Mendieta, De Maria, pâtes et Farnesina

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24 octobre 2018 -- 13:00

Gris et froid dehors – ça faisait longtemps. Réenchantons tout ça avec le papier de Clémentine Mercier sur Ana Mendieta (Libé, avant-hier) :


ANA MENDIETA, NATURE FORTE
22 octobre 2018 à 17:46

Dans l’exposition que le Jeu de paume consacre à l’artiste cubaine, morte défenestrée en 1985, vingt films et des tirages photo détaillent son obsession à vouloir faire corps avec les éléments. Une référence aux rituels chamaniques de son île natale qu’elle dut quitter à 12 ans, pour fuir la révolution castriste.


Enterré vivant, son corps nu disparaît à moitié sous des pierres. Ana Mendieta, allongée, respire. Son souffle fait bouger les gros cailloux sur sa poitrine. Comme par magie, ils paraissent léviter. C’est ce mouvement de respiration que montre le film Burial Pyramid, à l’entrée de l’exposition que le Jeu de paume consacre à l’artiste d’origine cubaine. Et il y a déjà beaucoup à dire sur cette scène de communion avec la nature : le film a été tourné sur le site archéologique de Yagúl, au Mexique, en 1974. A la fois offerte et prisonnière, l’artiste s’adonne à un rituel fusionnel à la mémoire des peuples précolombiens de la région de Oaxaca. Le film en Super 8 porte l’empreinte du corps de l’artiste, née en 1948 à La Havane et morte en 1985 à New York. Dans les projections - l’expo montre vingt films et trente photographies -, on trouve soit Ana Mendieta, soit sa trace, sous forme de silhouette en flammes, en feux d’artifice, en terre, sable, écume ou argile… Parfois, on ne voit plus que de vagues contours, si bien que les reliefs se font primitifs, rupestres. Le galbe d’Ana Mendieta devient grotte, volcan oblong, sexe féminin, tombeau… «Je ne suis pas une réalisatrice de films, je ne suis pas une performeuse, je suis une sculpture»,a-t-elle déclaré. A la croisée de la performance, de l’art corporel et du land art, elle échappe aux étiquettes et dépasse l’art baba cool.

Incantations
Mais comment ne pas lire son œuvre à la lumière de son destin tragique ? Arrachée à Cuba à l’âge de 12 ans, l’artiste cubano-américaine est morte défenestrée à 37 ans. Les circonstances de sa mort n’ont jamais été élucidées : mariée au sculpteur minimaliste américain Carl Andre, Ana Mendieta est tombée par la fenêtre après une dispute. L’a-t-il poussée ? A-t-elle sauté du 32e étage ? Un temps accusé de meurtre, Carl Andre a été relaxé, provoquant des scissions dans le milieu de l’art. Récemment encore, pour honorer la mémoire d’Ana Mendieta, du sang et des tripes de poulet étaient répandus en protestation à la rétrospective Carl Andre à la Dia Foundation.«Plus de trente ans se sont écoulés depuis sa mort, le débat est moins prégnant, mais il est évident que cela reste un point sensible. L’un de mes objectifs avec cette exposition est d’essayer de déplacer l’axe de la discussion sur Ana Mendieta, pour l’éclairer moins sur la façon dont elle est morte que sur la façon dont elle a vécu et produit des films en tant qu’artiste», explique Howard Oransky, un des commissaires de l’expo. 

Au Jeu de paume, plongé dans la pénombre, tout est silencieux - les caméras Super 8 de l’époque n’avaient pas le son. Il règne une atmosphère chamanique, sépulcrale, presque cryptique. Esprit de Mendieta, es-tu là ? Dans Mirage, son reflet bouge dans un miroir posé en pleine nature. Accroupie et nue, elle se regarde et fait sortir des plumes de ses entrailles. On dirait qu’elle nous voit.

