joie de vivre des Vénitiens eut pour contrepartie chez la plupart d’entre eux l’absence de tout projet dérivant d’un sens des responsabilités politiques.» (4) Le bonheur, devenant une idée neuve en Europe, achevait de tuer la ville où il était un mode de vie.

(1) Venises (1971, Gallimard, L’Imaginaire).
(2) Dictionnaire amoureux de Venise (2004, Plon).
(3) Voyage en Italie, 24 juin 1817 (Pléiade, Gallimard).
(4) Venise, une république maritime (1985, Flammarion, collection «Champs»).
Philippe Lançon
Éblouissante Venise ! Venise, les arts et l’Europe au XVIIIe siècle 
Grand Palais, 75008. Jusqu’au 21 janvier 2019.

[Complément du 6 décembre 2018, par Philippe Dagen, dans le Monde]

Au Grand Palais, à Paris, une exposition retrace de manière sommaire la période de débauche qui précéda le déclin de la Sérénissime, au XVIIIe siècle.


> Au XVIIIe siècle, Venise comptait 150 000 habitants – moins de 60 000 aujourd’hui –, dont Casanova ; mais aussi des stufe, des étuves où ils pouvaient se décrasser – elles servaient aussi de bordels (on estime le nombre de prostituées à 10 % de la population) ; et vingt théâtres publics. Et le carnaval y durait presque six mois…

Pas étonnant donc que l’Europe entière s’y soit pressée, pour jouir de ce qu’on sait aujourd’hui avoir été les derniers feux de la Sérénissime. Car son industrie comme son commerce déclinent, sa flotte est réduite, les impôts rentrent mal, le trésor public est à sec.

Le doge qui inaugure le siècle, Silvestro Valier, est mort d’apoplexie le 7 juillet 1700 après une dispute avec son épouse. Celui qui le clôt, Ludovico Manin, le 120e et dernier du titre, abdique le 12 mai 1797, sous la pression des troupes du général Bonaparte, mais aussi celle des oligarques qui préfèrent en se rendant sauver leur fortune plutôt que leur honneur.

La fonction de doge s’était toutefois bien dégradée, comme l’économie de la ville. Montesquieu constatait que le doge était ruiné, ou presque :
 « Il a une rente médiocre dont il est obligé de dépenser presque la moitié en quatre banquets qu’il doit offrir… »

Les charmes du « grand tour »
Malgré ou à cause de cela, Venise fut au XVIIIe siècle la ville d’Europe où l’on s’amusait le plus, pour peu qu’on en eût les moyens. Tous ceux qui le pouvaient y accouraient, à commencer par les Anglais, qui découvraient les charmes du « grand tour », un voyage sur le continent que tout jeune Londonien bien né se devait d’accomplir pour s’éduquer autant que se déniaiser.

Des Français furent dans le même cas, comme le magistrat Charles de Brosses, dont Diderot vanta jadis « le “mérite” étonnant », qui remarquait qu’on rencontrait sous les arcades de la place Saint-Marc « autant de femmes couchées que debout », et le jeune Jean-Jacques Rousseau, qui goûta à la chose et n’en retira que la crainte d’en être sorti « poivré », comme on disait alors. Amable de Fournoux, qui le cite dans son réjouissant livre La Venise des doges (Tallandier, 2012), rappelle que le malheureux était si peu à l’aise avec les courtisanes que l’une d’elles lui conseilla de s’adonner plutôt aux mathématiques…


 Il Ridotto, Francesco Guardi, 1755

À défaut, il y a le théâtre : Carlo Gozzi en tient pour la commedia dell’arte, avec Arlequin et Colombine, quand Carlo Goldoni se veut plus moderne et ambitieux. Ou la musique : Vivaldi ne dédaigne pas l’enseigner dans un des quatre orphelinats, les ospedali, où l'on apprend aux jeunes filles l’art du chant et l’usage des instruments. « Il n’y a presque point de soirée qu’il n’y ait de musique quelque part », avoue Charles de Brosses. Le carnaval, on l’a dit, dure six mois, et c’est une institution d’autant plus sacrée qu’elle est source de devises pour la cité. Il attire les célébrités du monde entier. Mais on se déguise, on se camoufle, on se masque. Ce dernier point est même obligatoire pour les femmes qui veulent se rendre au théâtre et pour tous ceux qui désirent flamber au casino, dont le fameux Ridotto, maison de jeux municipale qui n’était pas pour rien dans les revenus de la Sérénissime, ni dans ceux des médecins chargés de traiter les maladies vénériennes.