«Mendieta est surtout connue pour ses sculptures et ses photos. Quelques films ont déjà été vus, mais ils sont assez peu connus, poursuit Howard Oransky. A u fond, je pense que les films sont au centre de son travail artistique, au cœur de sa vision.» Numérisés et restaurés à partir de 2003, par l’intermédiaire de sa nièce, la réalisatrice Raquel Cecilia Mendieta, qui a mené un long travail de fouille dans les bandes, ces «œuvres filmées» («filmworks») comme les appelait Mendieta, ont été choisies dans un vaste corpus - plus d’une centaine. Ils sont courts (à peine quelques minutes) et tournent en boucle. Déjà montrés dans le Minnesota, en Floride, en Californie, en Suède, à Berlin, ils ont voyagé avec les projecteurs. Aux murs, ce sont des images pratiquement grandeur nature que l’on voit, Ana Mendieta souhaitant que ses projections soient à l’échelle du corps humain. Conservant le grain du Super 8, les films puisent leur énergie dans les quatre éléments. Dans Creek,l’artiste nue se filme telle Ophélie dans une rivière ; dans Volcan, c’est un monticule de terre qui prend sa forme ; dans Ochún,c’est un banc de sable. Parfois sa silhouette en sang marque le sol, façon scène de crime. Toutes ces incantations parlent du désir de renouer avec les éléments naturels et de son impossibilité, telle une blessure non cicatrisée.

Poudre explosive
Née dans une famille aisée de La Havane, Ana et sa grande sœur, Raquelin, font partie des 14 000 enfants cubains qui sont envoyés en 1961 en Amérique lors de «l’opération Peter Pan» pour fuir la révolution. Sous l’égide de l’Eglise catholique, les deux sœurs atterrissent dans un orphelinat strict de l’Iowa. Leur père, catholique fervent, d’abord castriste puis contre-révolutionnaire à cause des positions anticatholiques de Fidel Castro, fait de la prison. Ana et Raquelin ne revoient leur mère que cinq ans après. «Mon art est le produit de la colère et d’un déplacement», dira plus tard l’artiste.

De son enfance et de Cuba, elle garde le souvenir de la luxuriance tropicale mais aussi de la douceur du sable de Varadero - la famille a une maison de campagne près de la plage. Enfant, elle déclame la messe en latin dans une petite chapelle située chez elle et observe les domestiques adeptes de la santeria, la religion cubaine dérivée de la religion yoruba. Même si ses parents n’encouragent pas ces pratiques, la petite fille est fascinée par les rituels d’origine totémique et la croyance en l’existence d’une âme propre à la nature. Dans le film Untitled Silueta Series (1978), sa silhouette en poudre explosive s’enflamme au sol. Juste à côté, cinq empreintes de mains sont creusées dans la terre. «Elle s’inspire des rituels de la santeria, confirme Howard Oransky. Les santeros - les guérisseurs cubains - utilisaient cinq bûchers de poudre explosive et lisaient leur incandescence comme des oracles.» Le film Ochún - deux bancs de sable dans l’eau - porte le nom d’une divinité afro-cubaine.

Initiée à l’art par sa grande sœur, Ana Mendieta commence par peindre des icônes et passe près de onze ans (de 1966 à 1977) à l’université de l’Iowa où elle étudie entre autres l’art primitif et accompagne un spécialiste de fouilles archéologiques à Teotihuacan (Mexique). Mais très vite, la peinture ne lui suffit pas. Mendieta préfère travailler avec son propre corps. Et toute sa production des années 70 (films, performance et sculpture) cherchera à combler un écartèlement : «J’entretiens un dialogue avec le paysage et le corps féminin. Ayant été arrachée à mon pays natal (Cuba) à l’adolescence, je suis submergée par la sensation d’avoir été chassée de la matrice (la nature)J’utilise la terre comme une toile et mon âme comme un outil.»


Avatar de la Déesse-Mère
La blessure originelle suinte souvent dans ses photos et ses films. Ana Mendieta utilise du faux ou du vrai sang (de poulet ou d’abattoirs), dont elle fait un nectar magique plutôt que morbide. Et si aujourd’hui la diffusion d’images sanglantes est restreinte par la galerie Lelong et les ayants droit de l’artiste -, on peut voir au Jeu de paume Blood Inside Out, un film où elle s’enduit le corps de sang devant une rivière. Mais aussi des autoportraits au visage taché. Et il y a ce magnifique film, Sweating Blood, où le visage de l’artiste, à la beauté sensuelle proche de Frida Kahlo, dégouline petit à petit de rouge. Le sang perle miraculeusement depuis son cuir chevelu (déposé discrètement par un complice avec une seringue). Femme blessée, Christ féminin ou femme battue ? Toutes les interprétations sont possibles. Rappelons qu’en 1973, une étudiante est tuée sur le campus de l’université d’Iowa, ce qui choque la région. En réaction, Ana Mendieta tourne Moffitt Building Piece (un film qui n’est pas dans l’expo), où elle observe des passants face à des taches de sang à terre. Sweating Blood, réalisé la même année, en est le prolongement.

Très belle, incarnant pour certains la latino sexy, Ana Mendieta se rebelle aussi contre l’image diabolique qui lui colle à la peau. Dans Blood Sign, elle écrit sur un mur avec ses mains baignées de sang : «There is a devil inside me»(«il y a un diable en moi»). Naturellement, elle se rapproche des artistes féministes, publiées dans la revue Heresies, et expose à A.I.R., la première galerie d’art féministe américaine. Son travail est souvent interprété comme un avatar de la Déesse-Mère, cette divinité féminine préhistorique et universelle d’avant le monothéisme. Et il est vrai que les courbes stylisées de l’artiste évoquent les Vénus ancestrales. Si le projet d’expo est né avant le mouvement #MeToo, Howard Oransky reconnaît que son éclosion concorde avec l’œuvre de Mendieta. «Sa trajectoire et celle du mouvement féministe se sont joints et disjoints par intermittences. Tout le travail de Mendieta va dans ce sens. Et du coup, je pense qu’elle peut intéresser la recherche.»Disparue trop tôt, Ana Mendieta ne vieillira jamais. Un peu comme Cuba est restée figée dans le passé du fait de son isolement, le corps de l’artiste sera toujours jeune, toujours beau. Tous ces films la portent à la dérive du temps, comme une île flottante.

Ana Mendieta Le temps et l’histoire me recouvrent

Je note que ce lien met en relation Ana Mendieta et Liliana Porter – comme dirait Se. « Evviva! »

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24 octobre 2018 -- 13:20
Le taulier n'a que de bons souvenirs associés à Walter De Maria – et cette photo d'abord, qui le frappa il y a longtemps – puis qu'il oublia :

Les souvenirs vont du Dia:Beacon à Venise, en passant par Soho (la Earth Room et le Broken Kilometer) – plus son Lightning Field jamais visité et sa (pseudo) participation au pré-Velvet Underground (de gauche à droite ci-dessous en 1964, Tony Conrad, Walter De Maria, Lou Reed et John Cale) :


Tous ces souvenirs furent ravivés il y a quelques semaines chez Meessen De Clercq lors de leur vernissage de rentrée – avec cette sculpture d'Évariste Richer (artiste que la maison micro-collectionne et vénère) qui s'appelle (quelque chose comme) Broken Kilometer revisité, et qui est composé d'un faisceau serré de 1000 tiges/tuyaux d'un mètre :


Voici le « vrai » Broken Kilometer de WDM à Soho (NY) :

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24 octobre 2018 -- 14:00

J'ai réussi à me (ré)inscrire sur SeqFan cette nuit – et publié ceci (qui m'obsède manifestement, c'est pratiquement le même texte qui ouvrit ce blog il y a 10 jours – les allergiques zapperont) :

Hello SeqFan,
Take an integer and keep only its distinct digits in their apparition order. Example:

1231 becomes 23
1123 becomes 23
11231 becomes 23
and
11023 becomes 23 too (as we don't accept leading zeroes).
Note that 112323 disappears immediately.

Now chose a function F, a starting term a(1) and iterate.

Say, for instance, that the function F is "double" and a(1) is 19:

19,38,76,152,304,608,(1216),26,52,104,208,416,832,(1664),14,28,56,(112),2,4,8,16,32,64,128,256,512,1024,2048,4096,8192,16384,32768,(65536),3,6,12,24,48,96,192,384,768,1536,3072,(6144),61,(122),1,2,... (loop).

The "triple" function F starting with a(1) = 37 stops immediately, of course (as 37 x 3 --> 111).

The "square" function is interesting as some huge integers appear -– that sometimes collapse into a 2- or 3-digit integer. I didn't explore thoroughly this domain (fixed points, loops, flights, altitudes, etc.) -- only played a bit with the idea.