De tout cela, l’exposition du Grand Palais dit un peu, mais pas trop : les historiens d’art sont gens bien élevés. Ils se concentrent sur la peinture – avec quelques sculptures et du mobilier (surchargé) – vénitienne du siècle, qui n’est pas la meilleure produite dans la lagune. Les grandes époques des Bellini, des Titien, des Giorgione, des Véronèse, du Tintoret sont révolues.

Obsession pour Polichinelle
À la place, on a Canaletto, qui peint des vues de la ville, cartes postales très élaborées que les touristes d’alors s’arrachent. Il y a bien Piazzetta ou les Tiepolo père et fils qui tentent de maintenir le niveau : du premier, on retiendra un Portait d’Antonio Riccobono, pur chef-d’œuvre, du second, une obsession pour le personnage de Polichinelle, qui résume ce que sont devenus les Vénitiens.

Portait d’Antonio Riccobono, Giambattista Tiepolo

Giovanni Domenico Tiepolo

On cherche encore des mots, mais l’ennui les emporte : c’est triste Venise… Et ce, malgré des moments plutôt frais dans l’exposition, comme la scénographie de Macha Makeïeff, les robes de papier d’Isabelle de Borchgrave suspendues dans l’escalier, ou l’évocation des lanternes magiques par le collectif Stereoptik



Mais il n’est que de voir la tête de Mademoiselle Clara, nom donné au rhinocéros peint par Pietro Longhi qui sert d’étendard à l’exposition : cinquième de son espèce à être vu en Occident depuis l’Antiquité romaine, elle avait été montrée dans toutes les cours d’Europe.
Il fait grise mine, cet animal dont on a coupé la corne. Ce que les Vénitiens réjouis qui le regardent ne savent pas, c’est qu’ils vont connaître le même sort : leur république vit ses derniers moments. Moins de cinquante ans après que ce tableau a été peint, et quatre jours après l’abdication du dernier doge, elle est conquise par Napoléon, le 16 mai 1797, qui met fin à un millénaire d’indépendance.
Philippe Dagen
[Un autre complément ici]
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28 novembre 2018, 17:40

Difficile journée où plana la mort d'une amie.
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28 novembre 2018, 17:50


Le débat public est toujours plus polarisé, 
tandis que les lieux de débat n’ont jamais été aussi nombreux.
 Quelles sont   les dynamiques à l’œuvre ? Marie Peltier décrypte.  

Le formidable espace de discussion ouvert par les réseaux sociaux s’est rapidement mué en ring de boxe où chacun tente de discréditer son opposant. Partant de ce constat, la chercheuse Marie Peltier a tenté de démêler les ressorts d’un débat hyperpolarisé, violent, qui produit désormais des effets dans le réel. Elle publie le fruit de son analyse dans un livre « Obsession. Dans les coulisses du récit complotiste », qui paraît aux éditions Inculte


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Le Soir :
Quelle est cette « obsession » qui donne le titre à votre livre ? 

Marie Peltier :
J’ai essayé de décortiquer les mantras de l’imaginaire collectif, les obsessions contemporaines, les sujets qui reviennent en boucle dans le débat public. Je travaillais depuis plusieurs années sur le complotisme et je me rendais compte que ce que répétaient en boucle les complotistes n’était pas déconnecté de ce qui se répétait en boucle dans le débat public. On ne pouvait pas faire une scission entre un petit groupe à part et un peu farfelu, les complotistes, d’un côté, et puis par ailleurs le débat public qui serait dans une autre dynamique. J’observe des dynamiques très semblables. J’ai voulu identifier les points de cristallisation récurrents du débat.
LS :
Quels sont-ils ? 
MP :
J’ai essentiellement identifié deux lignes narratives d’un même récit contemporain.
La première, c’est l’axe « antisystème », que l’on voit notamment s’exprimer actuellement avec les Gilets jaunes. C’est cette posture qui fustige en boucle les médias et les politiques comme s’ils travaillaient de mèche. Elle est souvent liée à un anti-impérialisme américain et à un antisionisme virulent. L’idée qu’un système homogène contrôle tout rejoint la narration complotiste, avec l’idée d’une minorité agissante derrière le système, avec quelques figures clés : Soros, par exemple, qui comme par hasard est juif. Cette pensée dévoie la lutte sociale en une lutte contre un système qu’il faudrait faire tomber et qui serait au service d’intérêts cachés. C’est la narration complotiste habituelle, mais on la retrouve de plus en plus, et c’est inquiétant, dans la bouche des politiques et des citoyens en général. 
La deuxième ligne narrative, c’est l’axe civilisationnel. Le clivage « civilisation-barbarie » est ancien, mais a été réactivé notamment à l’aune du 11 septembre 2001. C’est l’idée d’un camp du bien face à un axe du mal. Cet imaginaire reste très prégnant, d’autant qu’on a connu des attentats entre-temps. Cette ligne narrative s’est beaucoup focalisée sur la question de l’islam en visant notamment les populations de culture musulmane, mais aussi d’autres minorités, avec une violence de plus en plus décomplexée. Ce clivage civilisationnel a mué en une attaque contre les minorités culturelles et sexuelles, comme si c’étaient elles qui constituaient une menace pour la société. 
LS :
Le discours « antisystème » est aujourd’hui largement représenté, y compris au niveau politique, mais le résultat de cette idée qu’il faudrait révolutionner le système se traduit globalement par davantage de conservatisme. Paradoxal ? 
MP :
J’irais même plus loin : par davantage d’idées fascisantes, antidémocratiques, hostiles à l’émancipation. Si l’on se penche sur l’histoire des mouvements fascistes, on constate que la rhétorique antisystème était omniprésente. Le propre de ce type de discours, c’est l’alliance entre des mouvements d’extrême droite et des gens qui se revendiquent de gauche, à la faveur du rejet du système désigné. Cette rhétorique se prétend révolutionnaire mais est en réalité foncièrement réactionnaire. Le point le plus révélateur, c’est Trump. Il s’est fait élire sur les postures antisystème et civilisationnelle. Il n’est pas seulement au service d’un agenda conservateur, mais au service d’un agenda d’extrême droite. Il faut le dire, même si c’est dur. Ce phénomène est aussi européen. En Italie, par exemple. Ce qui s’est scénarisé pendant plusieurs années en ligne est en train d’avoir des répercussions concrètes dans le réel. Le climat est inquiétant, parce que cette extrême polarisation, ce climat de défiance, antisystème, est en train d’envahir les rues, les urnes. Trump est la preuve que le discours antisystème est en train d’arriver au pouvoir, avec toutes les dérives auxquelles on assiste. 
LS :
Où situez-vous le mouvement des Gilets jaunes, dans votre grille d’analyse ? 
MS :
Ce mouvement est un melting-pot. Mais il ne faut pas dire qu’il n’est pas politisé. En France, clairement, quand on creuse, on trouve systématiquement des liens avec l’extrême droite, qui est très active en son sein. Et une partie de la gauche tente de récupérer quelque chose de ce mouvement. En Belgique, c’est la même chose. On peut par exemple lire sur Facebook qu’un militant PTB se dit très content d’avoir manifesté avec un gilet jaune en compagnie de militants du groupe Nation (extrême droite, NDLR). Il y a l’idée dans la tête de certains que la fin justifie les moyens et que s’il faut s’allier pour tout faire péter, allons-y. Je ne suis pas sûre que ce mouvement va durer très longtemps. Mais il est un symptôme d’un climat antisystème et anti-minorités, avec une haine des journalistes qui s’exprime de manière de plus en plus physique. Ce type de mobilisation risque de se répéter. 
LS :
Ces Gilets jaunes estiment notamment qu’ils n’ont pas voix au chapitre, qu’ils sont les oubliés du système.
MP :
Le grand drame, c’est qu’une partie des gens qui composent ce mouvement sont sans doute en situation de grande précarité. Mais ce mouvement dévoie ce qu’on appelle la lutte des classes. Il ne s’agit pas d’une lutte contre le capitalisme. Mais d’une lutte contre la démocratie. Quand on dit « casser le système », il s’agit d’une remise en cause des institutions démocratiques. Ce n’est pas pour rien que les journalistes sont tellement ciblés. Une lutte qui se voudrait économique serait légitime. Mais en réalité, quand on dit « les élites », « le système », on n’est plus dans la lutte des classes, on est dans une lutte qui devient très vite antidémocratique. 
On a l’impression, sous un vocable « antisystème », qu’il s’agit davantage d’en grappiller quelques miettes plutôt que de le remettre en question : continuer à pouvoir remplir son réservoir pour aller travailler « normalement ». 
On assiste à une hyper-individualisation des revendications. Leurs revendications sont foncièrement individualistes. Il n’y a pas qu’une remise en question des logiques globales, même si les Gilets jaunes prétendent le faire. Il y a beaucoup de confusion. Mais ce qui les a poussés à la rue, c’est que le prix de leur consommation d’essence allait augmenter. À la faveur de tout cela, on voit qu’ils ajoutent des revendications au fur et à mesure. Mais elles parlent surtout de leurs propres frustrations, elles ne remettent pas tellement en question les logiques de fond. Ils pensent le faire, par exemple en attaquant « la finance » qui serait le responsable du mal absolu. Or, attaquer « la finance » comme objet un peu flou, ce n’est pas un combat politique concret comme pourraient le mener les syndicats. C’est d’ailleurs pour cela qu’en France le syndicat CGT a refusé de s’associer au mouvement des Gilets jaunes, en disant que lui était dans une logique de lutte collective et pas de revendications individualistes qui veulent casser le système. 
LS :
La scénarisation du débat est devenue systématique voire caricaturale, écrivez-vous. Avec une indignation sélective à tous les étages. La polémique autour de la suspension par RTL d’Emmanuelle Praet en témoigne-t-elle ? 
MP :
On observe un dévoiement de certains principes fondamentaux. Par exemple, la liberté d’expression, principe démocratique fondamental, est devenue, dans ce climat de confusion, prétexte à des discours de haine. Des gens comme Dieudonné la revendiquent 24h/24. Pour justifier quoi ? Des discours négationnistes, antisémites etc. 
C’est l’idée qu’« on ne peut plus rien dire », qu’« on ne peut plus débattre ». 
C’est laisser penser que si l’on met un cadre au débat démocratique, on lui porte atteinte. On utilise le concept de liberté d’expression, pour justifier des pratiques douteuses, et parfois des discours de haine. Si on critique Emmanuelle Praet parce qu’elle a enfreint les règles déontologiques, on ne porte pas atteinte à sa liberté d’expression. La liberté d’expression, ce n’est pas dire n’importe quoi, n’importe où, n’importe comment. Ça n’oblige pas non plus un média à donner la parole à quelqu’un. L’expression « fake news » est utilisée pour se victimiser et rejeter toute critique. Désormais, tous les acteurs du débat public disent qu’on porte atteinte à leur liberté d’expression dès qu’on les contredit. Le débat public est contaminé. 
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28 novembre 2018, 17:55