A sequence I would like to see is the one dealing with the function F = (n+1)*a(n) that would generate, for the smallest possible a(1), more than 100 terms...

For a(1) = 1, we have the sequence:

2 x 1 = 2
3 x 2 = 6
4 x 6 = 24
5 x 24 = 120
6 x 120 = 720
7 x 720 = (5040) = 54
8 x 54 = 432
9 x 432 = (3888) = 3
10 x 3 = 30
11 x 30 = 330
End. Only 11 terms.

If I'm not wrong, the start a(1) = 2 generates 23 terms [last one being 23 x 198 = (4554) End], and the start a(1) = 3 produces only 12 terms [last one 12 x 407 = (4884) End]. What would be the smallest a(1) generating 100 terms or more?

P.-S.
A friend of mine thinks that no integer < 10000000 generates any 100-term sequence, according to a program he wrote: the longest sequence he found has 78 terms and the smallest generating term for the said sequence is 19 128.

Here is the 19 128 sequence [between brackets are the terms that will be "simplified"] :

19128, 38256, [114768]4768, 19072, 95360, 572160, [4005120]4512, [36096]309, 2781, 27810, [305910]3591, 43092, [560196]5019, [70266]702, [10530]153, [2448]28, 476, [8568]56, 1064, [21280]180, 3780, 83160, [1912680]92680, [2224320]430, [10750]175, [4550]40, [1080]18, 504, [14616]4, 120, 3720, [119040]94, 3102, 105468, [3691380]69180, [2490480]298, [11026]26, [988]9, 351, [14040]1, 41, [1722]17, 731, 32164, [1447380]17380, [799480]7480, [351560]3160, [151680]5680, [278320]7830, [391500]3915, [199665]15, 780, [41340]130, [7020]72, 3960, [221760]1760, [100320]132, [7656]75, [4425]25, [1500]15, 915, 56730, [3573990]570, 36480, [2371200]371, [24486]286, [19162]962, [65416]541, [37329]729, [51030]513, [36423]642, [46224]6, 438, [32412]341, [25575]27, [2052]5, 385, [30030]0 --> END.

[Note: I've been away a long time from the SeqFan list -- and if all this is old hat, please ignore and forgive me]
Best,
É.
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24 octobre 2018 -- 14:14

Retour sur l'une des sculptures autoréférentes majeures du XXIe siècle, selon le taulier (c'est le cas de le dire, regardez cette stupéfiante vidéo d'installation ici) :

Damien Hirst et Jeff Koons devant Play-Doh (l'une des 5 versions)

Pourquoi c'est « autoréférent » et « majeur » ? Parce que l'aspect visuel de la texture de Play-Doh imite à la perfection la matière originale ; parce qu'après avoir cherché pendant 20 ans à reproduire un tel empilement (inspiré par celui qu'avait produit un jour son fils qui jouait avec une boîte de pâte à modeler Play-Doh), JK comprit qu'il ne fallait pas réaliser cette sculpture d'un seul tenant mais de morceaux « en un certain ordre assemblés » (comme son fils l'avait fait) ; parce que la sculpture, justement, renvoie à l'enfance, période enchanteresse où l'on expérimente tout (matières, mots, mondes et idées). Et probablement aussi parce que cette œuvre, à 22 millions de dollars, on ne peut pas la toucher ! [D'autres infos avec interview ici]
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24 octobre 2018 -- 14:30

Quelques selfies tirés du stock de l'été (Palerme et Rome) :




Quelques graffitis portés sur les fresques de Raphaël au palazzo Farnesina de Rome par des fantassins allemands... du XVIe siècle (plan large du trompe-l'œil d'abord, puis serré) !



Il est écrit quelque chose comme « Nous, lansquenets, avons mis le pape en fuite – et ça nous fait marrer ! » [On lira ici que le joli lansquenet est emprunté de l'allemand « Landsknecht "fantassin", proprement "serviteur du pays", mot composé de Land "terre, pays" et de Knecht "valet, serviteur" ».]

Sinon un drôle/pas drôle de souvenir du mois de juin à Paris (sous la Coulée verte) :


Un brouillon de suite qui sera expliqué plus tard (avec le stylo-bille bien aligné pour tenir dans l'image !-)

C'est tout pour aujourd'hui – il est temps de se consacrer aux échecs.
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