Première partie rapide : Carlsen l'emporte avec les Blancs ! La seconde bientôt.

Comme toutes les parties du match, la séance des départages a débuté à 16h00, heure française, et il y aura 10 minutes de pause entre chaque partie. La fille du célèbre physicien Stephen Hawking (1942-2018), Lucy Hawking, a joué le premier coup, 1.c4. La partie a pris des allures de Rossolimo, mais les couleurs inversées. Les joueurs ont abandonné les grandes lignes théoriques dès le 8...d6 9.a3 Fxc3 10.Cxc3 bxc4, offrait un pion aux Noirs. 11.dxe5 dxe5 12.Ca4, en échange de la paire de Fous et d'une meilleure structure. 12...Fe6 13.Dxd8 Txd8 14.Fe3 Cbd7 15.f3 Tab8 = 1er diagramme :
Alexander Grischuk : « Une fois que votre structure de pions est ruinée, vous ne vous souciez plus de savoir à quel point elle est ruinée. »16.Tac1 Tb3 17.Tfe1 Ce8 avec des pendules équilibrées à 15 minutes. 18.Ff1 Cd6 19.Tcd1 Cb5? Une faute, 19...Cb7! permettait aux Noirs de rester dans la partie.20.Cc5 Txb2 21.Cxe6 fxe6 22.Fxc4, = 2e diagramme.

 22...Cd4 Seul coup. 23...Fxd4 exd4 24.Fxe6+ 24.Txd4! était plus fort. 24...Rf8 25.Txd4 Re7 26.Txd7+ Txd7 27.Fxd7 Rxd7, 3e diagramme. 28.Td1 avec 3'14". 28...Re6 avec 7'54". « Carlsen a tout simplement perdu patience. Il a choisi la voie la plus "sûre", mais plus difficile à gagner. C'est encore mieux pour Carlsen, mais loin d'être gagnant. » Susan Polgar.29.f4 c5 30.h4 c5 31.Td5 c4 32.f5+ Rf6 33.Tc5 h5 Et pour Svidler, Giri et Grischuk la nulle est toute proche. 34.Rf1 Tc3 35.Tg2 Txa3 36.Txc4 Re5 37.Tc7 et là, 3e diagramme, 

la gaffe par 37...Rxe4?? Selon la machine, l'échec intermédiaire 37...Ta2+ sauvait les Noirs. 38.Te7+! Rxf5 39.Txg7 Rf6 40.Tg5 a5 41.Txh5 a4 42.Ta5 Ta1 43Rf3, etc. 1-0 au 55e coup. Après avoir obtenu un bel avantage au sortir de l'ouverture, Magnus Carlsen s'est montré imprécis au point de laisser Fabiano Caruana avec une nulle à portée de main, une opportunité malheureusement gâchée en zeitnot réciproque par l'Américain.
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